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Ne laissez pas la décision à vos proches : dossier greffe

18 juin 2004, La Voix du Nord

LE don d’organes, c’est une belle façon de faire en sorte qu’au-delà d’un drame la solidarité l’emporte.
Ce sentiment, une grande partie des Français le partagent: 70% se déclarent en faveur d’un prélèvement après leur décès. Le problème, c’est que leurs proches ne le savent pas toujours, parce que ce choix n’a pas été exprimé clairement. Et donc, faute de savoir, entre 30 et 50% des familles confrontées à un deuil subit opposent un refus. Un choix légitime et que les médecins perçoivent avec respect, mais qui ne s’explique le plus souvent que par une méconnaissance.

Méconnaissance

“Quand on approfondit, on s’aperçoit qu’il n’y a que 10% de refus dogmatiques”, explique le Pr François-René Pruvot (service de chirurgie digestive et de transplantation du CHRU de Lille). Le front du refus n’existe pas. “Si nous n’étions pas confrontés à cette méconnaissance, nous pourrions doubler le nombre de greffes que nous pratiquons, et sauver davantage de vies “, ajoute le Pr Christian Noël, coordinateur à la clinique de néphrologie du CHRU.
Responsable du centre régional de l’Établissement français des greffes (qui rayonne jusqu’à la Haute-Normandie), le docteur Benoît Averland confirme le message: “Ce qu’il faut, c’est avant tout éviter de mettre ses proches dans l’embarras. Quand les équipes de coordination rencontrent les familles à la suite d’un décès, elles ne leur demandent pas si elles acceptent le prélèvement ou pas. Ce qu’elles cherchent à savoir, c’est si la personne en avait parlé, et ce qu’elle aurait répondu. C’est déjà un moment difficile pour les familles épuisées par le deuil et une douleur intense: c’est l’intérêt de tous d’en parler avant.”
L’activité “greffe” est importante dans notre région, et elle se pratique autour de grandes équipes du CHRU de Lille comme celles du Pr Christian Noël (pour l’insuffisance rénale), du Pr Pruvot (foie notamment), du Pr Pattou (cellules du pancréas) et des professeurs Warembourg et Pratte (coeur).
“Il faut le dire, ça marche bien, c’est d’ailleurs l’activité thérapeutique la plus encadrée en médecine”, explique Benoît AverlandDe fait, elle offre selon les cas l’espoir d’une survie ou simplement d’une vie un peu plus normale à des personnes soumises à des traitements lourds comme les insuffisants rénaux terminaux: les séances de dialyse, trois à quatre fois par semaine à raison de trois ou quatre heures perturbent évidemment la vie de tous les jours.

150 greffes par an dans la région

Une centaine de greffes du rein sont réalisées dans la région chaque année et dans la quasi-totalité des cas, elles sont possibles parce que des prélèvements ont pu y être opérés, au CHRU, mais aussi dans l’un des douze hôpitaux du Nord – Pas-de-Calais habilités. Une sorte de principe de préférence régionale fait que la solidarité des habitants du Nord – Pas-de-Calais bénéficie d’abord à sa population, ce qui explique que le délai d’attente y est d’un peu moins de huit mois en moyenne contre 26 mois en région parisienne.
Outre les îlots de pancréas et les cornées, l’éventail des transplantations se concentre surtout désormais à Lille sur les greffes de foie (une quarantaine par an) et les greffes de coeur (15).
“La greffe, c’est efficace, confirme le Pr François-René Pruvot, puisqu’elle permet à des patients de survivre: dans 8 cas sur 10 pour la greffe du foie et dans 6 cas sur 10 pour une greffe de coeur.” Par contre, les greffons ne sont pas éternels: pour la moitié des patients, la durée est de dix ans pour un rein en moyenne, mais certains malades se portent très bien avec un rein greffé depuis plus de vingt ans.
Selon les derniers chiffres connus pour la région, six personnes sont en attente d’une greffe de coeur, 10 d’une greffe de foie (avec un délai d’attente de deux mois et demi, ce qui peut être vital), 2 pour les îlots de pancréas et 117 pour une greffe de rein, dont deux enfants.

