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Les mots pour le dire

Les mots pour le dire

L’un est un sociologue français, l’autre est une enseignante irlandaise d’éthique médicale. Tous les deux ont eu un problème de santé qui a nécessité une hospitalisation. L’un en France, dans un établissement privé, l’autre en Grande-Bretagne, dans un établissement dépendant du NHS.

Chacun d’entre eux a souhaité partager son expérience en tant que patient et a proposé un article au British Medical Journal. Les deux articles ont été publiés et la rédaction du journal a proposé une analyse complémentaire.

Michel Villette(1), le sociologue, a bénéficié de la pose d’une prothèse totale de hanche. Il a privilégié la proximité et a choisi un établissement proche de son domicile.

L’intervention s’est bien déroulée mais des dysfonctionnements sont apparus durant l’hospitalisation et il les a analysés systématiquement avec sa vision de sociologue : dépassements d’honoraires annoncés le jour de l’admission, non prise en charge correcte de la douleur, nourriture insuffisante, mauvais fonctionnement du matériel médical, coordination insuffisante avec la ville au moment du retour à domicile, informations médicales données au compte-gouttes.

Il constate que si à l’intérieur de la salle d’opération la performance technique est de bonne qualité, à l’extérieur c’est la dureté de la prise en charge qui domine. Il fait le compte de la cinquantaine de professionnels – du chauffeur de taxi au chirurgien – qu’il a rencontrés, au cours de son hospitalisation.

Sa conclusion est que, même si chaque professionnel effectue correctement sa tache, il n’est pas possible que la division du travail n’entraîne pas de dysfonctionnements. Ce qu’il nomme industrialisation de la médecine et qu’il compare à une chaîne d’assemblage d’automobiles – sans l’organisation – a des répercussions négatives à la fois sur le soignant et sur le patient. Malgré toutes les bonnes intentions, les soignants ne peuvent pas résoudre la quantité de problèmes que rencontre le patient vulnérable.

Melissa McCullough(2), la bio-éthicienne, a présenté en octobre 2010 toute une série de symptômes neurologiques qui ont conduit les spécialistes consultés à évoquer le diagnostic redoutable de syringomyélie.

Le rendez-vous pour le scanner de confirmation, réalisé dans le circuit NHS, n’était pas possible avant un délai de quatre à six mois, un examen en secteur privé (et payant) a été réalisé rapidement. Le scanner a permis d’éliminer la toujours possible tumeur cérébrale et n’a pas confirmé le diagnostic initialement évoqué.

Un traitement par corticoïdes a été débuté avec un vague diagnostic de sclérose multiple mais ce traitement a rapidement entraîné une psychose cortico induite qui a nécessité l’hospitalisation.
La suite de l’histoire clinique est compliquée mais au final, il ne s’agissait « que » d’une maladie de Lyme, diagnostic suggéré au téléphone par la sœur de la patiente, une généraliste vivant aux USA. La maladie de Lyme a été traitée avec succès par quatre semaines d’antibiothérapie.

Comme Michel Villette, cette patiente recense méticuleusement les multiples vexations et humiliations subies au cours de son hospitalisation : remontrances de l’infirmière pour avoir utilisé le bouton d’appel alors qu’elle n’était pas “une patiente prioritaire”, attente en pyjama de près de deux heures dans une salle d’attente surchargée en face de patients en vêtements de ville, information plus que minimale sur son état de santé, difficultés pour obtenir des résultats de biologie, et d’une façon générale, non prise en compte de ses interrogations légitimes.

Melissa McCullough refuse l’excuse facile du manque de moyens et s’indigne que les droits les plus élémentaires n’aient pas été respectés.

L’éditorial du BMJ présente ces deux témoignages et en propose une analyse. Dans les deux cas, de nombreuses failles systémiques sont identifiées. Les auteurs de l’éditorial évoquent l’une des six dimensions de la qualité de l’Institute of Medicine, celle qui explore les soins centrés sur le patient et qui regroupe des items comme l’écoute, l’empathie, la confidentialité, le niveau d’information fourni, les possibilités de choix éclairé.

Ils avancent l’hypothèse que cette dimension “vient après les autres”, s’il “reste encore du temps et de l’énergie”. La qualité vue par le professionnel de santé, où c’est l’excellence technique qui prime, est différente de celle vécue par le patient qui privilégie la communication, le soulagement rapide des symptômes, la planification du retour à domicile.

La formation médicale a renforcé les compétences techniques au détriment de la prise en compte des besoins des patients. Les auteurs de l’éditorial concluent qu’une modification de notre modèle mental s’impose.

Les problèmes auxquels ont été confrontés Michel Villette et Melissa McCullough sont identifiés depuis longtemps par d’autres patients mais le sociologue et la bio-éthicienne, contrairement à ces patients “anonymes”, avaient les outils pour en faire l’analyse et les mots pour le dire. 

Dr Jean Brami – Direction de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins – HAS – DPC & Pratiques n° 59 – Novembre 2011

1. Villette M. For want of a four cent pull chain. BMJ Qual Saf 2011. Published Online First:15 september. Doi:10.1136/bmjqs-2011-000221.
2. McCullough M. An ethicist’s journey as a patient : are we sliding down the slippery slope to sloppy healthcare ? Published Online First:15 september. Doi:10.1136/bmjqs-2011-000235.

 

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