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Sujet
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Enquête
Le donneur d’organes n’était pas mort
LE MONDE | 10.06.08 | 14h34 • Mis à jour le 10.06.08 | 14h34‘est une affaire aux frontières de la vie et de la mort. Un dossier qui suscite émotion et réflexion chez les professionnels de la réanimation médicale et chez les responsables chargés de la bioéthique. Qui les oblige à se demander quels critères objectifs permettent de dire à partir de quand un malade sur lequel on pratique une réanimation peut être considéré comme un donneur d’organes. Sachant que ces organes, une fois greffés, permettront de prolonger l’espérance de vie d’autres malades.
Début 2008, à Paris, un homme âgé de 45 ans présente, sur la voie publique, tous les symptômes d’un infarctus du myocarde massif. On apprendra par la suite que, tout en sachant être à haut risque cardio-vasculaire, il ne suivait pas son traitement. Intervention quasi immédiate du SAMU, qui confirme le diagnostic. Une réanimation adaptée est mise en oeuvre moins de dix minutes après l’accident cardiaque. Elle ne permet toutefois pas d’obtenir une reprise spontanée des battements du coeur. La présence voisine du groupe hospitalier de La Pitié-Salpêtrière, où l’on peut pratiquer une dilatation des artères coronaires, fait que les médecins choisissent de poursuivre les manoeuvres de réanimation durant le transport en urgence vers le service spécialisé. A l’arrivée, le coeur ne bat toujours pas et, après analyse rapide du dossier, l’équipe des cardiologues estime que la dilatation coronarienne n’est techniquement pas réalisable. Les médecins commencent dès lors à considérer leur patient comme un donneur potentiel d’organes : un donneur dit “à coeur arrêté”.
La suite de l’affaire est rapportée dans le compte rendu officiel d’une réunion du groupe de travail sur les enjeux moraux de ce type de prélèvements qui a été récemment constitué au sein de l'”espace éthique” de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). On y apprend que les chirurgiens pouvant pratiquer les prélèvements d’organes n’étaient pas immédiatement disponibles. Lorsqu’ils arrivent au bloc, leurs confrères pratiquent le massage cardiaque depuis une heure et trente minutes, sans résultat apparent.
Mais au moment même où ils s’apprêtent à opérer, les médecins ont la très grande surprise de découvrir que leur patient présente des signes de respiration spontanée, une réactivité pupillaire et un début de réaction à la stimulation douloureuse. “Autrement dit, il existe des “signes de vie” (ou symptômes) – énoncé équivalant à l’absence des signes cliniques de la mort”, peut-on lire dans le compte rendu, qui se poursuit ainsi : “Après plusieurs semaines émaillées de complications graves, le patient marche et parle, les détails concernant son état neurologique ne sont pas connus.” Aucune précision n’est donnée quant au fait de savoir si ce malade a eu ou non connaissance du projet de prélèvement…
Au cours de cette même réunion, plusieurs autres réanimateurs, à commencer par ceux travaillant dans des SAMU, évoquent des situations “où une personne dont chacun était convaincu du décès survivait après des manoeuvres de réanimation prolongées bien au-delà des durées habituelles, voire considérées comme raisonnables”. Chacun concède alors qu’il s’agit là “d’histoires tout à fait exceptionnelles, mais que l’on rencontre au cours de sa carrière”. Les participants soulignent que, si les recommandations officielles actuellement en vigueur avaient été suivies à la lettre, la personne “aurait probablement été considérée comme décédée”. “Cette situation constitue une illustration frappante des questions qui persistent dans le champ de la réanimation, des modalités d’intervention et des critères permettant de conclure à l’échec d’une réanimation”, font valoir les spécialistes.
Un tel cas n’aurait pas pu survenir avant 2007, quand la pratique des prélèvements “à coeur arrêté” n’était pas autorisée en France. Les prélèvements d’organes n’étaient alors effectués que chez des personnes en situation de coma dépassé et chez lesquelles la mort cérébrale était dûment confirmée par des examens électrographiques et neuroradiologiques.
Pour répondre à la pénurie chronique de greffons disponibles, les responsables de l’Agence de la biomédecine décident de lancer, début 2007, un programme expérimental chez des personnes dont le coeur venait de cesser de battre faute d’avoir pu être réanimées par massage cardiaque, ventilation mécanique et, parfois, circulation extracorporelle.
Cette initiative est prise sur la base de résultats obtenus dans plusieurs pays étrangers. L’Académie nationale de médecine avait estimé que ce protocole “satisfait à toutes les dispositions éthiques et déontologiques” et le législateur n’avait pas été amené à se prononcer directement sur ce sujet. Neuf équipes hospitalo-universitaires sont aujourd’hui autorisées à participer au programme expérimental de prélèvement “à coeur arrêté” : Angers, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nancy, Strasbourg et, à Paris, Saint-Louis, La Pitié-Salpêtrière et Bicêtre.
En pratique, les prélèvements ne peuvent être effectués que dans les six heures qui suivent l’arrêt cardiaque initial et en respectant une série de précautions techniques et éthiques. Les autorités françaises ont notamment interdit les prélèvements chez les personnes dont l’état de santé a conduit à une décision médicale d’arrêt de soins en réanimation, et ce alors même que cette catégorie représente l’essentiel des donneurs “à coeur arrêté” aux Pays-Bas, aux Etats-Unis, au Japon, ainsi qu’au Royaume-Uni.
“Le cas rapporté sur le site de l’espace éthique de l’AP-HP est celui d’un patient pour lequel la mort n’a jamais été constatée, fait-on valoir aujourd’hui auprès de l’Agence de la biomédecine. Il est d’abord nécessaire de rappeler que tout a été mis en oeuvre par les équipes médicales pour sauver le patient. Par ailleurs, le patient n’était pas décédé et aucun constat de décès n’a donc été fait pour cette personne en arrêt cardiaque. Le prélèvement en vue d’une greffe n’était donc pas envisageable à ce stade de la prise en charge du patient.”
Auprès de l’Agence, on rappelle que cette pratique est instaurée depuis plusieurs années dans un certain nombre de pays étrangers. “En Espagne, par exemple, l’activité de prélèvement sur donneurs décédés après un arrêt cardiaque représente à Barcelone et Madrid respectivement 20 % et 63 % des prélèvements, avec des résultats équivalents aux prélèvements sur donneurs en état de mort encéphalique, explique-t-on encore. Aux Pays-Bas, les prélèvements sur donneurs décédés après arrêt cardiaque représentent 30 % de la totalité des prélèvements rénaux. D’autres pays, comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis, pratiquent également ce type de prélèvement.”
En France, plus de 13 000 personnes sont en attente d’une greffe d’organe et, en 2007, on a recensé 231 décès directement dus à l’absence de greffons disponibles. Le programme expérimental de prélèvement “à coeur arrêté” a d’ores et déjà permis de disposer d’une soixantaine de greffons supplémentaires.
Jean-Yves Nau
Article paru dans l’édition du 11.06.08
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