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Greffe avec donneur vivant : des avantages au prix de problèmes éthiques

25 septembre 2003, Le Quotidien du Médecin

La greffe d’organe avec donneur vivant n’apporte que des bénéfices au receveur, par rapport à celle d’un organe prélevé chez un sujet en état de mort encéphalique. Pour le donneur, par définition en bonne santé, se posent des interrogations. Tant au niveau personnel, alors que membre de la famille du malade il peut se sentir obligé de donner un organe, qu’éthique, pour le médecin qui souhaite un consentement éclairé. Deux exemples de transplantation avec donneur vivant illustrent ces situations : le don d’un rein et celui d’un lobe pulmonaire.

La greffe de poumon avec donneur vivant est en théorie indiquée dans toutes les pathologies justifiant une greffe pulmonaire. « Mais, explique le Dr Redha Souilamas (service de chirurgie thoracique, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris), comme il est dangereux de retirer un poumon entier à un donneur, ce type de transplantation s’adresse, à l’heure actuelle, de manière quasi exclusive aux enfants atteints de mucoviscidose. Il s’agit, dans ce cas, de prélever un lobe chez chacun des parents. Chaque lobe est ensuite implanté à l’enfant mucoviscidosique. Les risques vitaux post-opératoires pour le donneur sont moindres que ceux d’une pneumonectomie. »

L’intervention est réalisée avec recherche d’adéquation volumétrique. Les greffons sont choisis de façon à obtenir le même volume de chaque côté. « L’enfant malade est souvent chétif, amaigri et bien des fois un lobe inférieur adulte équivaut, en volume, à un poumon entier de l’enfant », poursuit le Dr Souilamas.

Ce type d’intervention est le seul à éviter la pneumonectomie, « la pire intervention. Puisque le donneur qui vit avec un seul poumon est à risque majeur en cas d’infection, d’embolie et de fistule ».

« Il n’y a, pour le receveur, pratiquement que des avantages à recevoir un organe prélevé sur le vivant. » Le risque de rejet, défini par la survenue d’une bronchiolite oblitérante, est diminué ; il serait lié au temps d’ischémie du greffon. Il semble exister, en outre, moins de conflits immunologiques entre parents et enfants. « Autre bénéfice majeur : sur liste d’attente, près de la moitié des receveurs potentiels décèdent avant d’être greffés. La transplantation avec donneur vivant permet de diminuer cette mortalité. » Enfin, l’intervention est programmée et réalisée dans des conditions optimales. Il existe, en revanche, un stress bien plus important puisque trois pronostics vitaux sont mis en jeu au lieu d’un seul et que le receveur connaît le risque pris par ses donneurs.

Le couteau sous la gorge

Quant aux parents, il voient un avantage considérable à la transplantation : elle permet à leur enfant de vivre plus longtemps. C’est aussi ce qui crée le problème éthique. En France où seuls le père, la mère ou les frères et sœurs peuvent donner, « ils se trouvent, en quelque sorte, avec le couteau sous la gorge, reconnaît le Dr Souilamas. Dès lors qu’ils connaissent la possibilité de ce don d’organe, ils se sentent obligé de donner, même s’ils ne le souhaitent pas vraiment ». « Aussi poursuit-il, nous leur exposons tous les arguments possibles leur permettant de renoncer. Faute de quoi on ne peut parler de consentement éclairé. Il faut que les donneurs potentiels soient en position de dire non, sans sentiment de culpabilité. Et que le receveur puisse aussi refuser. » Les parents sont informés des risques : décès, reprise pour hémorragie, infection, fistule, amputation de la fonction respiratoire de 20 %, douleurs postopératoires (la voie d’abord la plus douloureuse en chirurgie) et résiduelles de désafférentation (hypo- ou hyperesthésie cutanée), choc opératoire. Selon deux études américaines (Tarnes et coll., Paterson et coll.) la morbidité chez les donneurs est très variable, faible dans l’une, importante dans l’autre, avec un rejet proche de zéro chez l’un et assez significatif chez l’autre. Le taux de survie pour les receveurs se situe autour de 50 % à cinq ans. « Un consentement par devoir n’est pas éthique. Dans cette procédure, le transplanteur n’est plus un prédateur d’organe, mais un négociateur », insiste le Dr Souilamas. Le besoin se fait sentir d’un médiateur médical indépendant de l’équipe de transplantation.

