Catherine : des épreuves qui m’ont rendue plus forte.
Si je tiens à témoigner c’est avant tout pour rassurer les malades qui vivent la même situation que celle que j’ai vécue et qui ont du mal à voir le bout du tunnel. Je peux dire après 25 ans de maladie et de galère que la vie est merveilleuse et précieuse et il ne faut jamais baisser les bras et toujours se battre.
Toutes ces épreuves m’ont rendue plus forte, plus sereine je n’ai plus une seconde à perdre…
Je vais avoir bientôt 40 ans, un fils Arnaud 15 ans.
En 1979, je me suis cassé le nez, une mèche a glissé dans la gorge, le SAMU m’a emmenée aux urgences où j’étouffais ; ils ont alors retiré la mèche. Au bout de deux mois, à la suite de ce choc émotionnel, je suis tombée dans le coma et les médecins ont diagnostiqué un diabète, je suis devenue diabétique insulino-dépendante avec alors seulement deux piqûres d’insuline par jour, les micro fines n’existaient pas, ni les lancettes avec l’auto piqueur, on urinait sur des bandelettes qui donnaient le taux de glycémie et l’on adaptait l’insuline en fonction, depuis, fort heureusement, les analyses et traitements sont plus confortables.
A l’époque, j’ai vécu cet état comme une injustice, je ne parlais jamais de maladie, je ne l’ai jamais acceptée, j’ai voulu vivre sans me soucier de ce mal insidieux qui vous bouffe de l’intérieur, vos artères, vos vaisseaux, vos reins, vos os et j’ai payé très cher les conséquences de mon irresponsabilité.
Cette maladie m’a pris mon adolescence, ma jeunesse, m’a volé tellement de rêves, tout d’abord le métier que je souhaitais faire : hôtesse de l’air, impossible pour conserver une glycémie équilibrée, en raison des décalages horaires.
Puis je me suis vite rendue compte que la maladie était un handicap pour une vie sociale, affective équilibrée et épanouie : les amis ou les relations ne comprenaient pas toujours, donc je me suis renfermée sur moi-même. Par contre je me suis battue professionnellement, mais là aussi la maladie a été un obstacle pour une carrière.
J’avais beaucoup de mal à gérer les hypoglycémies que je cachais lorsque j’étais en rendez-vous ou en société donc j’avais trouvé la solution de facilité, j’avais quasiment toujours une glycémie haute et j’étais bien, mon médecin me mettait en garde mais je ne prenais pas très au sérieux ses avertissements car je ne ressentais pas les conséquences immédiates de ma négligence.
Puis les difficultés ont commencé sérieusement lorsque j’ai souhaité avoir un enfant, le gynécologue encourageait cette grossesse, l’endocrinologue l’interdisait formellement. Et là je n’ai écouté que mes sentiments, j’ai foncé.
Tout au long de ma grossesse, j’avais 5 piqûres d’insuline par jour, un diabète très mal équilibré, j’ai été mise sous pompe à insuline, puis j’ai eu une mycose à l’œsophage, je ne m’alimentais plus, donc hospitalisée au 6ème mois, perfusions et à 8 mois et un jour avec une césarienne Arnaud est né à 4,520 kgs (le choix de la césarienne n’est pas lié au diabète mais seulement au fait que je subissais des séances de laser depuis l’âge de 18 ans toutes les 3 semaines pour ne pas devenir aveugle et le fait d’accoucher par les voies naturelles aurait pu abîmer tous les petits vaisseaux qui avaient été cautérisés).
Mon fils est parti en pédiatrie à l’hôpital DEBROUSSE pendant un mois afin de le dé-sucrer et pour que ses organes reprennent leur taille normale. Ensuite pendant 6 mois, infirmière à domicile car je cicatrisais très mal.
Le diabète insulinodépendant n’est pas une maladie héréditaire et mon fils est en parfaite santé mais j’ai beaucoup culpabilisé de lui avoir fait vivre toutes ces années de maladie où je passais deux ou trois mois par an à l’hôpital. A ce jour il est plus mûr que les autres adolescents et heureux de vivre. Pour combler mes absences, notre complicité, le dialogue et l’amour nous ont aidés dans ces épreuves, cet été nous sommes repartis à Marrakech où nous avons vécus des petits moments magiques. Je me dis qu’au bout du compte ce n’est pas la quantité mais la qualité et l’intensité de ces instants de bonheur. II a été mon moteur pour avancer et me battre. C’est grâce à lui et à mes parents que je suis encore là aujourd’hui.
Après, les soucis ont été constants et de plus en plus graves, il n’est pas passé une année sans que je sois hospitalisée, soit pour un coma (hyperglycémie + acétone), poly néphrite, les séances de laser ; pourtant j’étais devenue raisonnable mais il était trop tard. En 94, j’ai été opérée de la cataracte (les deux yeux). En 95 , j’ai pris une infection à un pied, j’ai été arrêtée pendant 4 mois, j’avais une ostéite, ils ont failli me couper la moitié du pied, mais ils m’ont fait du caisson de réfrigération et je n’ai eu que des orteils amputés, je ne pouvais pas marcher donc je me suis retrouvée dans un fauteuil roulant et j’ai vraiment eu envie de mourir. En 97, premier œdème pulmonaire, j’ai été mise sous perfusion de lasilix et j’ai perdu plus de 10 kgs en 3 jours. De l’hypertension
En 98, deux nouvelles amputations d’orteils. En 99,le taux d’urée étant de plus en plus important ainsi que la créatinine, la fatigue incessante, mon néphrologue qui avait une bonne vision des évènements m’a conseillé de faire créer une fistule afin d’anticiper les dialyses, elle a été réalisée tout en haut de l’avant bras gauche, c’est le seul endroit où les veines sont encore ” potables “. Mon généraliste m’a alors proposé de parler à mon néphrologue d’une éventuelle double transplantation rein/pancréas, car ils me connaissaient tous deux très bien et ils savaient pertinemment que je ne supporterai pas longtemps la vie de dialysée.
