Catherine : On peut se faire une vie sympa quand même…
Après vous avoir raconté ma grossesse, j’ai eu envie de vous raconter mon histoire, pour prouver que l’on peut avoir une vie très réussie même en étant dialysé. Je ne nie pas que la dialyse ne soit pas particulièrement agréable mais malheureusement, on n’a pas le choix, il faut faire avec, et il y a 50 ans, nous n’aurions sans doute plus été de ce monde pour en témoigner…
Mon récit va sans doute être un peu long car mon “aventure” dure quand même depuis bientôt 28 ans.
Ma pathologie rénale a été découverte en 1976, j’avais alors 12 ans. Un matin je me suis réveillée avec le visage tout bouffi, et ma mère a tout de suite pensé a de “l’albumine” dans les urines, elle fait un prélèvement d’urine, l’envoie au laboratoire, le résultat revient avec un taux de protéines faramineux, et là, les hostilités étaient lancées…
Après une visite chez le médecin traitant, celui-ci décide que ce n’est plus de son ressort, et il nous envoie en consultation, à l’hôpital régional dont nous dépendons, et je suis mise sous corticoïdes, avec obligation d’alitement pendant 1 mois. Au bout d’un mois, rémission complète, plus de protéinurie. Pendant tout ce temps, je ne suis pas allée à l’école.
Je suis alors en cinquième. Je reprends les cours.
Un nouveau dosage de protéines dans les urines est effectué pour un contrôle, et là, catastrophe, le taux est à nouveau très élevé. Je suis alors hospitalisée à l’hôpital régional, où une décision de biopsie rénale chirurgicale est prise. Le diagnostique tombe : hyalinose segmentaire et focale, la pire puisqu’elle a “l’avantage” de récidiver sur les greffons.
S’ensuivent des hospitalisations répétées dont certaines vont aller jusqu’à deux mois sans rentrer à la maison, sans soutien scolaire (cela n’existait pas à l’époque), et dans un service d’adulte; les journées semblaient bien longues. N’étant que très peu allée à l’école cette année là, je redouble ma classe de cinquième.
Au mois de juillet 1977, les néphrologues de l’hôpital régional décident de m’envoyer à Paris, à l’hôpital Necker.
J’y serai hospitalisée à de multiples reprises entre 1977 et 1980.
Entre temps je suis ma scolarité, et je suis en troisième quand les choses se dégradent brutalement, je suis envoyée en urgence à Necker. La dialyse devient une nécessité, mais il n’est même pas possible de m’endormir pour faire une fistule et je dois dialyser en péritonéal, en aigu, ce qui signifie la pose d’un cathéter péritonéal sans anesthésie (pas terrible, je ne conseille pas).
Bref, après cette petite dialyse, on me confectionne une fistule, et 8 jours après, je commence à dialyser. Au début c’est un peu difficile puisque la fistule n’est pas développée, je suis piquée dans les deux bras, et je dialyse cinq heures.
Après ces débuts à Paris je rentre à la maison.
Il a fallu réfléchir à la façon dont nous allions nous organiser. C’était relativement simple, il y avait deux solutions : soit je partais à Paris dans un centre qui assurait dialyse et études, soit je restais chez mes parents et je dialysais à la maison. Nous avons opté pour la deuxième solution, l’apprentissage a commencé, et là, nouvelle galère, ma mère aurait fait une très très mauvaise infirmière, à chaque ponction elle frôlait l’infarctus et mettait au moins dix minutes à se remettre.
Je tiens d’ailleurs à saluer ici son dévouement, car je pense que pour elle, ces trois années de dialyse à la maison ont du être une véritable épreuve.
Au bout d’un an de dialyse à la maison, j’ai profité de dialyses lors de vacances, chez ma tante, en Vendée, pour apprendre à me piquer (Ah, les vacances. A cette époque, c’était quelque chose. Pour pouvoir être en vacances au Sables d’Olonnes, je dialysais à Cholet, c’est-à-dire 300 Kms de route trois fois par semaines, il fallait vraiment avoir envie de vacances).