Dernier point éthique soulevé par le Dr Souilamas, celui du court délai avant l’intervention, alors que les patients sans donneurs restent environ quatorze mois sur liste d’attente, avec le risque de décès déjà évoqué. « Comme il existe une inégalité entre les enfants dont les parents peuvent ou veulent donner un organe et les autres, peut-être faudrait-il ne réaliser la greffe avec donneur vivant que lorsque le risque vital est mis en jeu à court terme. »

Donner son rein et offrir plus de 35 ans de vie

En matière de don de rein avec donneur vivant, explique le Pr Marc-Olivier Bitker (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris) il n’y a pas d’indication spécifique (contrairement à ce qui se passe avec le poumon), mais des contre-indications spécifiques. « Elles découlent des avantages de ce type de transplantation. »

Tout d’abord, la nature de la néphropathie : une affection familiale transmissible ; une néphropathie, dont on sait qu’elle récidive sur le greffon dans un pourcentage élevé de cas, notamment les hyalinoses segmentaires et focales et les microangiopathies thrombotiques. Il n’est pas raisonnable, dans ces conditions, de prélever le rein d’un parent sain quand on sait que le greffon sera détruit à terme.

D’autres contre-indications sont liées au receveur. Les greffes avec donneur vivant sont réputées donner de bien meilleurs résultats à moyen et surtout à long terme. En revanche, si la durée de vie prévisible du receveur est inférieure à la demi-vie moyenne d’un greffon de cadavre (douze ans), il n’est pas légitime d’utiliser un organe prélevé sur le vivant.

Enfin, « un donneur est par définition quelqu’un de sain. Il ne doit présenter aucun risque opératoire. L’individu le plus précieux pour le transplanteur est le donneur. Il ne faut pas transformer un malade en deux malades », insiste le Pr Bitker.

Une fois éliminées ces contre-indications, la greffe peut être proposée. « Les avantages pour le receveur sont multiples. » La demi-vie d’un rein de cadavre est de douze ans. Celle du rein d’un individu HLA semi-identique ou d’un conjoint dépasse vingt ans. S’il s’agit d’un frère ou d’une sœur HLA identique, cette durée dépasse trente-six ans.

Autre intérêt, l’intervention peut être programmée. Elle n’est plus réalisée dans l’urgence, mais « au moment idéal pour le transplanté, voire avant le stade dialyse ».

En fonction des communautés antigéniques entre donneur et receveur, il est aussi possible de diminuer l’immunosuppression et donc ses risques.

La qualité du greffon

« Nous avons en outre la certitude totale de la qualité du greffon. Cela est très important à notre époque de pénurie de greffons d’origine cadavérique, où les critères de sélection ont tendance à être élargis à des “reins limites”. »

« Quant au donneur, il n’a qu’une seule information à recevoir : il existe un risque opératoire, actuellement estimé à 3 décès pour 10 000 interventions. » Ensuite, il pourra mener une vie totalement normale. Les donneurs vivent même en général un peu plus longtemps que les autres membres de la famille. « Peut-être parce qu’ils sont mieux surveillés, mais aussi parce qu’on a prélevé ceux qui sont en meilleure santé dans la fratrie. » Leur avenir rénal n’est pas altéré par leur rein unique. On déconseille seulement d’éviter les sports violents (moto, équitation, parachutisme).

La chair de ma chair

Reste le consentement du donneur. « Les mamans ne posent pas de question. Elles donnent toujours leur rein pour leur enfant insuffisant rénal. Pour les pères, la situation est un peu moins claire. Peut-être ressentent-il moins ce côté “la chair de ma chair” et peut-être aussi sont-ils un peu plus douillets… Mais ils donnent aussi leur rein. Le vrai problème éthique existe entre frères et sœurs. Il s’agit alors de cas particuliers à évaluer par l’équipe, notamment le personnel paramédical. A la Pitié, sur 100 transplantations, 98 % de sujets referaient le don si c’était nécessaire. » Après l’intervention, les donneurs éprouvent une plus haute estime d’eux-même. Ils trouvent seulement que le receveur se préoccupe un peu trop de leur santé.

Dr Guy BENZADON

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