L’hypertension essentielle pourrait résulter d’un déficit congénital en néphrons
8 janvier 2003, Le Quotidien du Médecin
Un nombre réduit de néphrons à la naissance pourrait-il conduire à l’HTA ? Cette hypothèse, émise il y a quelques années, est soutenue par une étude cas-témoin conduite chez vingt sujets décédés d’un accident. Comparés aux reins de témoins normotendus, ceux des hypertendus comptaient deux fois moins de glomérules, mais d’un volume plus grand. L’absence de signes de perte de glomérules suggère une origine congénitale au déficit en néphrons.
De notre correspondante à New York
Dans 90 à 95 % des cas d’hypertension artérielle, le bilan étiologique reste négatif. Cette HTA dite essentielle, ou idiopathique, est de cause certainement multiple. Toutefois, plusieurs observations impliquent le rein dans sa genèse.
Il a été proposé qu’un faible nombre de néphrons à la naissance pourrait accroître le risque de survenue d’une hypertension et d’une néphropathie progressive. Le nombre réduit de néphrons entraînerait une surcharge de travail pour chacun d’eux. Cette hyperfiltration glomérulaire endommagerait à la longue le rein avec, pour conséquence, une hypertension. Cette hypothèse est étayée depuis quelques années par des données expérimentales, mais les données chez l’homme restent pour la plupart indirectes.
Une équipe allemande a approfondi cette hypothèse dans une étude cas-témoin. Keller et coll. ont comparé les reins de deux groupes de personnes autopsiées après un décès accidentel : un groupe de dix patients hypertendus (neuf hommes, une femme) et un groupe de dix témoins normotendus, appariés aux patients hypertendus en fonction de l’âge, du sexe, de la taille et du poids.
Le nombre et le volume des glomérules
Une telle étude est simple mais techniquement difficile : les investigateurs ont évalué le nombre et le volume des glomérules grâce à une approche tridimensionnelle. Ils ont aussi examiné l’histologie des glomérules. Enfin, puisqu’il est connu que leur nombre décline rapidement passé la soixantaine, tous les sujets de l’étude avaient moins de 60 ans.
Sur la base des données obtenues au cours des cent dernières années, il est généralement estimé que le nombre de glomérules, ou de néphrons, se situe autour de un million par rein.
Keller et coll. ont découvert que les reins des patients hypertendus présentaient significativement moins de glomérules, 702 000 en moyenne, que ceux des témoins appariés, 1 429 000, soit la moitié du nombre normal. Les patients hypertendus présentaient aussi des glomérules d’un volume supérieur, ce qui suggère qu’ils fonctionnent davantage en cas d’hypertension, pour compenser leur faible nombre.
Enfin, les investigateurs n’ont trouvé que très peu de glomérules sénescents ou oblitérés chez les hypertendus. Ce qui suggère qu’ils n’ont probablement pas perdu leurs glomérules au fil du temps, mais qu’ils avaient un faible nombre de néphrons dès la naissance.
Un déterminant des anomalies cardio-vasculaires
Plusieurs données étayent « le concept selon lequel le nombre de néphrons, déterminé pendant le développement fœtal, est un déterminant important des anomalies cardio-16vasculaires durant la vie adulte », notent les investigateurs. « Les données présentées, obtenues à l’autopsie de patients de race blanche atteints d’hypertension essentielle, fournissent une évidence supplémentaire à l’appui de ce concept », concluent-ils.
« La microanatomie rénale présage-t-elle un destin cardio-rénal ? », interroge, dans un commentaire, le Dr Julie Ingelfinger. « Les données de l’étude de Keller et coll. forcent à réagir, mais elles ne sont pas définitives », répond-elle. Elle souligne, en effet, le faible nombre de patients étudiés et la difficulté à prouver l’origine congénitale de la réduction du nombre glomérules.
Quels causes pourraient réduire le nombre de néphrons à la naissance ? Outre des facteurs génétiques et des expositions toxiques durant la vie intra-utérine, des influences plus subtiles, comme l’alimentation, pourraient aussi jouer un rôle, explique-t-elle. « Une masse de données expérimentales et cliniques suggère que des altérations de l’alimentation intra-utérine, en particulier une insuffisance protéique, pourraient programmer le fœtus pour une susceptibilité tardive à l’hypertension, une maladie cardio-vasculaire et un AVC. De plus, des modèles expérimentaux montrent directement que des agressions relativement mineures, comme une restriction protéique, peuvent entraîner une réduction du nombre de néphrons », note-t-elle.
« Les origines de l’hypertension sont multiples », conclut-elle. « Mais le concept d’une réduction de néphrons à la naissance est utile car il montre du doigt au moins une action préventive possible : une meilleure nutrition des femmes enceintes. Une stratégie qui pourrait diminuer la fréquence de l’hypertension chez les enfants susceptibles durant leur vie adulte. »
Dr Véronique NGUYEN
« New England Journal of Medicine », 9 janvier 2003, pp. 99 et 101.