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Barack Obama est confronté à la difficulté de lancer des réformes
LE MONDE | 01.08.09 | 13h26 • Mis à jour le 01.08.09 | 13h26
Washington Correspondantee la difficulté de réformer en Amérique : telle est l’expérience que fait Barack Obama, six mois après son entrée en fonction, après avoir été élu avec ce qui paraissait être un mandat pour le changement. Vendredi 31 juillet, le président a réuni ses ministres pour un séminaire de réflexion à Blair House, la résidence des hôtes étrangers, face à la Maison Blanche. Ordre du jour : remobiliser l’électorat autour des réformes, au moment où l’atmosphère de crise nationale est passée.
L’administration essaie de faire bonne figure. Mais à la veille des vacances parlementaires (le 1er août pour la Chambre, le 8 pour le Sénat), les résultats sont maigres par rapport aux efforts accomplis : pas de réforme de la régulation financière ; un compromis tiède sur le changement climatique – et uniquement à la Chambre ; un ravaudage du système de santé, émietté entre une demi-douzaine de comités qui travaillent sous les assauts des groupes d’intérêt.
“La politique est en train de ruiner la croyance naïve que les Etats-Unis sont une démocratie qui fonctionne”, écrit le commentateur de gauche David Sirota, auteur d’un livre qui prédisait l’an dernier la montée des “révoltes” populistes. Dans Time Magazine, le chroniqueur Joe Klein décrit lui aussi un système paralysé. En accusation : les médias partisans, l’argent des campagnes électorales, le fait que chacun de leurs votes peut valoir aux candidats d’être “décapités en vingt secondes” par une publicité négative… “Tout cela créée une atmosphère empoisonnée qui rend la possibilité de légiférer sur les sujets importants presque inexistante”, écrit le journaliste.
La réforme du système de santé est l’illustration de ces difficultés. Présenté comme une nécessité depuis des années, le sujet fait figure de catalyseur des divisions nationales. Les républicains ont réussi à l’inscrire dans l’éternelle “guerre culturelle” qui les sépare de la gauche sur des sujets de fond comme le rôle de l’Etat dans l’économie ou l’avortement. D’autres répondent que le blocage est surtout l’oeuvre des intérêts particuliers : traduisez les compagnies d’assurances.
Barack Obama a choisi de ne pas présenter lui-même de plan. Il ne voulait pas reproduire les erreurs de Bill et Hillary Clinton, à qui il avait été reproché en 1993 de ne pas consulter assez. Après avoir convoqué tous les acteurs – compagnies d’assurances, médecins, associations, syndicats – pour un sommet à la Maison Blanche, et après avoir enregistré les déclarations de bonnes intentions des uns et des autres, M. Obama a laissé le Congrès travailler (son directeur de cabinet, Rahm Emanuel, surveillant de près les négociations).
La Maison Blanche voulant un accord “bipartisan”, les sénateurs démocrates essaient, depuis, de convaincre une poignée de centristes républicains. Six élus – trois démocrates et trois républicains de la commission des finances – négocient à huis clos. Jeudi, ils ont écarté “l’option publique” : la pièce maîtresse du dispositif de M. Obama, soit l’assurance fédérale qui garantirait que tous les Américains seront assurés, mais que les compagnies n’aiment pas parce qu’ils la jugent comme une concurrence déloyale. A ce jour, ils ont examiné 300 amendements en 23 séances.
A la Chambre, c’est un groupe de sept, surtout des démocrates du Sud, qui ont pris la haute main sur les négociations. Ces élus font partie des Blue Dogs, un groupe de 52 parlementaires, centristes modérés qui n’ont pas d’idéologie particulière, ni de leader d’envergure ou de relais à Washington. Pour accepter un impôt sur les hauts revenus, les Blue Dogs ont fait monter la barre de 300 000 à 500 000 dollars (354 000 euros). Comme l’a montré le Washington Post, ils ont reçu plus de 1 million de dollars en contributions de campagne cette année, plus que les autres groupes démocrates au Congrès.
Au total, ce sont donc treize parlementaires qui décident de l’orientation de la réforme, alors qu’ils sont surtout originaires de zones rurales et représentent moins de 15 millions de personnes. Selon le Center for Responsive Politics, le secteur de la santé a donné 12 millions de dollars à ces treize élus pour leur prochaine campagne, en 2010. “L’industrie de la santé n’a même pas besoin de faire campagne dans les cinquante Etats, explique David Sirota. Elle peut se contenter d’acheter un petit groupe de parlementaires”, surtout dans des Etats ruraux où les publicités politiques télévisées ne coûtent pas cher.
Ne voulant pas se mettre en avant, la Maison Blanche n’a pas “formaté” le message. Elle a laissé le champ libre aux républicains. Ceux-ci ont joué sur la peur. Alors que 80 % des Américains sont satisfaits de leur assurance médicale, les républicains affirment que le plan du gouvernement va réduire leur couverture. M. Obama a beau répéter que ceux qui sont satisfaits de leur plan ne verront pas de changement, ils accusent la Maison Blanche d’organiser le rationnement des soins de santé.
Au printemps, les républicains ont pris les conseils du sondeur Frank Luntz. Celui-ci leur a conseillé d’étudier leur langage. Plutôt que “option publique”, le terme choisi par l’administration pour l’assurance gouvernementale, utiliser l’expression “plan du gouvernement” (sous peine d’amende, a suggéré le républicain John Cornyn). Ou mieux : “Prise de contrôle par Washington”.
Le stratège leur a aussi conseillé de personnaliser le débat lorsqu’ils évoquent les périls des systèmes de santé à l’étranger. Deux jours plus tard, Mitch McConnell, le chef de file républicain au Sénat, a raconté l’histoire d’une certaine Fran Tooley, de l’Ontario, qui avait deux hernies discales mais s’est vue intimer l’ordre d’attendre un an pour voir un neurologue. “Les Américains ne veulent pas se retrouver comme Fran Tooley”, a-t-il conclu.
La tactique a payé. Dans le New York Times du jeudi 30 juillet, l’économiste Paul Krugman raconte qu’un militant de Caroline du Sud a intimé au gouvernement de ne pas essayer “de s’en prendre à mon Medicare”. Apparemment, le retraité avait oublié que Medicare, qui fonctionne avec le système de payeur unique qu’abhorrent les républicains, est l’assurance fournie par le gouvernement aux personnes âgées. Autre réaction, enregistrée en Louisiane : “Alors Washington va nous forcer à adopter un régime de médecine socialisée” ?
Corine Lesnes
Article paru dans l’édition du 02.08.09
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