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Discours de M. Mattei “Projet de loi bioéthique devant le Sénat”

28 janvier 2003, ministère de la santé

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LES GREFFES

Voilà longtemps que nous nous préoccupons de ce sujet et que, pour permettre le développement des greffes, nous avons fait un choix, celui du consentement présumé. En 1994, une impulsion nouvelle à la greffe d’organe a été donnée grâce à l’Etablissement français des greffes, dont je dois souligner les efforts, notamment le plan 15-20 entrepris ces dernières années à l’instigation de Didier Houssin. Malgré ces efforts, nous ne sommes pas parvenus à régler le problème de la pénurie d’organes à greffer.

A ce problème, le projet de loi choisissait de répondre en élargissant sans précaution le champ des donneurs vivants aux personnes ayant ” un lien étroit et stable ” avec le receveur.
Une telle orientation fait naître en moi les plus grandes craintes : comment s’assurer que le donneur ne fait pas l’objet de pressions morales plus ou moins subtiles ? Comment vérifier que le principe de non-commercialité du corps n’est en aucune manière bafoué ? Quelle définition donner à ce ” lien étroit et stable ” ?

Au regard des centaines de malades qui décèdent chaque année en France à cause du déficit de greffons, je crois qu’un effort s’impose pour élargir le cercle des donneurs vivants potentiels, notamment aux personnes en mesure d’apporter la preuve de deux ans de vie commune avec le receveur, mais en délimitant clairement les liens de parenté et les conditions de consentement.

Je m’interroge aussi pour savoir s’il ne faut pas, dans certaines circonstances, protéger les gens contre leur propre générosité.

Permettez-moi d’évoquer un cas concret. Prenons un jeune homme de trente ans, sollicité pour donner la moitié de son foie à son cousin germain, en insuffisance hépatique gravissime ; il s’avère être le seul donneur vivant potentiel alors qu’il a la charge de deux enfants. Mais s’il mourait, ce qui n’est pas exclu dans ce genre d’intervention, ou s’il en était définitivement amoindri, qui assumerait la responsabilité de l’éducation des deux enfant ?

Manière de dire que si on ne peut qu’être touché par un geste de don qui procède d’un élan de générosité spontanée, il faut aussi savoir se rendre attentif aux risques encourus par les individus, quand leur geste altruiste engage d’autres personnes.

Dans un tel cas de figure, il nous faut donc demander que la décision du donneur soit assortie du consentement de la personne avec laquelle il partage l’autorité parentale.
Cet exemple nous montre aussi, c’est le deuxième point de mon propos, que le prélèvement sur les vivants pose toujours de graves difficultés et que le don entre vifs doit absolument avoir un caractère subsidiaire par rapport au don cadavérique.

Certains pays, comme l’Espagne, arrivent à couvrir les besoins de la transplantation avec leurs seuls prélèvements cadavériques. Pour progresser dans cette voie, il nous faut rendre pleinement effectif le régime actuel de consentement présumé des personnes décédées, notamment par une politique d’information plus active.

On sait bien que la loi ne requiert qu’un témoignage et non, à proprement parler, l’autorisation des familles.

Toutefois, lorsque le médecin demande à la famille si elle sait si le défunt était ou non opposé au prélèvement, elle ne connaît le plus souvent pas la réponse et demande de ne rien faire. Même s’il en a le droit, dans ces conditions, le médecin ne prélève pas.

Il faut impérativement trouver le moyen de rassurer les familles en deuil sur la connaissance qu’avait la personne disparue du régime du prélèvement d’organes.

Je souhaite, pour cela, que la loi prévoie que toute personne, entre ses 16 et ses 25 ans, doit être informée du but du don d’organes après le décès et du régime du consentement.
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J’émets les mêmes réserves sur l’élargissement, au-delà de la famille biologique, du cercle des donneurs vivants en vue de greffe.

Les risques de pressions commerciale et affective sur les donneurs potentiels sont grands, sans compter le risque médical. Certes, le texte confie à un juge le soin de s’assurer que le consentement est libre et éclairé. Mais selon quels critères ? Comment s’assurer de l’absence de chantage ou de marchandage ? La prudence s’impose.

J’ai bien conscience qu’une telle attitude accentuera la pénurie de greffons en France, malgré les efforts d’associations méritantes, ce qui inquiète la communauté médicale. Cependant, elle est due surtout à une mauvaise application de la législation existante en matière de prélèvement sur personnes décédées, notamment de la règle du consentement présumé. Avant d’envisager l’élargissement du cercle des donneurs vivants, il faut se donner les moyens d’épuiser ou d’améliorer les possibilités offertes.

Une solution consisterait peut-être à substituer au registre national informatisé des refus un registre des accords formels. La carte de donneur dans le portefeuille de la personne décédée laisse encore trop de place à la contestation par la famille.
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