L’information

Nombreuses initiatives pour bien comprendre et aider à se déterminer dans le Nord – Pas-de-Calais

ORGANISÉE depuis quelques années, la journée nationale de “réflexion sur le don d’organes et la greffe” est fixée au 22 juin.
Dans la région, il a paru opportun d’avancer la date au 19, afin de mieux diffuser ce message, et cette année, l’opération va prendre un relief particulier dans le Nord – Pas-de-Calais, grâce au soutien de nombreux partenaires et à des bénévoles.
L’ensemble des actions menées à cette occasion bénéficie du label de l’Agence régionale de l’hospitalisation et du soutien de son directeur, Jean-Marie Paulot.
“Nous savons que trop de familles ne savent pas comment réagir au moment d’un décès même si, en théorie, celui qui ne s’oppose pas à un prélèvement est censé accepter. Le message délivré est important: quand on en parle avant, on libère sa famille dans une circonstance difficile “, explique Bernard Delaeter, secrétaire général de l’ARH.
En partenariat avec l’Établissement français des greffes, La Voix du Nord et Nord-Eclair proposent à leurs lecteurs, dans le TV Magazine qui accompagne l’édition de ce jour, un guide de 8 pages intitulé “Don d’organes. Donneur ou pas, pourquoi je dois le dire à mes proches”.
Ce document apportera des réponses simples et incitera ses lecteurs à exprimer leur choix à leurs proches. L’opération est sans précédent et elle réunit 54 titres de la presse quotidienne régionale et nationale française. Huit millions de guides vont ainsi être diffusés.

Au supermarché

En faisant leurs courses, demain dans un centre commercial de la région, les consommateurs ont de fortes chances de pouvoir se procurer le guide-information. Grâce à la collaboration du Pôle distribution du centre national des centres commerciaux, des espaces consacrés à cette journée de réflexion autour du don d’organes et de la greffe vont être installés dans les galeries marchandes de 41 centres commerciaux. Les stands seront repérables par de multiples affiches.
Participent à l’opération:

  • Les centres Auchan d’Arras, Roncq, Lens, Grande-Synthe, Petite-Forêt, Faches-Thumesnil, Cambrai, Noyelles-Godault, Leers, Calais, Amiens, Saint-Quentin, Longuenesse, V2 (Villeneuve-d’Ascq), Louvroil.
  • Les centres Carrefour de Douai, Liévin, Wasquehal, Valenciennes, Maubeuge, Saint-Pol, Armentières, Auchy, Hazebrouck, Coquelles, Condé, Aire-sur-la-Lys, Calais, Saint-Martin-au-Laërt, Denain, Euralille.
  • Les centres Cora de Wattignies, Dunkerque, Cambrai, Lens, Courrières, Flers (Villeneuve-d’Ascq).
  • Le centre Leclerc d’Outreau, le Géant Casino de Roubaix, la Galerie des Tanneurs à Lille, les commerçants du centre de Lille (espace à l’angle des rues de Béthune et rue Neuve).

Les stands que l’on pourra visiter vont bénéficier de la collaboration de deux grandes associations: l’ADOT, association pour le don d’organes et des tissus, qui milite pour le respect de l’éthique (anonymat, gratuité, volontariat) et la Fédération nationale des insuffisants rénaux.

Participeront également à la tenue des stands, des personnes greffées, des membres des 67 clubs du Rotary International des districts 1520 et 1670, fédérés à l’initiative de Jacques Ménard, des élèves d’écoles d’infirmières ainsi que des médecins retraités.
La mutuelle des hospitaliers et la mutuelle générale de l’industrie du pétrole diffuseront aussi le document.
La Poste a également décidé d’apporter son appui à cette 4e journée nationale en lançant un timbre “don d’organes” créé par l’artiste Hervé Di Rosa (premier jour à Paris et Marseille le 22). Ce timbre sera en vente dans les bureaux de poste de la région à partir du 23juin.

