Actualités

L’histoire méconnue de la greffe du rein

22 décembre 2004, Le Figaro

Il y a cinquante ans, après toute une série d’échecs, une équipe américaine réussissait la première transplantation d’organes
L’histoire méconnue de la greffe du rein
Il y aura cinquante ans demain que la première greffe de rein couronnée de succès a été pratiquée, le 23 décembre 1954, par une équipe de Boston (États-Unis). Ronald et Richard Herrick, le donneur et le receveur, étaient deux vrais jumeaux. L’épopée de la greffe du rein, portée aussi à l’époque en France par un petit nombre de pionniers, a été toujours empreinte du désir de sauver des individus qui avaient tous une histoire bien à eux. Retour sur ces pages héroïques et méconnues.

Le 12 janvier 1951, au petit matin, deux équipes de médecins sont présentes à la prison de la Santé pour récupérer les reins d’un condamné à mort Jean-Louis Estingoy qui, avant de mourir, avait fait don de son corps à la science (1). L’une vient de Broussais, sous la houlette du professeur Paul Milliez, l’autre de Créteil, dirigée par le professeur André Lemaire. Chacune prélève un rein afin de tenter de sauver deux malades, une femme de 44 ans, une autre, très jeune de 24 ans toutes deux à l’article de la mort. C’est une grande première en Europe. Malheureusement, les deux malades succombent, respectivement deux et trois semaines plus tard. Pourtant, d’autres chirurgiens persévèrent et réalisent cinq autres greffes dans les premiers mois de l’année 1951. Cinq échecs. “Le but recherché, remplacer le parenchyme rénal insuffisant, n’a jamais été atteint”, constatent, non sans une certaine amertume, ces pionniers.

Un an plus tard, une autre équipe française (Hamburger, Delinotte, Oeconomos, Vaysse) tente l’impossible. Dans la nuit du 25 au 26 décembre 1952, ces médecins et chirurgiens décident de greffer un rein à un jeune charpentier de seize ans, Marius Renard, sévèrement blessé à la suite d’une terrible chute d’un chantier de neuf mètres de haut. Mais pas n’importe quel rein. Celui de sa mère Gilberte, prête à tout pour sauver son fils.

Constatant que le rein droit était éclaté, le chirurgien décide de le lui enlever pour mettre fin à l’hémorragie interne qui menace ses jours. Mais Marius Renard est né avec un seul rein, une particularité anatomique qui avait échappé à l’équipe chirurgicale. Tant et si bien que, en le lui enlevant pour le sauver, le chirurgien l’a définitivement privé de l’organe qui lui permettait de filtrer ses déchets. Le jeune homme est transporté à Paris à Necker, dans un état très grave avec un taux d’urée dans le sang à 4,3 grammes par litre (au lieu de 0,15 à 0,5).

Sa mère qui l’a accompagné n’hésite pas, elle propose un de ses reins pour le sauver. L’intervention est un succès. Le taux d’urée chute très rapidement à 0,50 gramme et les fonctions urinaires reprennent. Marius recommence à se lever et à faire quelques pas. Mais le 16 janvier 1953, il n’arrive plus à uriner. Le taux d’urée remonte très vite et le jeune homme meurt dans un état convulsif. Victime d’une crise de rejet, du fait de l’incompatibilité tissulaire entre son organisme et celui de sa mère. Un phénomène qui allait rester quelques années incompris jusqu’à ce que Merrill en janvier 1959 à Boston, puis Hamburger, à Paris en juin de la même année, passent à un deuxième stade, celui de conditionner le receveur par une exposition au télécobalt destinée à freiner les réactions de rejet, après la greffe.

Au fil des ans, chercheurs et médecins – en particulier pour la France Jean Dausset, Jean Hamburger, René Küss, Marcel Legrain et Paul Milliez – conjuguent leurs talents pour trouver des solutions aux multiples problèmes posés par ces interventions de la dernière chance, destinées à des personnes en état d’insuffisance rénale sévère : groupage tissulaire entre donneur et receveur, techniques de conservation du greffon, mise au point de médicaments immunosuppresseurs pour lutter contre le rejet, organisation des prélèvements et des transplantations à l’échelle nationale, etc.

La réussite d’une transplantation dépend en effet d’une préparation minutieuse du donneur et du receveur, du contrôle de la réponse immunitaire dans la prévention du rejet, d’une organisation sans faille des prélèvements d’organes et d’une bonne technique chirurgicale.

Depuis les années 50, la greffe de rein, destinée à des patients en insuffisance rénale terminale, a connu un extraordinaire succès. Aujourd’hui, à la lecture des courbes de survie communiquées par l’Établissement français des greffes, les résultats sont excellents.

Mais le manque crucial d’organes représente toujours un problème de taille dans notre pays même si le “plan greffes”, mis en place en 2000, a porté ses fruits. Le nombre de transplantations est passé de 1 580 en 1997 à 2 147 cinq ans plus tard.

L’an dernier, 8 000 personnes en France étaient en attente de transplantation rénale. Le quart d’entre elles seulement (2 023) a pu bénéficier de l’intervention salvatrice. “60 à 70% des candidats sur listes d’attente le sont pour une greffe de rein”, reconnaît le Dr Corinne Antoine, néphrologue à Saint-Louis et médecin expert auprès de l’Établissement français des greffes. Mais il est difficile de dire combien de temps un patient risque d’attendre. De deux à quinze ans, en fonction de son groupe sanguin, de son groupe tissulaire HLA, de l’existence ou non d’anticorps anti-HLA. Et les délais sont aussi très différents d’une région à une autre en sachant qu’il existe en tout 45 équipes de transplanteurs dont neuf exclusivement consacrées aux enfants.

95% des greffons sont prélevés sur des personnes en état de mort cérébrale, ce qui soulève encore bien des difficultés en raison de l’opposition des familles au prélèvement. Les greffes avec donneur vivant sont réputées donner de bien meilleurs résultats à moyen et surtout à long terme. Mais 5% seulement sont dans ce cas, contre 50% aux États-Unis et 50 à 60% dans les pays nordiques.

On attend toujours les décrets d’application de la nouvelle loi de Bioéthique qui devrait élargir le cercle des donneurs (jusqu’ici restreint aux parents et aux frères et soeurs du malade) aux grands parents, au conjoint, aux oncles et tantes et même aux cousins et cousines. “Mais la décision de pratiquer une transplantation à partir de tels donneurs devra être entérinée par un collège indépendant d’experts comprenant notamment juriste et psychologue, explique ce médecin. Pour s’assurer que le donneur potentiel prend une telle décision en toute indépendance.”

(1) Cette histoire est racontée dans un ouvrage de Pierre Bourget et Claude Blouin intitulé Histoire de la médecine depuis 1940, paru en 1983 aux Éditions des Presses de la Cité.Article du 06-Déc-2004 par Bruno FANTINO,Françoise PIOT-FANTINO

Partagez

Plus de lecture

Répondre

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *