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Les greffes ABO incompatibles arrivent en France

Greffe ABO incompatible, une nouvelle frontière est franchie

Propos recueillis pour Renaloo par Yvanie Caillé

On considère souvent que les transplantations rénales ne peuvent être réalisées que lorsque le groupe sanguin du donneur est compatible avec celui du receveur.

Or, ce n’est pas (ou plus) tout à fait exact.

Certains pays (USA, Japon, Suède, Belgique…) pratiquent depuis longtemps des greffes dites “ABO incompatibles” et ont acquis un recul important. En une vingtaine d’années, les traitements administrés aux receveurs ont beaucoup évolué : ils sont désormais plus simples, plus surs et mieux tolérés.

Ces greffes se développent désormais dans d’autres pays, parmi lesquels la France.

Pour en savoir plus, nous avons rencontré les Dr Frank Martinez et Rebecca Sberro-Soussan, du service de transplantation rénale adulte de l’Hôpital Necker à Paris, qui ont accepté de répondre à nos questions.

La compatibilité sanguine, habituellement respectée en greffe rénale, est-elle la même que celle appliquée à la transfusion sanguine ?

En l’absence de préparation initiale, la compatibilité ABO est impérative. Le non respect de l’appariement ABO entraîne en quelques heures une destruction de l’organe par rejet suraigu et thromboses.

Un receveur de groupe

Est compatible en ABO avec un rein de groupe

O A B AB
O

Oui

Oui

Oui

Oui

A

Non

Oui

Non

Oui

B

Non

Non

Oui

Oui

AB

Non

Non

Non

Oui

Les individus du groupe 0 sont “donneurs universels”, comme c’est le cas en transfusion sanguine et en greffe de tissu.

Par contre, il n’y a pas lieu en transplantation rénale de respecter la compatibilité dans le système Rhésus, à la différence de la transfusion. Cela signifie que le + ou le – qui suit la lettre du groupe sanguin (par exemple O+ ou B-) n’a pas d’importance pour la greffe.

Qui est concerné par les greffes ABO incompatibles ? Sont-elles envisageables uniquement dans le cadre du don du vivant ?

Aujourd’hui, la greffe ABO incompatible ne peut s’adresser qu’au receveur d’un rein d’un donneur vivant, car elle exige une préparation de plusieurs jours, qui ne peut être effectuée que pour une greffe programmée.

Cette option peut donc être intéressante pour des patients ayant un donneur vivant de groupe sanguin non compatible avec le leur et ne pouvant bénéficier rapidement d’un rein de donneur décédé. L’allongement des durées d’attente dans certains pays (USA…) justifie cette position.

Au japon, ou le recours à la greffe de donneur décédé est très minoritaire, la greffe ABO incompatible a connu un développement important ces 20 dernières années.

Comment se passe une greffe ABO incompatible ?

Sur le plan chirurgical, il n’y a strictement aucune différence entre une greffe ABO incompatible et une greffe “classique”.
Toute la différence se situe dans la préparation à la greffe.

Il est indispensable de faire diminuer de manière très importante le taux des anticorps circulants anti-A ou anti-B (qu’on appelle aussi isoagglutinines).

Groupe sanguin

Anticorps présents

Anti-A

Anti-B

O

X

X

A

X

B

X

AB

Ces anticorps sont très différents des Ac Anti HLA – qui posent aussi des problèmes d’accès à la greffe et de surisque de rejet.

Les anticorps anti-A et anti-B sont des Ac “naturels”, génétiquement déterminés, qu’on porte depuis le début de sa vie. Au contraire, les Ac Anti HLA sont habituellement acquis (après transfusion, greffe précédente, grossesse).

Si on réalise une greffe ABO incompatible avec un trop fort taux d’Ac anti-A ou anti-B, le rejet sera certain, précoce et même hyperaigu, caractérisé aussi par des phénomènes de thromboses (obstruction des petits vaisseaux) comme dans les greffes interespèces (xénogreffes).

Le traitement antirejet est-il différent ou plus lourd que dans le cadre d’une greffe classique ?

Pour que ne survienne pas ce type de rejet très sévère, le traitement antirejet des greffes ABO incompatibles est particulier.
On ajoute au traitement “classique” de quoi faire diminuer de façon prolongée et significative le taux des Ac anti-A et anti-B.