Il n’y a pas d’âge (ou presque…)

Contrairement à ce qu’on croit souvent, il n’est pas nécessaire d’être jeune pour donner ses organes ni même pour être greffé. La moyenne d’âge des donneurs (45 ans environ) a ainsi grimpé de cinq ans depuis 1999. “On peut donner des organes à 70 ans et être greffé à cet âge, les Anglais appellent cela “old for old”, commente le professeur Pruvot. Les indications principales à un âge plus avancé concernent essentiellement le rein et le foie.
Progrès de la médecine aidant, l’horizon de la greffe s’élargit et se modifie: “Nous discutons aujourd’hui de greffes de foie pour des éthyliques chroniques, nous n’y aurions jamais songé il y a une dizaine d’années”, explique le Pr Christian Noël (CHRU de Lille). “Ces malades constituent d’excellentes indications à condition de traiter bien sûr par ailleurs tous les aspects sociaux et économiques”, explique-t-il.
La demande a tendance à augmenter pour les greffes de rein et de foie. Par contre, les greffes cardiaques restent en nombre limité, notamment grâce aux progrès de traitements de substitution. Mais la région ne brille pas par le nombre des prélèvements, d’autres la devancent.
24heures pour agir
On imagine souvent que la plupart des prélèvements s’opèrent sur des victimes de la route. Ce n’est plus vrai aujourd’hui. Ils ne représentent plus que 13% des cas. En partie sans doute parce que depuis quelques années la sécurité routière s’est améliorée. Les personnes victimes d’un accident vasculaire cérébral constituent souvent des donneurs potentiels. Et là aussi, cela peut arriver à tout le monde.
Au CHRU de Lille comme dans les douze hôpitaux habilités de la région, la sensibilisation au prélèvement est désormais une règle. “L’attente des patients devient plus forte: pour certains dialysés, il arrive un moment où la greffe devient indispensable”, explique Bernard Delaeter, secrétaire général de l’Agence régionale d’hospitalisation.
Mais c’est aussi une course contre la montre qui s’engage. “Nous disposons de 4heures entre le prélèvement et la greffe pour le coeur, 12 heures pour le foie, 24heures pour un rein”, explique le Pr Pruvot. Or, ces interventions sont imprévisibles: la moitié des greffes de rein et les deux tiers des greffes de foie sont d’ailleurs pratiquées la nuit ou le week-end.
Des contrôles drastiques
Les hôpitaux de la région travaillent en réseau au sein de l’Organisation régionale des prélèvements, une structure créée par la DRASS (direction régionale des affaires sanitaires et sociales). Au sein de chaque hôpital, un médecin coordinateur et une infirmière ont pour mission de repérer les cas possibles de dons d’organes et d’engager le processus menant au prélèvement. Il faut naturellement avoir la certitude de la mort encéphalique.
En France, la loi a prévu un luxe de précautions à ce propos : il faut pratiquer deux électroencéphalogrammes à 4 heures d’intervalle ou une artériographie cérébrale. Deux médecins de deux services différents doivent les vérifier. C’est alors seulement qu’une rencontre s’organise avec la famille et qu’une vérification est faite en direction du registre national du refus à Marseille. Toute personne peut lui faire savoir qu’elle s’oppose au prélèvement, les formulaires se trouvent dans de nombreuses pharmacies. Le plus âgé actuellement a 104 ans!
Ensuite, les médecins vérifient le bon état de l’organe prélevé et organisent la sécurité sanitaire (dépistage des infections potentielles). Cela suppose toute une série d’examens biologiques réalisés au CHRU de Lille: de Maubeuge à Lille, les tubes de sang sont transportés en ambulance. Ce n’est qu’ensuite que la décision peut être prise.

Transparence

Les délais d’attente sont variables selon les régions et selon les cas, y compris pour un même organe: “Ils peuvent varier de six mois pour un groupe sanguin A à deux ans pour un groupe 0”, explique le Pr Pruvot. L’une des régions où l’on attend le moins, c’est la nôtre, notamment parce que la demande de soins y reste moins forte qu’ailleurs.
L’Espagne est le pays européen où le don est le plus répandu. On y prélève depuis longtemps au-delà de l’âge de 60 ans.
En France, la transparence est de mise pour la liste nationale d’attente: chaque médecin a la possibilité de la consulter, de même que les députés et le ministre de la Santé qui peut connaître la situation en temps réel.
Rappelons qu’en France le don est gratuit et toujours anonyme.
Quelques chiffres
En France, en 2003, plus de 10000 personnes ont eu besoin d’une greffe d’organe. 3410 patients en ont bénéficié. 6592 restent en attente d’une greffe: les chiffres semblent plus imposants que pour notre région, mais l’attirance pour la capitale expliquerait en partie une forte concentration de demandes sur la région parisienne.
L’an dernier, 252 personnes sont décédées faute de greffon disponible.

