Deux femmes à la coordination rouennaise
24 mars 2004, Viva
Les infirmières repèrent dans les services les donneurs potentiels et établissent le contact avec les familles et les équipes de transplantation.
Premier sous-sol du Chu de Rouen, 8 h 30. Au fond d’un couloir sombre, un local difficile à trouver mais baigné de lumière naturelle et d’où se dégage un sentiment de sérénité. C’est le centre de coordination de l’Etablissement français des greffes de Haute-Normandie, administrativement rattaché à la Région Nord-Pas-de-Calais. « 14 prélèvements d’organes en 2002, 24 l’an dernier », commentent sans triomphalisme Joëlle et Carole. Les deux infirmières coordinatrices – huit ans d’expérience pour l’une, deux ans pour l’autre – exercent, sous l’autorité du médecin expert, un métier difficile. « Un an au moins pour commencer à se sentir à l’aise, pour savoir se montrer calme, motivée, pédagogue et, surtout, surtout, pour faire appel à toutes ses qualités relationnelles ! »
Comme tous les matins, il y a urgence à consulter sur l’ordinateur la liste des personnes décédées depuis la veille. Les personnes mortes « cœur arrêté » sont également répertoriées car elles sont pourvoyeuses de cornées. L’an passé, 32 paires ont été prélevées, selon un mode opératoire strictement chronométré : vérifier les contre-indications, consulter le Registre national des refus, rencontrer la famille au bureau de l’état civil, appeler les ophtalmologistes et organiser le prélèvement qui se déroule dans une salle aménagée de la chambre mortuaire, en présence d’un technicien de la banque de cornées.
Les rencontres avec les proches sont bien sûr la partie la plus délicate. « Les familles sont traumatisées, particulièrement lorsque la mort est brutale. Dans ce cas, nos entretiens se déroulent à plusieurs, en présence du médecin coordinateur. Et, face à un refus, nous essayons de reprendre la conversation. »
Comme tous les matins aussi, Joëlle a entrepris une tournée des trois services de réanimation pour adultes et du service pédiatrique afin de repérer, en étroite relation avec les équipes soignantes de l’hôpital, les malades plongés dans le coma, donneurs potentiels d’organes. A 10 heures, autour d’un café, les deux blouses blanches échangent leurs informations. Un homme est décédé la veille en pneumologie, « mais il présente des contre-indications », indique Carole. Les patients de Joëlle sont tous stationnaires et la journée s’annonce calme. Mais que survienne une mort cérébrale avec accord de prélèvement et « c’est le marathon ». Jusqu’à seize heures d’affilée pendant lesquelles, sur le qui-vive, elles devront faire confirmer médicalement la mort du patient, contacter le service régional de Lille, récupérer le dossier médical du défunt, évaluer les organes prélevables, joindre plusieurs équipes de transplantation dans toute la France afin d’organiser leur déplacement, préparer le bloc opératoire…
« Les chirurgiens prélèvent à tour de rôle l’organe qu’ils sont venus chercher avant d’effectuer la transplantation dans leur propre hôpital. » Enfin, le corps est préparé, puis rendu à la famille, qui en assure les obsèques. « Quand les proches le demandent, nous donnons des nouvelles sur l’état de santé de celui ou ceux qui ont reçu un organe. Mais on les prévient : on dit toujours la vérité, même si elle est difficile à entendre. »
Ni dans un sens ni dans l’autre, on ne communiquera d’identité. C’est la règle d’or d’un centre qui, le soir venu, verrouille soigneusement portes et volets sur ses fichiers de noms. Laissant aux infirmières, toutes convaincues qu’elles sont de la nécessité de l’anonymat, un regret : celui de ne pouvoir jamais « recevoir de remerciements de la part des greffés ».
Marianne Rolot