Ce traitement doit impérativement débuter avant la greffe. Il combine :

  • la technique d’immunoadsorption (ou plasmaphérèse, échanges plasmatiques), qui va retirer les anticorps
  • l’administration de Mabthéra (Rituximab), un agent biologique (anticorps monoclonal), qui va neutraliser et détruire les lymphocytes B, précurseurs des cellules produisant les Ac.

La technique d’échanges plasmatiques nécessite quelques séances et donc quelques jours pour être efficace. Il s’agit de réaliser un circuit extra-corporel (qui ressemble à une hémodialyse) à relativement faible débit, pour une durée de 2 heures.

Une fistule ou un cathéter central ne sont pas toujours nécessaires, si le réseau veineux périphérique est correct.

L’efficacité du Rituximab nécessite un peu plus de temps que l’épuration plasmatique pour être perceptible, mais dure plus longtemps.

Le Rituximab bloque de façon durable les cellules qui produisent les anticorps. Autrefois, l’ablation de la rate (splénectomie) était réalisée pour altérer le système immunitaire et diminuer la production d’Ac. Ce geste chirurgical a été progressivement abandonné au profit de l’utilisation de Mabthéra (Rituximab).

Le suivi est-il différent ou plus lourd ?

Le suivi initial est encore plus étroit que le suivi d’une greffe classique.

En plus des analyses biologiques habituelles, on surveille les dosages des anticorps anti-A ou anti-B. En cas de réaugmentation de leurs taux, des échanges plasmatiques ou des scéances d’immunoadsorptions peuvent être nécessaires, pendant quelques jours à quelques semaines après la greffe.

Est-on assuré du résultat des plasmaphérèses ? 
Est-il parfois nécessaire d’en refaire, à distance de la greffe ?

En pratique, la greffe n’est réalisée au jour prévu que si le taux des Ac anti-A ou anti-B est suffisamment abaissé. Si ce n’est pas le cas, la greffe peut être décalée de quelques jours.

A distance de la greffe, il arrive que le taux des Ac remonte et même qu’ils soient fixés sur le greffon.

Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que les Ac vont abîmer le rein en provoquant un rejet. Il existe en effet un phénomène dit “d’accommodation”, propre à ses greffes ABO incompatibles. En raison des effets cumulés des traitements et du temps, les Ac qui persistent (et dont le taux peut même réaugmenter) perdent leur caractère pathogène.

Au bout de combien de temps approximativement sort-on de la période initiale critique ?

Les 2 à 4 premières semaines sont les semaines délicates. Ensuite, la situation doit être stabilisée et le taux d’anticorps n’est plus censé augmenter. A partir de 8 semaines, on peut commencer à diminuer le traitement immunosuppresseur progressivement, comme dans les greffes ABO compatibles.

Quels sont les risques ? Sont-ils différents de ceux d’une greffe classique ?

Les risques d’une greffe ABO incompatible sont supérieurs à ceux d’une greffe compatible ABO d’un patient non immunisé dans le système HLA.

Les traitements, même si ils sont bien codifiés, n’annulent pas totalement le risque de rejet lié à l’incompatibilité ABO. Le risque de rejet « classique » (humoral et cellulaire) existe également, comme pour toute greffe rénale. Toutefois, ces risques sont maitrisés et aujourd’hui les résultats de la greffe ABO incompatible sont très bons à court et moyens termes.

Pour certaines équipes, ils sont meilleurs que ceux observés chez des patients greffés en ABO compatible mais immunisés contre leur donneur dans le système HLA.

Dans les dernières études réalisées sous un protocole associant Rituximab, immunoadsorptions et immunosuppresseurs classiques, les greffes ABO incompatibles présentent le même risque de rejet humoral et cellulaire que les greffes ABO compatibles. Le risque de rejet hyperaigu lié à une incompatibilité ABO peut survenir surtout entre le deuxième et le septième jour après la greffe, et ne survient plus habituellement apres un mois.

Si un rejet survient, le traitement consiste en un renforcement du traitement immunosuppresseur (qui peut être associé à des séances de plasmaphérèse si on est en phase précoce).

