Colloque franco-allemand sur le prélévement et la greffe
Discours de M. Jean-François MATTEI, Ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes Handicapées
Strasbourg, Lundi 24 Juin 2002
Madame la Ministre,
Messieurs les Directeurs, Chers Collègues, Mesdames, Messieurs,
Depuis plus de vingt ans, beaucoup d’efforts ont été accomplis pour faire progresser la réflexion sur les questions de bioéthique. C’est aujourd’hui un domaine où la pensée humaine s’affronte à de difficiles interrogations. Un domaine où l’intelligence et l’émotion, la raison et la passion s’unissent et, parfois, se déchirent. L’homme tente à cette occasion de définir la conception qu’il se fait de sa place dans la société, de préciser le regard qu’il porte sur lui-même et l’espérance qu’il nourrit au-delà de sa vie. C’est la raison pour laquelle j’éprouve, outre le plaisir d’être parmi vous, un vif intérêt à ouvrir les travaux de ce colloque franco-allemand consacré à la greffe à ses perspectives et aux questions éthiques associées.
1° La greffe est, en effet, un geste dont la portée dépasse bien évidemment le simple acte médico-chirurgical. Prélever un élément du corps sur une personne décédée ou vivante pour la transplanter sur une autre personne en danger de mort conduit nécessairement à évoquer les valeurs essentielles qui fondent notre humanité. Dans cette zone de doute métaphysique entre la vie et la mort, ces valeurs sont souvent mises à l’épreuve.
2° Il convient, à chaque fois que la transplantation est effectuée, de se rappeler que le tissu ou l’organe greffé provient d’une personne impliquée, au-delà de sa mort, dans le don de soi à un autre au travers d’un simple geste de fraternité.
C’est le don qui fonde la transplantation. Cette activité met donc notre humanité à l’épreuve.
Depuis près de vingt ans je consacre une grande partie de mes efforts aux débats sur la “bioéthique”. A ce titre, j’ai été le rapporteur du protocole additionnel sur la transplantation d’organes dans le cadre de la Convention des Droits de l’Homme et de la biomédecine élaborée par le Conseil de l’Europe et signée à Oviedo. J’ai ainsi pu apprécier combien, entre les pays, l’harmonisation des points de vue et des pratiques sur un sujet de cette nature est une tâche à la fois délicate et importante. Un des ciments de l’Europe sera certainement la capacité de s’entendre sur des principes communs touchant à des questions aussi essentielles que la vie, la mort ou la dignité du corps humain. En ce sens, un tel colloque, occasion de confrontation de points de vue et de débats, est précieux. J’ajoute même, au-delà de ce que vous imaginez.
3° – La greffe a fait, depuis longtemps, la preuve de son efficacité thérapeutique. Elle peut prolonger la vie de malades, lorsque celle-ci est menacée du fait de la défaillance d’un organe vital, tel que le cœur, le foie ou le poumon. Elle peut également prolonger la vie d’adultes ou d’enfants, autrefois emportés par la leucémie mais qui, grâce à une greffe de cellules hématopoïétiques, peuvent désormais espérer une véritable guérison. Elle améliore la qualité de vie de beaucoup de malades ayant une insuffisance rénale chronique au stade terminal et qui doivent subir les contraintes de la dialyse. Cette dernière leur assure, certes, la survie, mais aussi leur impose la peine de séances longues et répétées chaque semaine. La greffe de cornée, dernier exemple, redonne souvent autonomie et indépendance au malade qui en bénéficie.
Cette efficacité rend cruciale la question du recours à la greffe. Disposer de greffons demeure la préoccupation centrale, des équipes de greffes mais au-delà, s’impose comme une nécessité pour nos sociétés.
Il ne faut pas à ce propos se cacher la réalité des chiffres : en France, pour plus de 6000 patients susceptibles d’être greffés pendant l’année 2001, seuls un peu plus de 3000 ont été greffés. Deux cents personnes sont mortes par défaut de transplantation.
La priorité est donc de s’efforcer de développer le recueil sur le corps des personnes décédées, lorsque cela est possible sachant évidemment qu’il faut fermement condamner tout raisonnement qui, basé sur l’offre et la demande, se rapprocherait des règles du marché économique. Le corps humain est évidemment inaliénable et hors du commerce.
Les difficultés sont variables. Ainsi, une organisation efficace du recueil des greffons cornéens devrait permettre à la France de répondre à l’attente de tous ses malades, et de pouvoir peut-être ensuite, dans le cadre d’actions de coopération, proposer des greffons à des pays voisins n’ayant pas encore mis en place un dispositif de recueil efficace et sûr.
Pour les organes, la situation est beaucoup plus problématique du fait de l’extrême difficulté parfois à faire reconnaître l’état de mort encéphalique. La création d’équipes de coordination hospitalière permet de mieux recueillir le consentement. On constate ainsi depuis quelques années une augmentation régulière, même si elle reste insuffisante, du nombre de donneurs d’organes en état de mort encéphalique.
Ces équipes ont pour mission de soutenir le travail des équipes de réanimation, d’accueillir la famille du défunt et de dialoguer humainement avec elle, de coordonner les multiples tâches nécessaires pour le prélèvement. Elles doivent, enfin, s’assurer du respect de la dignité du corps du défunt et de la sécurité comme de la qualité des greffons.
Je crois que devant la situation de pénurie d’organes nous devons également opter pour une politique plus volontariste en matière de prélèvements d’organes sur personnes décédées. En effet, malgré le principe du consentement présumé admis en France, les médecins renoncent trop souvent devant la réticence de familles qui ne devraient pourtant être consultées qu’à la recherche d’un simple témoignage. Je n’ignore évidemment pas le contexte de peine et de douleur familiale qui rend bien difficile cette démarche. C’est pourquoi je pense qu’il faut encore améliorer les conditions du prélèvement sur personne décédée. Il ne serait pas très logique de développer le recours aux donneurs vivants par simple facilité sans avoir, au préalable, entrepris tous les efforts nécessaires pour privilégier le prélèvement sur personne décédée.
Je suis donc déterminé à encourager les établissements de santé concernés à s’inscrire dans la démarche du prélèvement dans un esprit de santé publique. Je veillerai à poursuivre la mise en place de réseaux inter-hospitaliers de prélèvements et à renforcer les coordinations hospitalières des prélèvements. Le projet 15-20 consiste pour l’Etablissement français des Greffes, à atteindre 20 prélèvements d’organes par million d’habitants par an en France à l’horizon 2003. C’est un projet ambitieux, mais il est nécessaire pour répondre aux attentes des malades.
4°- A côté de la fonction de recueil des greffons, la tâche d’information du public est immense. Face à un deuil brutal, la question du don d’organes plonge de surcroît la famille du défunt dans une cruelle incertitude. Peut-elle témoigner de la position du défunt, si elle ne la connaît pas ? Tout l’enjeu de l’information du public est là. Il faut inciter chacune et chacun à envisager sa propre mort, et, dans un esprit de responsabilité moderne, à prendre position, quant à un éventuel prélèvement d’organes en vue de greffe. Je suis convaincu qu’il faut systématiquement informer les jeunes de 18 à 30 ans de l’importance du don et de la nécessité pour eux de se prononcer sur ce sujet. Communiquer ensuite cette décision en famille est la meilleure garantie pour que celle-ci puisse, si le drame survient, témoigner, en vérité, de la décision du défunt. Le message délivré à l’occasion de la journée nationale de réflexion sur le don et la greffe, organisée il y a deux jours en France, tient donc en quelques mots : le don d’organes, il faut d’abord en parler”. Ce message fait écho à celui de la campagne mise en œuvre quelques jours auparavant en Allemagne, “Treffen sie eine Entscheidung”, “Prenez une décision”.
J’ai demandé au Directeur général de l’Etablissement français des Greffes de réfléchir et de me proposer des solutions pour que l’information du public sur ce sujet, indispensable avant toute prise de décision, puisse être la plus large et la plus sûre possible.