Mon néphrologue que je connais depuis 15 avec lequel j’ai une grande complicité m’ a expliqué dans le détail l’intervention, les risques et que dans mon cas c’était la seule solution pour retrouver une vie normale.
J’ai fait mon bilan pré-greffe à l’Hôpital Edouard Herriot ; rencontré une psychologue. Je n’ai vu à ce moment-là dans la double transplantation qu’une heureuse délivrance et fait abstraction de tous les risques d’échec et de souffrance.
Trois mois plus tard, j’ai reçu les deux courriers de l’Etablissement Français des Greffes me confirmant mon inscription pour une greffe de pancréas et une greffe de rein. Et là commencent la hantise des sonneries du téléphone, les idées morbides lors des week-ends de mai ou des départs en vacances…
En 2000 , nouvel œdème, pulsations à 120, tension à 22, directement service de réanimation, là encore j’ai été sauvée. Par contre j’étais épuisée et mon médecin m’a proposée de me mettre en mi-temps thérapeutique, je ne travaillais plus que le matin. Mais mon emploi n’était plus ma priorité, je survivais.
L’été qui a suivi, j’avais une cheville très enflée, à la scintigraphie, on voyait une inflammation mais sans aucune cause précise, je ne supportais même pas un drap.
J’avais un taux de créatinine impressionnant et une crise de goutte. Il a été décidé de commencer les dialyses dès le lendemain, une, puis deux, puis très vite trois par semaine, les malaises se succédaient ; le 14 septembre 2001, ma séance ne dure que deux heures, je perds connaissance et je me réveille en réanimation, problème de trijumeau, des maux de tête violents, vomissements, inquiétude, ponction lombaire, IRM, scanner. On ne sait pas, mon état se dégrade de plus en plus, je ne m’alimente plus, ne peux plus marcher, je perds 12 kgs. Finalement le 28 octobre mon néphrologue décide de me laisser rentrer chez moi pour souffler un peu, je me traîne ; je suis sous-alimentée même les compléments alimentaires ne passent pas ; je dois absolument me retaper car si des organes se présentaient, je ne serais pas en mesure d’être greffée.
Puis le 30 NOVEMBRE 2001, mon portable sonne, c’est la coordinatrice de Greffes qui m’informe qu’ils ont deux organes à me proposer, me demande si je suis d’accord et si je peux être présente dans l’heure qui suit.
C’est le bonheur, je lis l’angoisse sur le visage de mes parents de mon fils, nous pleurons, nous stressons, Je suis dans un état second, l’émotion est trop forte ; dans ma tête, je vais enfin être guérie. Sur le trajet, j’appelle tous mes proches. Le fameux cross-match est bon, on peut me greffer. L’anesthésiste que j’avais rencontrée dans le cadre de mon bilan pré greffe est de garde ; elle me rassure, je n’ai pas à redialyser puisque ma séance date de la veille. Le lendemain matin, je monte au bloc vers 9 h, vers 17 h je suis en salle de réveil. A 19 h, je me souviens que l’anesthésiste me prévient d’un problème, je fais une hémorragie, ils doivent réimplanter, j’en ressors à 2 heures du matin.
J’ai presque envie d’oublier l’année qui a suivi ! je suis restée hospitalisée jusqu’en août 2002, puis des perfusions à domicile. Il y a eu durant cette année, successivement : une semaine de réanimation mais les organes ne fonctionnaient pas correctement, j’étais totalement assommée par tous les traitements, la sonde gastrique je crois la plus douloureuse, la sonde urinaire plus une sonde double J, la jugulaire, la pompe à morphine, les agrafes implantées à l’envers, une mauvaise cicatrisation, des épisodes d’hypothermie puis 40° non justifiés puis un début de septicémie, une néphrectomie de mon rein propre, une infection au CMV (cytomégalovirus toujours présent à ce jour) et contre laquelle mon médecin me fait faire des séries de 14 jours de perfusions de cymévan à domicile, mais il fût difficile de trouver une infirmière libérale qui accepte de me faire les perfusions dans ma fistule).
Mon fils et mes parents sont venus me voir tous les jours, sauf en réanimation, je ne voulais pas qu’Arnaud soit impressionné par tous ces tuyaux plus les redons.
Enfin pour résumer plein de soucis, de douleurs et plein de bonheur et tellement de reconnaissance pour mon donneur et sa famille, je sais seulement que grâce à lui, six organes ont pu être greffés, que c’était un homme et qu’il n’avait que 31 ans, mais surtout qu’il n’est pas mort pour rien, que d’autres personnes ont pu revivre normalement grâce à lui.
Un respect sans limites pour mon médecin généraliste et mon néphrologue, les chirurgiens, les infirmières et le personnel d’hémodialyses qui ont toujours été très présents à mes côtés, m’ont soutenue dans ces épreuves ainsi que mon fils et mes parents.
Aujourd’hui je participe au sein de l’ADOT à des réunions d’informations et tout ce que je souhaite c’est que par mon témoignage, des gens en bonne santé se sentent concernés par le don d’organes et décident de devenir donneur.
Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, du moins je l’espère, nous venons avec mon ami de faire une demande d’adoption…
Le meilleur maintenant nous attend, j’en suis persuadée.
Bien amicalement à tous ceux qui souffrent.