- Ce sujet contient 8 réponses, 1 participant et a été mis à jour pour la dernière fois par , le il y a 16 années et 10 mois.
-
Sujet
-
En attendant la suite des écrits en cours, et pour se changer les idées, je vous convie à la lecture d’une nouvelle dont la principale originalité tient à son mode de rédaction : elle fut réalisée en « Atelier d’écriture », en seulement cinq jours, par un groupe de vacanciers, sous la houlette d’un écrivain (non directif !) La région et son histoire furent les principales sources de leur inspiration.
LA TCHENE
Le feu englouti…Nouvelle littéraire
Alain Bellet, écrivain et ses complices…
Monique et Daniel Bouzou – Chantal Thierry – Dominique Decarpentry – Christiane et Basile Toulza – Jacques Variengien – Fabien Roger et / avec Alain BelletVillage CCAS de la Raviège
Chantier artistique
Images et Mots
Août 1997* *
Avant propos
Le lac de la Raviège
Situé dans le département de l’Hérault et la région Languedoc-Roussillon, c’est un barrage EDF qui est à l’origine du lac. Il retient les eaux de l’Agout sur une surface de plus de 400 hectares et 12km de long. La hauteur de l’édifice dépasse 35m et a deux vocations : la production d’électricité et la maîtrise du débit de la rivière Agout. Le nom du lac vient du hameau de Raviège qui fut englouti lors de la mise en eau du barrage en 1957.
Située dans le Parc Naturel Régional du Haut-Languedoc, La Salvetat-sur-Agout (occitan : La Salvetat d’Agot) est au cœur d’un pays de lacs, de rivières et de forêts. La ville s’est créée au Moyen-âge.
Commune située au confluent de la Vèbre et de l’Agout dans la zone que l’on appelle les Hauts cantons ou l’altitude varie entre 663 à 1087 mètres. Autrefois elle était sur la route de Saint Jacques de Compostelle, de cette époque elle a gardé son goût pour l’hospitalité.
La commune est reconnue pour son eau minérale gazeuse qui est commercialisée partout en France. Ce terroir est un des berceaux de la charcuterie artisanale en Haut Languedoc. Cité médiévale, la ville a laissé en héritage des vestiges remarquables dont une chapelle romane, et un pont du 12ème. Le vieux village recèle de belles voûtes à la tour de Cazal.
Ici, la végétation n’a pas à subir les canicules du littoral en raison du climat océanique et de l’altitude (800m). Posé au milieu de la forêt de hêtres et de sapins, le lac de la Raviège fait le bonheur des baigneurs et passionnés de voile. Sur les berges, une foule de sentiers pédestres et VTT sillonnent les bois.* *
“Pour une fois, on est tranquille !” s’était dit le vieux Simon en s’installant sur la rive du lac. “Pas de pédalos ou de dériveurs remplis de vacanciers bavards qui effraient le poisson !”
Simon aimait ces instants de solitude où seul la faune du lac troublait son intimité. Il faut dire que les rides malicieuses de son visage buriné par le soleil du sud accusaient son âge. Soixante-quatre ans ou presque, passés à pêcher sur le lac de la Raviège et les dizaines de milliers de visiteurs de passage qu’il avait croisé avaient usé son regard.Quand le petit Marco s’approcha, l’homme se retourna pour l’inviter à partager ce moment de quiétude, sans une parole, juste d’un plissement des yeux auquel l’enfant répondit par un sourire aussi puissant que le feu du soleil de ce bel été, entre Hérault et Tarn. Dans ce silence aussi profond que les grands fonds marins, Marco humait l’air du lac, écoutait le frissonnement de sa surface caressée par le vent, et s’aveuglait aux mille scintillements qu’allumait le soleil sur l’onde.
“Maman… Maman… Où es-tu ? Que fais-tu ? M’attends-tu au ciel, comme dit Monsieur le Curé, ou es-tu restée au fond de l’eau comme à la fin du Grand Bleu ?”– Marco… souffla Simon comme en s’excusant de trancher le silence.