Les dialyses ont continué ainsi à la maison pendant trois années, émaillées de petits ou de plus grands incidents. En effet à cette époque, les dialyses n’étaient pas ce qu’elles sont maintenant. Les dialyseurs étaient moins performants, et il n’était pas rare qu’il y ait des fuites de sang, on colmatait, et on continuait ; les débranchements au bout de trois-quarts d’heure de dialyse, et la fois ou ma mère m’a passé de l’air puisque les machines n’avaient aucune sécurité…
Enfin tout cela nous amène en 1983, année assez riche en évènements, puisque je passe mon bac et mon permis de conduire, avec succès, et je suis appelée en greffe.
Cette année là, je pars en vacances en Vendée, et au retour, un soir à 11 heures le téléphone sonne, pour nous apprendre qu’il y a un rein pour moi, et que nous devons nous rendre à Paris le lendemain à 8 heures.
La greffe à lieu, et c’est un peu l’euphorie, je me remets très vite, je n’ai pas du tout souffert, et le rein fonctionne. Je vais vite déchanter car la maladie qui a détruit mes reins récidive sur le greffon et va à nouveau le détruire assez rapidement.
Durant toute cette période, je vais m’inscrire en fac ; d’abord fac de biologie, mais je vais avoir peu de temps pour aller en cours : plasmaphérèses, biopsies, et traitements multiples pour essayer de sauver mon greffon ne m’en laisseront pas vraiment le temps. De plus j’en ai assez de Paris et je préfère rentrer chez moi, et aller en consultation toutes les semaines à Paris.
A la rentrée scolaire de 1984, je m’inscris à la fac de Caen en AES, mais ce n’est pas vraiment ce que j’ai envie de faire, je souhaiterais être infirmière. Mais greffée, sous immunosuppresseurs, ça semble assez difficile.
1985, je redouble, toujours en AES, mais au cours de l’année on me parle de dégreffe, et je décide de passer le concours de l’école d’infirmières, auquel je suis reçue.
Juin 1986, je suis dégreffée, et en octobre, je rentre à l’école d’infirmières où je rencontre beaucoup de compréhension puisque j’ai pu suivre mes trois années d’études, stages hospitaliers et cours, sans trop de problème et en continuant à dialyser.
En 1989, après l’obtention de mon DE d’infirmière, je pose ma candidature à l’hôpital de chez moi, et je suis embauchée en juillet 1989. Au début cela n’a pas été très facile, car comme toutes les nouvelles infirmières embauchées, on “bouche les trous”, c’est-à-dire que l’on est mis une semaine dans un service, un mois dans un autre… A cette époque, je travaille de matin (6h30-14h30) les jours de dialyse et le soir (13h30-21h) les jours sans dialyse, ma vie se résume donc à ” boulot-dialyse- dodo “.
Fin 1989, je prends rendez-vous avec l’infirmière générale, pour voir s’il serait possible de me trouver un poste où j’aurais la possibilité de mieux concilier ma vie professionnelle et ma vie personnelle. Coup de chance, celle-ci a travaillé pas mal d’années en dialyse et comprend bien mon problème ; elle me propose un poste en salle de réveil au bloc, et là, c’est le bonheur, je travaille de 7h à 15h, et je dialyse après, j’ai l’impression d’avoir beaucoup plus de temps libre.
En 1989, je rencontre mon compagnon et nous nous installons ensembles. En 1993, ma fille voit le jour (mais çà, je l’ai déjà raconté dans les détails), en 1994, nous achetons une maison.
Aujourd’hui, je travaille à temps partiel (80%), je m’occupe de ma fille (c’est-à-dire que comme toute maman, je l’emmène à l’école le matin, je vais la rechercher le soir, je l’amène à la danse, le mercredi, et je ramasse les jouets et les affaires qui traînent…), de mon mari, de mes deux chiens et de mon chat, de ma maison, nous partons en vacances, une vie normale quoi !
La seule différence, c’est que trois fois par semaines depuis pas mal d’années, je m’absente le soir pendant quelques heures.
Bien sûr, j’ai conscience que j’ai eu la chance d’être bien entourée, par ma famille ; de rencontrer de la compréhension dans mon travail et surtout d’avoir eu ma fille ; ce qui n’est peut-être pas donné à tout le monde ; mais je crois à l’adage qui dit : ” quand on veut on peut “, et je crois surtout qu’il faut absolument se prendre en charge soi-même au maximum, et se dire que la dialyse, aussi pénible soit-elle, n’est pas l’essentiel de notre vie et qu’il y a des tas de choses sympas à vivre et à faire…