Don d’organes et religion : une sacrée question
Don d’organes et religion : une sacrée question
Le débat « Vivre le don d’organes avec ses croyances », organisé dans le cadre des Rencontres d’Hippocrate par le Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale de l’université Paris-Descartes, a permis de faire un tour d’horizon des approches juive, chrétienne et musulmane sur cette question essentielle de solidarité humaine.
Bible hébraïque, ancien et nouveau testaments, Coran, Torah et Talmud ne disent pas un mot du don d’organes, tout simplement impensable au moment de leur écriture. Pourtant, « lorsque la question se pose aux familles endeuillées depuis quelques minutes, les croyances surgissent systématiquement », souligne Joséphine Cossart, coordinatrice hospitalière des prélèvements d’organes du groupe hospitalier universitaire Cochin (Paris), en lançant le débat face à plus de 200 cliniciens et étudiants.
À ses côtés, les représentants des différentes religions abrahamiques ont essuyé un flot ininterrompu de questions et remarques émanant de chefs de service transplanteurs, qui n’admettent pas leur silence alors qu’aucun texte ne fait obstacle au don d’organes pour prolonger la vie d’autrui. « Nous n’avons aucune raison d’aller chercher la réponse dans les livres », affirme le Pr Jean-Noël Fabiani, chef de service de chirurgie cardiovasculaire à hôpital européen Georges-Pompidou, en reprochant aux religieux « de ne pas répondre clairement aux questions qui taraudent » Qualifiant le rapport au sacré de « prétexte ou d’alibi face à la peur », il les invite à aider les gens à dépasser leurs croyances. « Comment s’appuyer sur la résurrection de la chair, à l’heure où 51 % des obsèques en France aboutissent à une crémation ? » Pourtant, les services de prélèvements essuient toujours 30 % de refus, deux fois plus qu’en Espagne, où l’État prend en charge les frais d’obsèques en cas de don.
La sacralité de la vie.
Le grand rabbin Haïm Korsia, aumônier général israélite de l’armée de l’air et des armées, s’élève contre ce rapport à l’argent « qui fausse les statistiques ». Partageant les doutes du Pr Fabiani sur la résurrection de la chair, il refuse la brutalité de l’utilitarisme à tous crins, expliquant que « cette question sort de l’histoire du monde et bouscule l’idée que l’on peut se faire du repos éternel ». Selon lui, la vraie question est ailleurs. Le coup de fil d’une famille à un aumônier au bon moment pour poser les bonnes questions fait tomber les obstacles qui s’élèvent sous couvert religieux.
En revanche, vivre avec l’organe d’un autre lui semble plus compliqué. C’est dans ce travail d’acceptation que la religion prend vraiment tout son sens. L’imam Saîd Ali Koussay, aumônier musulman de l’hôpital Avicenne, à Bobigny rebondit à son tour en mettant en avant un verset du Coran qui ne laisse plus planer de doute sur la sacralité de la vie qui prévaut. « Si vous faites le bien, vous le faites à vous-même », énonce-t-il, qualifiant de « pas honnête » le refus de la part d’un musulman. Les fidèles au Prophète Mahomet considèrent en effet que l’esprit reste vivant et qu’à ce titre les morts ne sont pas morts. Dans ces conditions, prolonger la vie d’autrui en léguant une partie du corps, aussi intime et symbolique soit elle, se résume à une bonne action, que l’imam qualifie même de « bonus que le défunt reçoit dans sa tombe, augmentant ses chances de rejoindre un jour le Ciel ».
Venue témoigner, Mina Chevrot, mère d’un adolescent décédé, ne s’explique toujours pas le motif du refus des pompes funèbres musulmanes. Dans cette famille mixte, Maxim, baptisé, donneur d’organes ne pouvait tout simplement pas bénéficier des rites, sa sépulture n’étant pas située dans un carré musulman. Au-delà de la mort, le don ne semble donc plus poser la moindre question.
Rester terre-à-terre.
La position des catholiques semble un peu plus paradoxale. Doriane Villordin, responsable de ce culte à l’aumônerie du GHU Cochin, affirme que la foi invite à donner. « Une notion de partage du corps autorisée », selon elle, puisque le Christ lui-même n’est pas revenu physiquement après sa résurrection. Pourtant, ici-bas, tout n’est pas si simple. L’église est parvenue à invalider l’inscription sur la liste des donateurs d’organes de Joseph Ratzinger, devenu le pape Benoît XVI . Les organes du pape, devenus reliques avant l’heure, le Vatican explique pourtant que cela « n’enlève rien à la validité et à la beauté du geste de don d’organes ».
Priant les participants d’atterrir, le Pr Denis Safran, chef du service anesthésie-réanimation à HEGP explique que « la plupart des refus de prélèvements se heurtent à la méconnaissance des familles de leur propre religion ». Cet athée, intimement convaincu de ne jamais rejoindre « le terrain des grandes chasses, », affirme que « toute spiritualité s’efface devant la solidarité et la fraternité ».
Depuis sept ans, Jean-Jacques Msica, autre témoin, se considère comme le gardien de ce cœur qui n’est pas le sien. « Il vit en moi, j’ai une obligation morale de respecter ce corps qui n’existe que grâce lui, finalement on est presque deux. » Rien à ajouter pour admettre que cette sacrée question n’a plus rien d’une question sacrée.
D’après Laurence Mauduit, Le Quotidien du Médecin, 01/03/2011