Noël 1952 : il y a 70 ans, première greffe de rein au monde d’un donneur vivant volontaire
Prenez mon rein, sauvez mon fils.
1952.
18 décembre
Marius, 16 ans à peine, jeune charpentier de Berthecourt (Oise), accompagne son père sur un chantier de construction à Beauvais. Alors qu’il est perché en haut d’un échafaudage, au troisième étage d’un immeuble, sa tête heurte violemment une rambarde. Assommé, Marius fait une chute de sept mètres.
Son père se précipite et constate avec soulagement que le jeune garçon semble indemne : pas de blessure apparente, rien de cassé. Par précaution, il décide de l’accompagner à l’Hôpital, qui se trouve à quelques centaines de mètres de là.
Marius est immédiatement pris en charge. Il se plaint d’une forte douleur au côté droit. Le Docteur Varin, chirurgien, diagnostique un éclatement de son rein et une importante hémorragie interne. Pas de temps à perdre : moins d’une heure après l’accident, Marius est au bloc opératoire. Son rein est dans un sale état, il faut l’enlever. Qu’importe, on vit normalement avec un seul rein, Marius est jeune et en excellente santé, il s’en remettra vite !
Pourtant, rien ne se passe comme prévu. Le lendemain de l’intervention, Marius n’urine qu’un peu de sang. Le surlendemain, il n’urine plus du tout. Les médecins sont inquiets et décident de le transférer à l’hôpital Necker à Paris, dans le service du Professeur Michon. Cet établissement est réputé pour son expertise dans la prise en charge des maladies des reins, qui sont alors pratiquement toutes mortelles.
22 décembre
Marius est à Necker. Rapidement, le verdict tombe : il est né avec un seul rein, celui qui a été retiré à Beauvais. Le pronostic est sombre : la dialyse n’en est qu’à ses balbutiements et n’est utilisée que pour traiter des insuffisances rénales aigues, pour permettre aux patients de “passer le cap” et de récupérer leur fonction rénale en quelques jours. La technique n’est donc pas adaptée à la situation de Marius.
La transplantation rénale est, elle aussi, en phase très expérimentale. Si la technique chirurgicale semble maîtrisée, toutes les tentatives sur l’homme, en France comme à l’étranger, ont été des échecs. Elles sont majoritairement réalisées à partir de reins prélevés sur des cadavres, (notamment des condamnés à mort fraichement guillotinés). Pour expliquer ces échecs, en plus de l’état souvent mauvais du greffon, on évoque déjà l’incompatibilité biologique entre donneur et receveur, sans pour autant pouvoir la quantifier et encore moins la maîtriser…
Pourtant, la greffe apparaît aux médecins de Marius comme le seul espoir pour tenter de sauver sa vie.
Lorsqu’ils informent ses parents de leurs projets, Gilberte, sa mère, propose immédiatement de donner un de ses reins pour son fils. Mais compte tenu de la lourdeur et des incertitudes de l’opération, une stratégie plus “classique” est envisagée.
En attendant, Marius n’a plus de rein depuis déjà quatre jours et son état est critique. Il faut le maintenir en vie. Des dosages sanguins très fréquents permettent d’ajuster des traitements destinés à tenter de contrôler l’empoisonnement progressif de son organisme. Un équilibre précaire devra être trouvé pour que Marius puisse attendre sa greffe…
25 décembre
Quelque part dans Paris, un homme atteint d’un grave traumatisme crânien est mourant. L’hôpital qui l’a pris en charge est en contact avec l’équipe de Necker : sa situation est désespérée, Marius cherche un donneur. La mort annoncée de cet homme pourrait se transformer en une chance de vie.
Pourtant, alors que tout se met en place, un ultime coup de théâtre se produit : le cœur de l’homme s’arrête une heure environ avant le début de l’intervention et le prélèvement est rendu impossible. Les chances de Marius sont réduits à néant…
C’est sans compter sur la détermination de Gilberte : elle supplie les médecins de prendre un de ses reins pour le donner à Marius. Un geste considéré comme éminemment transgressif : comment justifier l’amputation d’une personne bien portante alors que le pronostic de la greffe est très sombre ?
Sa détermination est sans aucun doute cruciale, mais c’est surtout la configuration idéale qui entourerait une telle intervention qui finit de convaincre l’équipe de Necker. Les conditions du prélèvement seraient optimales, le rein serait d’excellente qualité et surtout le lien de parenté entre Marius et Gilberte les conduit à penser que pour une fois, les chances de succès seraient raisonnables.
Le consentement de Gilberte est écrit et signé. Elle est hospitalisée dans l’après midi, dans une chambre voisine de celle de Marius. Elle subit une batterie d’examens visant à vérifier sa parfaite santé.
A 19h, la mère et le fils sont transportés à travers l’hôpital Necker, vers le bloc opératoire. Ils sont installés dans deux salles contigües. Des chirurgiens de Broussais ont rejoint ceux de Necker. Les deux interventions ont lieu simultanément. A minuit et demi, la donneuse et le receveur sont ramenés dans leurs chambres, Marius en salle Lefort et sa mère dans le bâtiment en face, salle Laugier.
Et rapidement, le rein greffé se remet à fonctionner. Quelques jours plus tard, Marius a repris des forces. Ses parents le croient sauvé, même si les médecins restent très prudents.