– …
– Marco ! ! ! répéta-t-il, pour interrompre les rêveries de l’enfant qu’il considérait d’un mauvais oeil.
– Oh ! Simon ! J’étais encore parti avec ma mère, dans l’eau…
– Je sais, je sais… Je t’ai raconté cent fois que ta mère Viviane, qui travaillait aux champs, à été emportée par la crue de l’Agout lors d’un terrible orage… Son corps n’a jamais été retrouvé… Faut dire qu’avec tous les gouffres de la région… On la retrouvera peut être un jour, sous la jolie forme d’un fossile… Mais, je t’en prie, n’y pense plus ! Je suis là pour m’occuper de toi…Le vieux se tut, laissant des mots en suspens, ruminant cette vieille histoire, puis il jeta un caillou dans l’eau.
Marco regarda tendrement le vieil homme en pensant qu’il faisait un super-papy mais qu’il ne remplacerait jamais ni sa mère disparue trop tôt dans les flots, ni ce père qu’il n’avait jamais connu. Comme aimanté, son regard se porta à nouveau vers l’eau où l’ombre que dessinaient les grands arbres ressemblait au visage d’une belle femme qui aurait pu s’appeler Viviane.Simon se rappelait maintenant sa dernière rencontre avec Viviane. Il lui avait apporté un plein panier d’écrevisses qu’il avait braconné dans un coin secret. Ils les avaient mangées ensemble, arrosées d’un Gaillac rosé bien frais que la jeune femme tenait d’un ami viticulteur. C’était la veille de ce maudit jour de malheur… Depuis, Simon ne pêchait plus d’écrevisses et ne buvait plus que de l’eau de la Salvetat… “Que nous avions ri, cette nuit-là, et comme nous nous aimions !”
– Marco ! Marco ! Viens jouer avec nous ! On va à la cabane magique, dans la forêt !
La petite Mylène et son frère Aymeric appelaient avec force leur nouvel ami. Chaque jour, les trois enfants se retrouvaient, entre rires, jeux et moments graves et silencieux, ceux qui suivaient toujours les mots du petit Marco, qui leur racontait, une fois de plus, la disparition de sa pauvre mère…* *
Le petit village d’Anglès ressemblait à tous ses frères, poussés sur les collines d’Occitanie entre caillasses et forêts.
Sur les bancs de ciment blanc de la petite place, quelques vieux parlaient entre eux du village englouti comme d’une vieille blessure jamais cicatrisée.
Simon les regardait, moqueur. En tirant de temps en temps sur sa pipe toute culottée, il les écoutait. Lui aussi aimait raconter l’histoire de Raviège et ses propres mots résonnaient alors dans sa tête.
“Dans ce site de rêve, verdoyant et boisé, notre petit village respirait la montagne et la fraîcheur. Il vivait au rythme paisible des habitants, vieux et moins vieux qui se souvenaient…”A quelques mètres du pêcheur, Marco espérait que le vieil homme allait enfin se mêler de la conversation. D’une discrète oeillade complice, il l’incita à ajouter son grain de sel. Le petit garçon aimait l’écouter sans perdre un seul mot.
