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Le parcours d’obstacles de la ciclosporine

Le parcours d’obstacles de la ciclosporine

Principal médicament contre les rejets de greffe, la ciclosporine a d’abord été testée sans succès comme antibiotique, puis comme anticancéreux. Son développement a même failli s’arrêter pour cause de réorientation stratégique du laboratoire Sandoz.

En 1969, Hans Peter Frey, ingénieur du laboratoire suisse Sandoz (aujourd’hui partie de Novartis), revient de ses vacances en Norvège avec, dans ses bagages, une poignée de terre ramassée sur les plateaux de la région de Hardanger. Rien de sentimental dans cette démarche, accomplie dans une optique tout à fait scientifique : on sait en effet que de multiples micro-organismes peuplent le sol. Pour se faire une place au soleil, ils sécrètent différentes substances antibactériennes ou antifongiques capables de tuer leurs concurrents et d’assurer leur suprématie. Ces substances actives constituent donc autant d’antibiotiques ou d’antifongiques potentiels. Or Sandoz a une tradition de développement de molécules naturelles.

A partir de l’échantillon ramené par Hans Peter Frey, le laboratoire identifie une souche de champignon microscopique, « Tolypocladium inflatum ». Mise en culture dans les laboratoires bâlois, la souche sécrète une molécule qu’on baptise ciclosporine en raison de sa forme cyclique. Testée comme antibiotique, la ciclosporine s’avère non toxique mais aussi, malheureusement, tout à fait inefficace. Les chercheurs de Sandoz la laissent donc de côté.

Un essai non reproduit
C’est en 1972 que Jean-François Borel va découvrir son effet immunosuppresseur, c’est-à-dire sa capacité à bloquer l’action du système immunitaire, qui protège l’organisme des agents extérieurs – qu’il s’agisse de micro-organismes ou d’organes greffés. Ce chercheur, qui dirige le laboratoire d’immunologie du groupe suisse, décide de tester l’activité immunosuppressive des substances microbiologiques non toxiques qui n’ont pas donné de résultats satisfaisants dans d’autres indications.

Après son échec comme antibiotique, la ciclosporine était alors testée sans succès comme anticancéreux. Cela aurait dû dissuader l’équipe de Jean-François Borel de s’y intéresser, car les activités anticancéreuse et immunosupressive vont généralement de pair. Mais, les chercheurs passent outre et la testent quand même sur des souris. Cette fois, l’essai est concluant.

Mais « la situation se complique », comme le raconte Jean-François Borel : il ne parvient pas à reproduire le résultat. « Malgré un sentiment sournois de doute, j’ai refusé d’accepter la défaite », se souvient-il. Heureusement. L’explication viendra plus tard : administrée initialement aux souris par injection, elle leur a ensuite été donnée par voie orale, ce qui avait changé certains paramètres de l’expérience. « Un immunosuppresseur doit pouvoir être pris par un transplanté pendant de nombreuses années. Il était donc important de savoir dès le début si la ciclosporine était active par voie orale. » Par la suite, certains facteurs expérimentaux ont été modifiés et, progressivement, l’activité immunosuppressive est réapparue.

La ciclosporine est purifiée en 1973, sa structure et ses propriétés chimiques sont élucidées deux ans plus tard. Les chercheurs sont de plus en plus convaincus d’être en présence d’un immunosuppresseur inédit et révolutionnaire.

Marché de niche
Mais une nouvelle menace se fait jour : le comité directeur de la recherche de Sandoz a établi un nouveau plan décennal… où l’immunologie ne figure plus.

En effet, la transplantation est considérée comme un marché de niche, alors que la production et la purification de la ciclosporine sont difficiles et coûteuses. Par chance, au-delà des greffes d’organe, la molécule peut concerner un marché beaucoup plus grand : les maladies auto-immunes. Ces pathologies (sclérose en plaques, polyarthrite rhumatoïde, maladie de Crohn, etc.) résultent d’une hyperactivité du système immunitaire contre des substances ou des tissus qui font pourtant partie intégrante de l’organisme. Or la polyarthrite rhumatoïde figure, elle, dans les priorités du plan décennal. C’est ainsi que le projet va être sauvé : la ciclosporine sera développée comme traitement anti-inflammatoire chronique.

Lors de la première présentation des résultats devant la Société britannique d’immunologie, à Londres, plusieurs chercheurs expriment cependant leur désir d’utiliser expérimentalement la ciclosporine pour des greffes. Notamment un pionnier du domaine, le Britannique Roy Calne. Après avoir testé la ciclosporine sur un rat transplanté, il sera le premier, en 1978, à l’administrer à sept patients ayant subi une transplantation rénale. Cinq d’entre eux quitteront l’hôpital avec des reins fonctionnels, et Roy Calne convaincra alors la direction de la recherche de Sandoz d’entreprendre des essais cliniques. C’est ce processus qui aboutira, en novembre 1983, à l’autorisation de mise sur le marché par la Food and Drug Administration américaine de la ciclosporine comme traitement antirejet.

CATHERINE DUCRUET, Les Echos

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