Quels sont les résultats à moyen et long terme ?
Sont-ils différents de ceux d’une greffe classique ?

Les résultats en termes de survie des greffons sont excellents et comparables aux greffes ABO compatibles : entre 85 et 100% selon les équipes à environ 3 ans.
A plus long terme, les résultats à 10 ans de suivi sont très encourageants.

On peut être incompatible en ABO et néanmoins avoir des compatibilités HLA avec son donneur. Cette compatibilité est-elle importante ?

Il est important dans ce type de greffes de ne pas cumuler les risques de rejet et donc que les patients ne soient pas immunisés contre leur donneur dans le système HLA.

Est-ce que ça marche aussi si on est, en plus, hyperimmunisé ?

Cela pose là aussi le problème plus général du cumul des risques en transplantation rénale.

On serait tenté de penser qu’il est logique de greffer des patients en ABO incompatibles, même quand il sont très immunisés, puisque les traitements qui diminuent les deux types d’Ac (en ABO et HLA) sont les mêmes (plasmaphérèse, Rituximab).

L’expérience a montré au contraire qu’en cumulant les risques, le risque de rejet d’un type ou d’un autre était multiplié. Greffer en ABO incompatible des patients hyperimmunisés en HLA reviendrait peut être à sélectionner des patients à haut risque de réactivité immunologique humorale et donc de rejet…

Aujourd’hui la pratique de la greffe ABO incompatible chez des patients hyperimmunisés est donc controversée.

Comment voyez-vous le développement de ce type de greffes dans l’avenir ?

Ce sont des greffes plus coûteuses, en temps, en matériel, en médicaments, en moyen humains et en recours au laboratoire. Il faut donc un accord des partenaires de santé et des autorités de santé.

Il faut aussi que les patients intègrent le petit sur-risque d’événement sévère (rejet), même s’il devient faible et maîtrisable. Ce risque, même faible, est d’autant plus difficile à accepter que le cadre est celui du donneur vivant…

Enfin, pour toutes les équipes qui débutent dans cette pratique, il faut accepter de transgresser un interdit ancien, ce qui n’est pas toujours facile, en particulier au début de cette activité. Les succès sur les premiers cas contribuent à démystifier ce type de greffe.

Il important donc de ne pas cumuler les risques chez les patients, en cas d’expérience débutante. Il est certain que les équipes qui ont développé une expérience large sur la greffe des patients hyperimmunisés ou ayant des anticorps contre leur donneur adopteront plus aisément le principe de réaliser des greffes ABO incompatibles, car elles sont familiarisées avec les outils thérapeutiques.

Lorsqu’on a un donneur vivant potentiel non compatible en ABO, il existe désormais une autre option : le don croisé. Comment voyez-vous l’articulation entre ces deux possibilités ?

Les dons croisés ont d’ores et déjà beaucoup de succès aux Etats-Unis et dans quelques autres pays. Ils ont été rendus possibles en France par la récente révision de la loi de bioéthique. Ils posent des problèmes spécifiques, organisationnels, administratifs et légaux, en particuliers : définition des critères d’appariement, timing et lieux des greffes, multiplication des équipes, accord des autorités de santé et cadre juridique…

Ces problèmes sont d’une tout autre nature que ceux de la greffe ABO incompatible, mais ils ne sont pas nécessairement plus simples à résoudre sans une forte volonté des autorités de santé et des équipes de greffe.

Dans une perspective de renforcement de l’accès à la transplantation rénale, les deux techniques pourraient être amenées à se développer, en France notamment.

De plus, il existe dans le cadre des dons croisés une problématique spécifique pour les receveurs de groupe O.

Les individus de groupe O sont donneurs universels. Il existe donc peu de situations où un donneur de groupe O est incompatible avec son receveur… Et donc peu de donneurs de groupe O dans les registres de dons croisés.

Les receveurs de groupe O (qui ne sont ABO compatibles qu’avec les donneurs O) ont donc d’importantes difficultés à accéder aux dons croisés, même si certaines solutions sont explorées.

La greffe ABO incompatible représente donc pour eux à l’heure actuelle une solution intéressante… Qui pourrait même éventuellement être combinée à un don croisé, dans une optique de diminution des risques ou d’optimisation de l’appariement HLA.

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    Yvanie
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