“Il boit mes paroles, comme une liqueur douce de chez nous !” se disait souvent Simon, en regardant tendrement le petit orphelin. Mais Simon ne pouvait y échapper, l’heure de son couplet préféré était arrivée.– La construction du barrage a condamné les villageois amoureux de leurs terres et enracinés dans leur vallée à s’expatrier vers les nuages, sur les hauteurs panoramiques qui surplombent le lac… Le progrès ! Il a suivi son cours, la technologie a contraint les eaux intrépides, dévalant les montagnes, à se rassembler et à former le lac…
Simon aimait souligner que, pour lui, le lac était le reflet authentique de la physionomie des mystères de son pays. Une île se dressait en son milieu, arrogant souvenir des terres abandonnées et du village englouti par les eaux mais qui, pour Simon et quelques autres, vivait toujours, au-delà du regard des touristes.Il précisa :
– Souvent, sur les berges du souvenir, moi, le pêcheur, un peu nostalgique si vous voulez, je vais jeter mes lignes au petit matin, dans la brume bleutée… Rien du vieux village ne m’échappe…Simon était sur le lac, Simon était au fond du lac. Son regard habitué perçait l’onde. Il refaisait toujours son pèlerinage mental dans les profondeurs, aux sources de sa vie. Errant par la pensée dans les ruelles de son enfance, il s’enfonçait jusqu’au vieux lavoir du village, une de ces belles constructions solides et rustiques, faites du granit du pays. Désormais, les lichens et les poissons l’avaient envahie. Simon voyait les générations de lavandières, le battement de leur linge appartenait à l’éternité. De temps à autre, le vieil homme glissait sur les pierres moussues, laissant échapper un juron, puis il reprenait son errance rêveuse.
– Tiens, des fois, je vois une brebis traîner, marmonna-t-il. Le vieux Capitaine berger ne doit pas être loin !Un autre vieux l’interrompit :
– Le Capitaine ! Pauvre bougre… Voulait pas quitter sa maison, son champ, sa terre… Alors, il est resté… Il est toujours là, tout en bas… Il prend éternellement le frais, assis devant sa porte, sous des milliers de tonnes de flotte bien pure… Il doit veiller sur nous, avec sa Vérité, sa connaissance du lac, de l’intérieur, lui… Pas à la surface des choses, comme nous autres…
– Bien sûr, qu’il est toujours devant sa porte, en bas ! renchérit le pêcheur.
– Eh, Simon, tu sais bien que c’est pas sûr ! Il n’est plus là, mais il est peut être parti ailleurs, le vieux têtu… Il n’est pas forcément au fond !
Le pêcheur n’aimait guère être interrompu, surtout lorsque le gêneur ne voulait pas admettre l’évidence !Simon savait bien la vie profonde. Au détour de l’une des ruelles, d’interminables algues, longs doigts entrelacés, laissaient s’échapper, furtifs, des petits bancs de poissons argentés.
Simon cheminait dans sa tête, Simon cheminait au fond du lac. Au milieu des mousses et des lichens, sur les éboulis de pierres et de roches roulées, il redécouvrait son village, s’approchait de la vieille église, se souvenait de son clocher roman à la silhouette massive, sobre et sévère. Il contournait le bazar-épicerie du père André, empruntait l’une des vieilles venelles médiévales, se taillant un chemin parmi les débris d’algues. Et là, il rencontrait toujours le Capitaine. Ce surnom lui venait du fait qu’il racontait inlassablement les souvenirs de “sa guerre” dans le maquis du Minervois, et qu’il menait son troupeau comme s’il commandait une compagnie de soldats.
Il sortit de ses pensées et repris la parole :
– Oui, bien sûr qu’il est toujours devant sa porte, en bas ! Sérieux, assis sur sa chaise… Même que la chaise a changé de couleur, avec l’eau et le temps… Elle est verdâtre… Le Capitaine est toujours là, fidèle, solide, appuyé sur sa canne de berger, bien vivant… Il surveille toujours son troupeau dans le silence de sa solitude… Seuls les poissons le dérangent un peu… Les moutons montent et redescendent sur les pentes herbeuses, un peu humides, j’en conviens…Il s’arrêta de parler. Il entendait les cloches de Raviège. Heureux et apaisé d’avoir revu, même en pensées, le Capitaine. Son regard remontait des profondeurs, le long des pentes, il resurgissait à la surface de l’eau. Chaque jour, le clapotis ponctuait le temps, les poissons qu’il tirait de l’onde le replongeait dans le réel.
* *
- Le forum ‘La vie autrement …’ est fermé à de nouveaux sujets et réponses.