Témoignage

Lina Krol a été confrontée à la question du don d’organes lors de la mort brutale de son mari
“Jean a permis de sauver cinq personnes”

SI Lina Krol accepte de livrer son témoignage sur un sujet aussi délicat et douloureux, c’est avec l’espoir de convaincre, pour que demain, le principe du don d’organes suscite moins de refus et de réticence.
Dans sa maison, près d’Arras, les photos de son mari, Jean, sont très présentes. Un beau dimanche d’été, Jean est parti comme chaque jour faire un grand tour à vélo. Quatre-vingts kilomètres ne faisaient pas peur à ce jeune retraité de 63 ans, très sportif. Il a été fauché sur la route du retour, à 800 mètres de chez lui, par une voiture folle.
Lina se souvient: la camionnette des gendarmes qui viennent la prévenir de l’accident, le transfert à l’hôpital d’Arras puis, dans la soirée, au CHR de Lille. Opéré, Jean n’est jamais sorti du coma. Il a survécu neuf jours avant d’être déclaré “mort cliniquement”. Les médecins avaient préparé Lina à cette fin douloureuse.

Accord familial

Quand ils ont souhaité la revoir, rapidement après le décès, pour aborder avec elle la question du don d’organes, elle n’a pas vraiment été surprise.
“J’avais deviné leur demande, j’ai tout de suite donné mon accord, chez nous la mort n’était pas un sujet tabou. Avec Jean, on avait parlé du don d’organes, de l’incinération, on était sur la même longueur d’onde, je me suis dit… si au moins sa mort peut servir à d’autres.”
La décision a fait l’objet d’un accord dans la famille. Son fils, sa belle-fille, l’ont approuvée. Aujourd’hui, tous ont avec leurs papiers d’identité la petite carte de l’Établissement français des greffes qui signale leur qualité de donneur potentiel.
Avec deux ans de recul, Lina ne regrette rien. Les rares personnes qui ont osé lui reprocher son attitude, elle ne les voit plus.
“Jean a sauvé cinq personnes”, résume cette femme de caractère et de conviction.
Les reins, le foie, les cornées (pour lesquelles il a fallu signer une autorisation spéciale) ont été prélevés sur le corps du défunt.
“Les proches d’une victime hésitent parfois, ils s’imaginent qu’ils vont récupérer un corps mutilé, c’est absolument faux, on vous rend l’être cher comme endormi, le corps est intact”, souligne Lina Krol.
Régulièrement, elle est en contact avec le service lillois chargé d’organiser les greffes. L’anonymat interdit aux familles des donneurs et des receveurs de se connaître, mais un service assure un lien pour ceux qui le souhaitent.

Pas mort pour rien

“Tous les deux mois, je prends des nouvelles, je demande si les greffés ont une vie normale, quand on m’a dit que toutes les greffes avaient réussi et que les gens étaient en bonne santé, j’étais contente. Je me dis que mon mari vit quelque part, finalement, ça m’aide à passer le cap du deuil”, confie Lina Krol.
“Jean est quelque part, il n’est pas mort pour rien, finalement je m’en serais voulu si j’avais refusé le don d’organes, même si le moment où l’on signe n’est pas si facile”, ajoute encore cette dame qui trouve des accents militants pour mieux convaincre.
Elle parle de l’angoisse des malades en attente d’une greffe, de la nécessité de se mettre à la place des autres. Elle ajoute que ce sujet, il faudrait peut-être l’aborder dès l’école. En évoquant les souvenirs de 41 ans d’une vie commune heureuse, elle conclut: “Se dire que Jean a sauvé des vies, c’est presque un soulagement.”

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