Greffes : quel beau moyen de prolonger la vie !
22 juin 2003, la Voix du Nord
Tout le monde peut être un jour victime d’un accident : il faut savoir dire sa position à ses proches
JULIEN avait 21 ans. Il circulait en Clio le 23 janvier, sur une route départementale, entre Béthune et Armentières, quand l’accident s’est produit en début de soirée, à La Couture. Un refus de priorité, où trois voitures furent impliquées. Il n’y était pour rien.
Le choc fut effroyable. A bord du véhicule accidenté, sa fiancée n’a été que légèrement blessée. Pour Julien, en revanche, transporté à l’hôpital de Beuvry avant d’être acheminé vers le CHR de Lille, on a tout de suite su qu’il y avait peu d’espoirs. « Il est resté en soins intensifs pendant une petite semaine. Ils se sont très bien occupés de lui. Ils m’ont aussi prévenu que mon fils avait peu de chances de s’en sortir », raconte Alain, frappé par le destin.
Son épouse est décédée quatre ans plus tôt d’une longue maladie et toute la famille a vécu ces moments douloureux à l’hôpital. « Un jour, Julien m’a dit, quand sa mère allait mal : “Si je pouvais lui donner quelque chose, je le ferais…” », se souvient Alain. Son fils s’en est allé, il a sombré dans une mort encéphalique dont nul ne pouvait le sortir.
« A 21 ans, c’est un gâchis… », résume son père, Alain, qui l’avait quitté vingt minutes plus tôt. « C’est terrible de perdre un fils comme cela. C’est une grande partie de soi-même qui part. Il avait des projets, il avait voulu s’acheter une moto, il me disait : “Papa, laisse-moi vivre ma vie…” »
Sa vie s’est arrêtée. Et en même temps, quelque part, elle se prolonge car, grâce à l’accord donné par la famille de Julien, d’autres ont eu la possibilité de survivre ou de vivre mieux.
Plusieurs organes ont pu être prélevés sur son corps. « Dans ce gâchis, explique Alain, je me dis qu’il a pu apporter quelque chose. Si mon garçon avait été en attente de greffe, et qu’il avait pu être sauvé, j’aurais dit bravo. Alors… »
Alors, il faut en parler tout simplement, faire savoir en une phrase à ses proches sa position sur la question, et toutes sont respectables, ou, pourquoi pas, porter sur soi une carte de donneur d’organes (elles sont régulièrement distribuées par les associations).
En parler
90 % des Français se prononcent pour le don d’organes, mais 24 % seulement l’ont fait savoir à leurs proches. Faute de connaître la volonté d’un défunt, un tiers environ refusent tout prélèvement. En parler, c’est le principal message de la troisième journée nationale de réflexion sur le don d’organes organisée ce dimanche dans 27 grandes villes de France.
Tout le monde s’implique : l’Etablissement français des greffes, les associations de donneurs, le CHRU de Lille qui vient de sensibiliser les professionnels en interne durant plusieurs jours.
S’il est le seul à réaliser des greffes dans la région, plusieurs hôpitaux généraux du Nord – Pas-de-Calais sont accrédités pour mettre en route des procédures de prélèvement. « Ce sont eux qui accueillent des comas graves, qui constatent le passage en mort encéphalique, qui se chargent de la réanimation pour que les organes soient préservés. Pour des raisons techniques en revanche, c’est une équipe du CHRU ou d’un autre centre de greffe qui effectue le prélèvement », explique le professeur Christian Noël, coordinateur de l’Etablissement français des greffes.
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, le nombre de prélèvements d’organes, quoique en augmentation permanente, est relativement faible : 52 au CHRU et 76 sur la région depuis 1997 : le nombre de morts encéphaliques est assez peu élevé (cela concerne 4 % des personnes qui pourraient être prélevées) : il y en a eu environ 150 l’an dernier dans le Nord – Pas-de-Calais. Quarante-trois prélèvements n’ont pu se faire parce que les familles l’ont refusé, d’autres pour des raisons de contre-indications.
Anonymat
A chaque fois qu’une proposition est faite aux familles, une équipe se déplace qui accompagne et s’entretient avec elles. « Ces entretiens durent d’un quart d’heure à six heures selon les cas », explique Eliane Ringot, infirmière coordinatrice régionale, mais souvent, il faut faire vite : les délais sont de 4 heures pour un coeur, 8 h pour un poumon, 16 h pour un foie, 36 à 48 h pour un rein. On s’efforce de les raccourcir pour éviter les problèmes.
« Il n’y a pas d’âge limite pour un prélèvement, on l’a fait sur une personne de 80 ans, explique le Pr Christian Noël. Mais en général on s’efforce d’apparier à peu près l’âge du donneur et du receveur. » Entre les deux, pas de contact, puisque l’anonymat est évidemment respecté. Mais une immense gratitude de la part de ceux qui ont eu la chance d’être greffés et le sentiment dans d’autres familles que l’injustice d’une vie enlevée a pu se transformer en acte de foi et de générosité.
J.-P. BONDUEL