5° La greffe à partir de donneur vivant s’inscrit comme une possible source complémentaire de greffons. L’extension du cercle des donneurs vivants au delà des apparentés au premier degré, retenue dans le protocole additionnel de la convention d’Oviedo, a été évoquée en France lors de la discussion en première lecture à l’Assemblée nationale du projet de révision des lois de bioéthique. Il révèle l’écartèlement du droit entre deux impératifs antinomiques : d’une part la consubstantialité de la personne et de son corps destinée à garantir au corps la protection juridique de la personne, d’autre part la nécessité de dissociation des éléments du corps humain de la personne dans l’intérêt vital d’autrui. Il convient par ailleurs sur un tel sujet d’éviter 2 écueils : la commercialisation des organes et l’emprise psychologique et affective des donneurs potentiels au sein de la sphère familiale élargie parfois sans limites clairement définies.
6° Comme je viens de l’évoquer, l’Europe s’est saisie de ces questions et la dimension européenne est donc déjà bien présente en matière de greffes. Depuis de nombreuses années, des pays rassemblés au sein du Conseil de l’Europe, travaillent à améliorer l’organisation des prélèvements et des greffes, et les conditions dans lesquelles la greffe peut se développer dans le respect des règles de sécurité et des principes éthiques. En raison du manque de greffons dans tous les pays, les échanges d’organes sont peu fréquents, mais ils sont possibles et permettent parfois à un très jeune enfant, ou à un malade de groupe sanguin rare, d’accéder enfin au greffon espéré. Il faut rassembler les efforts des pays européens qui ont mis en place une politique de santé publique en faveur des greffes pour faciliter l’accès aux greffons, et réduire ainsi le déséquilibre entre malades en attente de greffe et nombre de greffons disponibles. Je sais que les différentes agences, régionales, nationales ou internationales travaillent à l’harmonisation de leurs procédures et confrontent leurs manières d’aborder le sujet et d’informer le public. En matière de sécurité sanitaire, des règles voisines ont été adoptées dans les pays de l’Union Européenne. Une directive européenne sur les tissus est actuellement en préparation. Elle revêt aux yeux du gouvernement français une grande importance et constituera un instrument utile pour conforter la sécurité sanitaire dans ce domaine.
7° L’Europe a déjà fait beaucoup pour la greffe. Mais que peut faire la greffe pour l’Europe ?
L’exemple de la réunion d’aujourd’hui est important. La confrontation des points de vue sur des questions essentielles touchant au consentement présumé, à la mort encéphalique, au donneur vivant, à une juste répartition des greffons, ainsi qu’à une réflexion commune sur l’avenir de la greffe, sont des éléments qui favorisent la cohésion. L’ambition des organisateurs de cette réunion, est, je le sais, qu’avec cette manifestation commune concernant le don d’organe s’amorce un processus d’ampleur européenne concernant l’information du public dans l’ensemble des pays de l’Union Européenne, sur le don d’organe et la greffe. J’ai l’espoir et l’ambition que, dans les années à venir, avec l’appui des gouvernements concernés, se mette en place une journée européenne de réflexion et d’information sur le don et la greffe. Elle soulignerait l’inscription de la greffe dans les préoccupations prioritaires en matière de santé, tant au niveau de l’Union Européenne qu’au niveau du Conseil de l’Europe, avec en outre les questions éthiques qui l’accompagnent.
8° Je suis donc très heureux de pouvoir partager avec ma collègue allemande l’ouverture de ce colloque. Il marque la volonté de nos deux pays, de confronter leur point de vue et leurs espoirs sur ce sujet. Il amorce une action de réflexion et d’information en Europe sur la question du don et de la greffe. L’avenir de la greffe repose beaucoup sur les efforts accomplis en matière de sécurité, en matière d’évaluation et de développement des recherches sur les greffes. Mais rien ne se fera, je le répète, sans une action soutenue en faveur de la promotion du don. Je souhaite aux participants de cette réunion de fructueux débats sur les concepts scientifiques autour de la mort, sur la notion d’équité pour la répartition des organes ou sur la conduite à tenir vis à vis des donneurs vivants.
Toutes ces questions et bien d’autres également méritent d’être amplement discutés lors de votre colloque et nous ne manquerons pas Mme Gudrun SCHAICH-WALCH et moi-même d’étudier avec soins vos propositions pour préparer l’avenir de la greffe pour les 10 prochaines années.