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La greffe de visage entre mythe et réalité

19 février 2004, Le Quotidien du Médecin

Pour le Dr François Petit, chirurgien plasticien à l’hôpital Henri-Mondor (Créteil) « même si le Comité national d’éthique donne un avis favorable, il reste des obstacles techniques avant d’imaginer pouvoir greffer des visages ».

L’AVIS DU COMITÉ national d’éthique sur les « greffes de tissus composites et de visage » devrait être rendu au début du mois de mars. Mais la question d’une éventuelle première de greffe de visage est déjà posée par le Pr Laurent Lantiéri dans un article publié le 17 février 2004 par « le Figaro ».
Ce sujet avait déjà été soulevé en 2002 (« le Quotidien » du 3 décembre 2002) à la suite de la publication par une équipe britannique d’un article dans « The Lancet ». A cette époque, le chirurgien britannique avançait qu’il s’agissait d’une question de mois. La suite des événements lui a donné tort.
En janvier 2003, le Dr François Petit, de l’équipe de chirurgie plastique et reconstructrice de l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil, expliquait au « Quotidien » (26 janvier 2003) qu’un rapport avait été soumis au Comité national d’éthique afin d’envisager ce type de greffes dans des cas très particuliers de malformations, dans le cadre de traitements carcinologiques ou, enfin, chez des sujets ayant subi des traumatismes majeurs (brûlures, par exemple). Il semblerait que cet organisme, sollicité pour « savoir s’il est éthiquement convenable d’effectuer ce type d’intervention au niveau de la face et de mettre en place les bases d’une réflexion sur les problèmes que peuvent poser les reconstructions de l’image du corps », soit enfin prêt à émettre un avis.

Dissections sur cadavres.

Pour le Dr François Petit, membre de l’équipe de l’hôpital Henri-Mondor, et auteur d’un article à paraître en avril dans une revue spécialisée de chirurgie réparatrice, « des dissections sur cadavres sont actuellement réalisées à but d’expérience, mais il ne faut pas pour autant conclure que les greffes de visage pourraient être techniquement réalisables dans les mois qui viennent. Actuellement, nous ne disposons pas de données scientifiques qui vont dans ce sens. En janvier 2003, une greffe mandibulaire a été tentée mais l’os utilisé était irradié, donc non vascularisé. En juillet 2003, une équipe autrichienne aurait tenté une allogreffe de langue mais aucune publication n’est venu confirmer cette rumeur ».
Par ailleurs, la question du résultat esthétique, fonctionnel et psychologique d’une telle greffe reste posée. En outre, « pour qu’une telle greffe soit considérée comme réussie, quels critères doit-on choisir ? La réinsertion dans la société – critère difficile à prédire – ne doit-elle pas être l’élément primordial ? », demande le Dr Petit. Enfin, la réaction du grand public face à une telle annonce doit être prise en compte. « La course à l’annonce d’une première mondiale ne risque-t-elle pas de nuire à l’ensemble du travail actuellement en cours sur les allotransplantations ? »
Dans ces conditions, on ne peut pas dire que la greffe du visage est réellement envisageable à court terme. Pour le Dr Petit, « un protocole est en cours d’élaboration à l’hôpital Henri-Mondor. La toute première intervention doit être uniquement guidée par des motivations médicales. Le facteur de la réussite passe par la convergence de la bonne technique, de la bonne équipe, de la bonne indication et du bon moment opératoire. Les chirurgiens doivent avoir le droit de réaliser cette opération mais ils ont aussi une obligation de résultat ».

Un « troisième visage ».

Plusieurs équipes dans le monde travaillent déjà sur ce sujet et, en décembre 2003, celle du Pr Warren Breidenbach de Louisville – qui avait pratiqué la première greffe de mains aux Etats-Unis – a présenté un travail original au cours du congrès sur les allogreffes de mains et de tissus composites qui a eu lieu à Bruxelles.
Les investigateurs ont tenté de répondre à la question : quel serait l’aspect visuel et esthétique d’un visage greffé ? Pour cela, ils ont prélevé le masque facial (tissus cutanés et sous-cutanés exclusivement) de 20 cadavres et ils les ont placés sur des faces après ablation du tissu facial. Le nouveau visage possédait des similarités avec celui du donneur et celui du receveur. Néanmoins, il était doté de particularités propres qui en faisaient un « troisième visage ».
Pour le Dr Bernard Cornette de Saint Cyr, chirurgien plasticien à la clinique esthétique Spontini, à Paris, « il s’agit là d’un concept totalement différent de ce qui est vécu habituellement en chirurgie esthétique : greffer un visage pourrait permettre à certains patients totalement défigurés de retrouver un organe de communication et de vie sociale et non d’améliorer l’aspect esthétique d’un visage. Le résultat de l’intervention en termes visuels sera fonction des tissus greffés : dans le cas le plus extrême, il est imaginable que l’ensemble os-tissus cellulo-graisseux-muscle-peau-graisse sous-cutanée soit greffé et, dans ces conditions, le visage sera tout à fait semblable à celui du donneur, alors que si seul le masque facial est greffé, son aspect sera influencé par les reliefs osseux et cartilagineux du receveur ».

Dr ISABELLE CATALA

L’article « Facial transplantation: where do we stand ? », du Dr François Petit sera publié en avril par la revue « Plastic and reconstructive surgery ».

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