Né il y a plus de soixante ans, le dispositif des affections de longue durée (ALD) est une des traductions majeures du principe de solidarité, fondement du système de sécurité sociale mis en place en 1945, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le principe de solidarité veut que chacun cotise en fonction de ses moyens et reçoive en fonction de ses besoins, selon un principe de mutualisation. En prenant en charge à 100 % ce que l’on appelait les « longues maladies», il répondait à cette aspiration de «bannir la peur du lendemain » en levant les barrières financières à l’accès aux soins. Ce dispositif, au fil des aménagements réglementaires successifs, reste fondé sur ses principes d’origine. L’affection considérée doit présenter un caractère long et particulièrement coûteux, et le bénéfice de cette assurance, subordonné à une décision d’admission, entraîne pour l’assuré une exonération du ticket modérateur pour l’ensemble des frais liés à l’affection, notamment médicaux, pharmaceutiques et d’hospitalisation.
Cependant, du fait de la montée en charge à la fois du nombre d’affections listées, du nombre de patients souffrant de ces affections et des prestations remboursées, on peut se demander si le dispositif des ALD est toujours aussi adapté au regard des valeurs de solidarité qui en sont le fondement. En effet, le dispositif accroît la concentration naturelle des dépenses d’assurance maladie sur des patients âgés et peut faire courir, à terme, un risque de fracture générationnelle au sein des assurés sociaux, s’il aboutit à concentrer l’essentiel des remboursements de la Sécurité sociale sur cette seule population. Les plus jeunes générations pourraient alors se sentir exclues du bénéfice des prestations maladies. Les ALD représentaient 53 % des dépenses d’assurance maladie remboursées il y a dix ans, elles en représenteront, si rien ne change, 70 % en 2015.
Initialement au nombre de quatre, la liste actuelle des ALD comporte trente groupes d’affections et le dispositif est complété par une procédure d’admission dite «hors liste» (ALD n° 31,ALD n° 32).Aujourd’hui, près de 8 millions de personnes bénéficient de ce régime et, chaque année, plus de 950 000 nouvelles admissions sont enregistrées. Depuis 1992, les dépenses au bénéfice des personnes en ALD ont crû de 9 % par an en moyenne,
Ce dispositif, très dynamique et reconnu comme efficace par les professionnels de santé et les patients, appelle néanmoins des questionnements :
• La dimension du «particulièrement coûteux» est difficile à appréhender. En effet, plus de 9 % des personnes en ALO sont admises au titre des ALD hors liste qui n’intègrent pas la notion de coût. De même, un nombre important de personnes bénéficient d’une exonération pour des restes à charge théoriques inférieurs à ceux de certains malades qui ne sont pas en ALD. Enfin, le seuil de prise en charge desALD30 est sans lien avec le coût des traitements. Au fil des années, le système a perdu son principe d’équité et, paradoxalement, dans le même temps, il peut être utilisé par certains professionnels de santé comme un outil social pour faciliter l’accès aux soins, notamment dans la prise en charge du grand âge.
• Le dispositif ALD n’est pas nécessairement un outil adéquat de promotion des bonnes pratiques. Le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, dans son avis du 28 avril 2005, indiquait : «le régime des affections de longue durée ne constitue donc pas, globalement parlant, un outil d’amélioration du suivi thérapeutique des patients, alors même que le service médical des caisses d’assurance maladie s’y trouve techniquement et juridiquement impliqué, puisque le médecin-conseil est amené à approuver le protocole de traitement». La loi du 13 août 2004 et la convention médicale de janvier 2005 visaient notamment à médicaliser cette procédure. Une double contrainte sur le patient et le médecin est désormais établie. Le patient devient signataire du protocole qui lui est opposable, et le médecin atteste qu’il en a pris connaissance et que ses prescriptions sont conformes au protocole. Ce protocole, élaboré compte tenu des recommandations établies par la Haute Autorité de santé, doit faciliter la circulation de l’information entre les médecins et optimiser la coordination des professionnels autour des patients [es plus fragiles, pour une prise en charge plus efficiente des ALD. S’il est effectivement trop tôt pour apprécier les résultats qualitatifs de cette réforme sur la prise en charge et le suivi des patients porteurs d’une pathologie grave, il est malgré tout difficile de ne pas s’interroger sur le périmètre actuel des ALD.
Nous sommes en effet, en un peu plus de soixante ans, passés d’une logique de neutralisation du reste à charge pour les patients atteints d’une maladie grave à un dispositif censé être, dans le même temps, un mécanisme d’exonération du ticket modérateur et un mécanisme de protocolisation des parcours de soins, donc d’amélioration de la qualité des prises en charge. L’exercice s’avère complexe et la Haute Autorité de santé, responsable réglementairement pour chaque affection de longue durée de la définition des critères médicaux d’admission, constatait en mai 2006 »!épuisement du système actuel» et appelait à une réflexion plus large.
Mais, face à ce constat qui commence à être partagé, quelles directions peut-on donner à cette réflexion, sachant que l’adhésion des patients et des professionnels de santé est indispensable à toute évolution du dispositif?
Une voie pourrait être de dissocier les deux objectifs que cherche à remplir le dispositif actuel : d’un côté, la neutralisation du reste à charge, de l’autre la qualité de la prise en charge médicale.
Concernant les restes à charge, l’objectif doit rester de préserver l’accès aux soins pour tous, en cas de pathologie grave. On pourrait imaginer un nouveau système de plafonnement des restes à charge afin d’éviter le renoncement aux soins. La réflexion doit inclure l’assurance maladie complémentaire, afin d’intégrer également les dépassements qui deviennent de plus en plus lourds et fréquents pour les patients.
Concernant la qualité des prises en charge médicales, le protocole de soins, s’il constitue une avancée indéniable, n’en rencontre pas moins des limites. Un tel document ne permet effectivement pas de suivre personnellement plus de 8 millions de personnes, porteuses de près de 400 pathologies différentes. Une première piste serait, par exemple, de définir des pathologies prioritaires et de classer les patients en fonction du niveau de risque (diabétiques bien équilibrés, diabétiques présentant des complications…). il existe bien d’autres pistes mais, quelle que soit la logique retenue, le débat devra obligatoirement aborder le périmètre des ALD, car !a qualité de la prise en charge médicale doit aller au-delà du strict champ actuel des personnes en ALD.
De façon parallèle, il faudrait développer des modalités alternatives de suivi des patients porteurs de pathologies chroniques, avec pour ambition une prise en charge globale de leurs dimensions préventive, curative et sociale. Des outils existent, notamment les programmes personnalisés d’accompagnement des malades chroniques et des expérimentations sont déjà en cours. Restent à mettre en place les moyens d’une appropriation par l’ensemble des patients et des professionnels de santé et, là aussi, les pistes sont nombreuses : contractualisation, responsabilisation, intéressement…
Le débat doit être public et le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie pourrait en être le cadre. Sa large représentativité est en effet un atout pour aborder, sans tabou, les différentes facettes du dossier. C’est un défi collectif car les enjeux, à la fois médicaux, financiers et politiques, sont majeurs.
Ce dossier spécial de la revue du Haut Conseil de la santé publique doit contribuer à éclairer et nourrir le débat sur les ALD.