Malgré leur souhait de discrétion, les médias s’emparent de cette belle histoire. Dès le début janvier 1953, l’ensemble des journaux et des magazines relaie les nouvelles du jeune greffé au jour le jour, louant l’exploit médical et la formidable générosité de sa mère. Soudoyant le petit personnel de l’hôpital, ils parviennent non seulement à obtenir des informations qui auraient dû rester confidentielles, mais aussi à pénétrer dans l’enceinte de Necker pour rencontrer la mère et le fils. Des clichés les représentant dans leurs lits sont publiés, ainsi que des photos des Renard, famille unie et heureuse, avant l’accident.
De Marius, on écrit qu’il est “le jeune homme au rein greffé, le premier d’une nouvelle espèce”, héros “d’un roman d’anticipation, d’un roman d’amour”. Gilberte, “mince femme de 45 ans, cheveux gris, visage éclairé par un sourire confiant et les yeux pleins d’espoir”, est la “mère exemplaire”, “la mère douloureuse qui honore l’humanité”. Elle déclare aux journalistes qu’elle “n’a fait qu’un tout petit sacrifice”.
L’équipe médicale, elle, reste dans l’ombre et malgré les efforts des médias aucune interview ne sera réalisée, aucun nom de médecin publié. La presse parle des “savants”, des “magiciens en blouse blanche”, des “meilleurs chirurgiens et urologistes de France”.
Soudain, le pays se passionne pour ce qui ressemble tout d’abord à une formidable réussite de la médecine. Les bulletins de santé de Marius son rassurants, chacun de ses progrès est relaté en détail : La composition de ses menus, ses premiers pas, ses premiers projets pour “l’après”, les visites de son petit frère, la présence attentive de ses parents à son chevet. Les cadeaux affluent : des livres et des albums d’aventure, un poste TSF et même des sommes d’argent. Marius doit être transfusé chaque jour ; un appel est lancé : Necker a besoin de donneurs de sang de groupe B+. Plusieurs centaines de personnes s’y précipitent pour concourir à la guérison du jeune garçon, tant et si bien que bon nombre d’entre eux seront finalement refoulés.
La réussite semble à portée de main et paradoxalement si elle réjouit le public, elle ne l’étonne pas plus que ça : n’est-il pas légitime que les efforts conjugués de la médecine et l’amour d’une mère viennent à bout de la fatalité ? Les articles consacrés à Marius se mettent peu à peu à relayer d’autres messages : l’état catastrophique de l’hôpital, la vétusté des locaux, la faiblesse des moyens disponibles. On lit même que “les médecins ont eu deux adversaires : la mort et un hôpital vieux de 200 ans”… Necker n’a en effet pas été rénové depuis plusieurs décennies et a conservé sa configuration d’origine, avec de multiples pavillons dispersés, les conditions matérielles sont déplorables.
16 janvier
Soudainement, le rein greffé cesse de fonctionner. Une nouvelles intervention est réalisée dans l’urgence, elle vient confirmer ce que tous redoutaient : l’aspect du rein est caractéristique d’un rejet. Marius rassure ses parents et affirme qu’il ne va pas mourir. Son état préoccupant émeut la France entière et au delà. Des courriers provenant de toute l’Europe parviennent à Necker. Pas moins de cent onze anonymes proposent de donner à leur tour leur rein au jeune garçon. Un élan de générosité que nul n’aurait pu prévoir. Quelques noms de donneurs potentiels sont publiés et leur courage est salué par la presse unanime.
L’état de Marius se dégrade de jour en jour. Ce qui aurait dû être une convalescence se transforme en une lente agonie. Les articles se font de plus en plus alarmistes et relatent en détail la détresse de la famille Renard. Bientôt, Marius est considéré comme condamné. Gilberte est désormais installée dans la chambre de son fils et ne le quitte plus. Son père est traqué lors de chacune de ses visites à l’hôpital, le moindre de ses propos est reproduit dans les journaux. On parle même des infirmières qui se cacheraient pour pleurer.
27 janvier
Marius est dans le coma.
28 janvier
Pour la première fois depuis son hospitalisation, sa mère s’est laissée convaincre de ne pas rester à son chevet. Elle quitte Necker en début de soirée, prévoyant d’être de retour dès le lendemain matin.
Marius s’éteint à 21h.
Quelques jours plus tard, pas moins de cinq milles personnes se rendent à Berthecourt pour rendre un dernier hommage au jeune garçon. Une procession impressionnante accompagne le cercueil ainsi que trente cinq couronnes de fleurs blanches et roses, provenant du monde entier, jusqu’au cimetière du petit village.
Malgré la cruauté de cet échec, il ouvre la voie à l’ère de la transplantation : les observations et les résultats des analyses pratiquées seront décisifs au plan scientifique. Le traumatisme est pour autant très grand. Il faudra attendre plus de six ans pour qu’une nouvelle tentative soit réalisée.
Quant à Gilberte, elle a vécu jusqu’à l’âge de quatre vingt cinq ans.
Le conte de Noël devenu tragédie aura marqué toute une génération.
Extrait de “D’autres reins que les miens”, éditions du Cherche Midi, avec l’autorisation des auteurs.
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