Actualités

Dons croisés en Espagne : ça marche !

Face au manque d’organes pour greffer des malades, l’Espagne a lancé un programme organisant l’échange de reins entre personnes vivantes et compatibles. Premières expériences rapportées par ABC.

A 900 km de distance les uns des autres, Xavier et Sarah, Manuel et Isabelle sont reliés par un cordon invisible. Les deux couples ne se connaissent pas, mais ils se doivent la vie. Car, voilà six mois, Isabelle et Sarah ont respectivement reçu les reins de Xavier et de Manuel, tous deux volontaires pour un don d’organe, mais qui ne pouvaient offrir leur rein à leurs propres épouses, faute de compatibilité pour la greffe. Ils ont donc procédé à un “échange”. Ces quatre personnes – dont le nom a été changé pour respecter leur anonymat – sont les premières à participer à une transplantation croisée. Avec ce projet pionnier en Espagne, l’Organisation nationale de la transplantation (ONT) espère accroître le nombre de donneurs vivants de reins, afin de réduire les listes de malades en attente d’une greffe.

Le don d’organes entre personnes vivantes constitue l’un des défis du moment en Espagne. De fait, la demande d’organes augmente alors que la principale “source” se tarit. L’an dernier, quelque 4 000 greffes ont été effectuées, un nombre record pour l’ONT. Cependant près de la moitié des donneurs étaient des personnes âgées de 60 ans et plus. Avec la baisse du nombre des décès dus aux accidents de la route, les donneurs jeunes commencent à se faire rares, à tel point qu’aujourd’hui un individu d’âge moyen a plus de chances de trouver un organe qu’un patient jeune. “La seule option raisonnable est de promouvoir le don d’organes entre personnes vivantes”, explique Rafael Matesanz, le directeur de l’ONT. “Nous savons que, lorsque les donneurs sont sélectionnés avec précaution, le risque de vivre avec un seul rein est faible et l’opération, très peu traumatisante.”

L’année dernière, les transplantations rénales effectuées grâce à des donneurs vivants ont augmenté de 50 %. Mais une intervention sur trois échoue en raison de problèmes d’incompatibilité entre donneur et receveur. D’où la solution de la donation croisée d’organes. “Tout le monde y gagne, affirme M. Mantesanz. De cette façon, la volonté des donneurs est satisfaite et un plus grand nombre de patients peuvent renoncer à la dialyse.” C’est ainsi que Xavier et Manuel ont participé, en 2009, à la première campagne d’échanges. Les deux hommes et leurs épouses ont été sélectionnés parmi une quarantaine de couples. Xavier a fait le voyage à Barcelone, à l’Hospital Clinic, pour donner son rein à Isabelle, tandis que son épouse, Sarah, était quant à elle admise à l’hôpital Virgen de las Nieves, à Grenade, pour recevoir le rein d’un inconnu, Manuel. Le même jour à la même heure, les deux femmes entraient simultanément au bloc opératoire, cela afin que personne ne puisse revenir sur sa décision, et subissaient leur greffe de rein.

Six mois plus tard, tous quatre sont en bonne santé. Xavier et Manuel se sont habitués à vivre avec un seul rein ; Sarah et Isabelle ont aujourd’hui une nouvelle chance de mener une vie normale.

Evidemment, Xavier aurait voulu donner son rein à sa femme. Mais il est aujourd’hui conscient que cette opération croisée a permis à deux personnes de bénéficier d’une greffe. Et, si c’était à refaire, il n’hésiterait pas. “Le plus dur, se souvient-il, c’était d’être loin de ma femme pendant son opération, chacun de nous étant au bloc opératoire d’un hôpital différent.”

Xavier a été longuement averti des risques possibles de l’intervention. Il a comparu devant le comité éthique de l’hôpital pour exposer ses motivations face à un juge. A l’aspect médical devait s’ajouter la certitude que le donneur était conscient de l’engagement qu’il prenait et qu’aucun intérêt commercial n’était mêlé à sa décision. “Je leur ai dit que celle qui était en danger, c’était ma femme”, explique Xavier.

Vingt-six autres couples rapprochés par un lien qui n’est pas forcément sentimental attendent aujourd’hui des nouvelles d’une éventuelle transplantation. Miguel et Lola, par exemple, pourraient être sélectionnés. Depuis qu’ils font partie du programme, chacun d’eux reste scotché à son téléphone portable pour ne pas rater l’appel de l’hôpital. Lola est sous dialyse depuis quatre ans, prisonnière trois fois par semaine d’une machine qui filtre son sang trois heures durant. Ni son mari ni aucun de ses trois enfants ne remplissent les conditions pour lui donner un rein. Elle est anxieuse : “J’attends depuis un an, et chaque jour me paraît plus long. Si je bénéficie d’une greffe, je pourrai enfin passer des vacances dans un village de Castille que je connais, mais qui pour l’instant est pour moi trop éloigné de tout centre de dialyse.”
 

Nuria Ramírez de Castro, Courrier international, 2 février 2010.

 

Partagez

Plus de lecture

Répondre

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *