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Les chercheurs se sentent freinés dans leurs travaux

10 décembre 2003, Le Monde

Les équipes souhaiteraient avancer dans la recherche sur les cellules-souches embryonnaires.

Parmi les sujets de controverse dans le débat sur la révision des lois de la bioéthique, deux thèmes concernent au premier chef les équipes de chercheurs : l’évaluation de nouvelles techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) et l’interdiction des recherches sur les cellules-souches embryonnaires. L’entourage de Jean-François Mattei explique que “les professionnels concernés ne demandent pas à aller plus loin. Toutes les recherches sur les gamètes et les milieux de culture restent possibles. La limite que nous fixons est d’interdire la création d’embryons”.

Les chercheurs expriment un avis fort différent. “La grande majorité des équipes travaillant sur la reproduction humaine souhaiteraient être autorisées à faire des recherches sur l’embryon”, résume le docteur Jacques de Mouzon, spécialiste des questions de reproduction (Inserm U569, Le KremlinBicêtre).”Il est dommage de fermer durablement la porte aux différents domaines de l’expérimentation sur l’embryon, regrette le professeur François Olivennes, chef de service de l’unité de médecine de la reproduction humaine à l’hôpital Cochin (Paris). Il serait plus intelligent d’adopter un système à l’anglaise, où la loi définit des grands principes et où une commission autorise ou non une technique.” Et le professeur Olivennes de prendre l’exemple de la congélation des ovocytes, une technique qui n’est pas encore au point : “Si, demain, il était techniquement possible d’obtenir une grossesse avec un ovocyte congelé, ce serait un progrès très important. Or, si la loi est adoptée en l’état, l’évaluation de cette nouvelle technique serait virtuellement impossible.”

Cette éventualité inquiète François Olivennes : “Il se développe un tourisme médical. Même s’ils restent pudiques, certains centres étrangers développent une activité importante en faisant appel au don d’ovocyte. Il existe un risque de sélection par l’argent. De plus, de nouvelles techniques peuvent être mises au point à l’étranger et arriver en France sans que nous ayons pu effectuer des essais.”Au nombre des nouvelles techniques d’AMP, le professeur Olivennes énumère : le transfert de noyau (utilisé jusqu’ici pour des clonages), le transfert de cytoplasme, la maturation in vitro des gamètes (spermatozoïdes ou ovocytes) et, enfin, dans le futur, la congélation des ovocytes.

“MORATOIRE DE CINQ ANS”

Pour Axel Kahn (Institut Cochin de génétique moléculaire, Paris), la solution pour la recherche sur l’embryon humain, retenue par le gouvernement et adoptée par le Sénat, est “hypocrite” : “Elle interdit ces recherches, mais décide d’un moratoire de cinq ans pour accorder des dérogations à quelques équipes. Il est évident qu’il ne manquera pas d’arguments pour dire que l’on a appris en travaillant sur les cellules- souches embryonnaires et le développement embryologique précoce. Par conséquent, il n’y a aucune chance pour que l’on revienne sur ce moratoire.”

Le professeur Kahn rappelle que, sur dix fécondations réussies naturellement, seulement deux ou trois donneront effectivement naissance à un enfant. “Il en va de même pour l’AMP”, note Axel Kahn. Le généticien s’interroge : “Les embryons obtenus par une fécondation in vitro et ne faisant plus l’objet d’un projet parental sont voués à la destruction. Ne pourrait-on pas considérer que faire l’objet de recherches serait la seule chance de leur faire rejoindre un projet humain ?”

Paul Benkimoun

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