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Comment la mère tolère son fœtus (et comment le transplanté pourrait tolérer son greffon…)

3 février 2004, le Quotidien du Médecin

Selon un nouveau travail, la grossesse induit une tolérance en accroissant le pool des cellules T régulatrices qui suppriment la réponse des cellules effectrices contre le fœtus. Cette découverte aura des répercussions pour les fausses couches, les stérilités, les transplantations et les maladies auto-immunes.

UNE ENIGME majeure, sur laquelle se penchent les chercheurs depuis plus de cinquante ans, est de comprendre pourquoi le bébé qui grandit dans l’utérus n’est pas rejeté par le système immunitaire maternel. Comment celui-ci peut-il tolérer pendant toute la grossesse la présence d’antigènes paternels sur le fœtus ?

« Alors que de précédents travaux se sont concentrés sur l'”évasion” du fœtus à l’interface materno-fœtale, notre recherche montre que le système immunitaire maternel possède une capacité plus générale à empêcher une attaque immune sur le fœtus et met en lumière la façon dont le système immunitaire se comporte différemment durant la grossesse », explique au « Quotidien » le Dr Alexander Betz, du Medical Research Council à Cambridge (Royaume-Uni).

Cette équipe s’est intéressée aux cellules T régulatrices durant la grossesse. Cette sous-population des cellules T CD4+, caractérisée par l’expression des récepteurs CD4+ et CD25+, peut supprimer, on le sait, l’activation et la prolifération d’autres cellules T et joue un rôle pivot en empêchant l’attaque auto-immune.

De la conception à l’accouchement.

Aluvihare, Betz et coll. ont quantifié la proportion des cellules T CD4+ CD25+ dans plusieurs tissus lymphoïdes et le sang chez des souris gravides et non gravides (témoins). Ils ont constaté que les souris gravides ont trois fois plus de cellules T régulatrices que les souris témoins, dans tous les tissus lymphoïdes et le sang. Cette expansion systémique du pool des cellules T régulatrices survient peu après la conception, et décline après la naissance.
Second point important, les chercheurs montrent que cet accroissement du nombre des cellules T régulatrices n’est pas déclenché par les allo-antigènes. Ainsi, cette expansion semble plutôt être déclenchée par la grossesse, et « pourrait peut-être résulter d’une modulation hormonale du système immunitaire », proposent les chercheurs.
Enfin, troisième point démontré, les cellules T régulatrices sont indispensables pour supprimer l’attaque immune maternelle dirigée contre le fœtus. Lorsque les souris gravides sont déficientes en cellules T régulatrices, leur fœtus est spontanément rejeté.
Cette étude décrit donc un nouveau rôle pour les cellules T régulatrices : la suppression endogène naturelle des alloréponses durant la gestation.
Puisque la même population de cellules T régulatrices CD25+ existe chez les humains, il est probable que ces cellules jouent la même fonction durant la grossesse chez la femme.

L’amélioration des maladies auto-immunes pendant la grossesse.

L’accroissement de la fonction des cellules T régulatrices durant la grossesse pourrait ainsi expliquer pourquoi on observe une amélioration fréquente des maladies auto-immunes durant la grossesse, avec une rechute après.

Cet accroissement des cellules T régulatrices, remarquent les chercheurs, supprime les réponses auto-immunes et les réponses semi-allogéniques (contre le fœtus semi-allogénique), mais ne supprime pas pour autant les réponses immunes protectrices contre les antigènes exogènes.

Des implications.

« En comprenant comment le système immunitaire utilise les cellules régulatrices T durant la grossesse, nous pourrions tirer des enseignements sur la façon dont il peut être manipulé avantageusement lors de la transplantation d’organe et de la maladie auto-immune », souligne le Dr Betz.

Ces données indiquent aussi qu’une anomalie de fonction ou de recrutement des cellules T régulatrices pourrait être en cause dans certains cas de stérilité, de syndromes d’avortement prématurés et de prééclampsie, ajoutent les chercheurs.

Dr VERONIQUE NGUYEN
« Nature Immunology », 1er février 2004

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