Actualités

Pourquoi le mode de financement de la dialyse est mauvais pour les patients ?

Les patients parlent aux patients…

Renaloo dénonce depuis longtemps les dysfonctionnements liés au modèle économique de la dialyse.

Le système actuel entraîne en effet de mauvaises prises en charges pour les patients, à des conditions économiques prohibitives pour la Sécurité sociale et en laissant la porte ouverte à des risques majeurs de dérives financières.

Ces constats ne sont pas seulement ceux de Renaloo. Ils ont été partagés ces dernières années par différents travaux et institutions : Assurance Maladie, HAS, Cour des comptes, HCAAM, etc.

Alors qu’une réforme semble devoir intervenir de manière imminente, nous avons souhaité expliquer de manière pédagogique les raisons de ces dysfonctionnements ainsi que les pertes de chance majeures vécues par les patients, pour des motifs financiers.

> Voir aussi : Pourquoi l’organisation de la dialyse cherche t-elle à décourager l’autonomie des patients ?

Un financement « à l’acte », par séance

Il existe plusieurs modalités de dialyse, « non autonome » ou « autonome ». On parle de dialyse autonome lorsque le patient réalise lui-même tout ou partie de son traitement.

  • Dialyse non autonome : hémodialyse en centre (HDC) et en unité de dialyse médicalisée (UDM)
  • Dialyse autonome : autodialyse (ATD), hémodialyse à domicile (HDD), dialyse péritonéale (DP)

Chacune de ces modalités, prises en charge à 100% par l’assurance maladie, fait l’objet d’un remboursement à l’établissement pour chaque séance réalisée, le tarif étant spécifique à la modalité, mais ne dépend ni des caractéristiques des patients, ni de la durée de la séance, ni d’aucun critère de qualité de traitement.

Les forfaits par séance de dialyse non autonome – centre et UDM – sont les plus élevés et permettent une rentabilité importante. De plus, le nombre de patients dialysés augmente chaque année de 4% environ (47000 environ en 2016).

Dès lors, les établissements ont la possibilité d’augmenter les marges qu’ils dégagent en :

  • multipliant les actes les mieux remboursés (séances de dialyse non autonome)
  • limitant les coûts correspondants
  • freinant l’accès à l’innovation

Dans le secteur privé, le remboursement pour une année (156 séances) de dialyse non autonome est d’environ 40000€ par patient en moyenne, contre 35000€ pour la dialyse autonome.

Les rémunérations des néphrologues libéraux sont en moyenne de 5200€ par an et par patient en dialyse non autonome, contre seulement 2500€ par an en dialyse autonome (pas de rémunération pour l’hémodialyse à domicile).

Selon le rapport 2015 de la Cour des comptes, depuis dix ans, la marge brute d’exploitation des structures spécialisées en dialyse a été en moyenne de 16% et leur rentabilité économique légèrement supérieure à 11%.
Ces taux sont très supérieurs à ceux observés pour les autres activités : 1,1% pour les cliniques multidisciplinaires, 0,6% pour les cliniques spécialisées, 0,5% pour les cliniques de radiothérapie ou encore 3% pour l’Hospitalisation à domicile.

La multiplication des actes les plus rentables

Pour augmenter le nombre de séances de dialyse non autonome facturées à l’assurance maladie, il est possible :

– de « remplir » au maximum les plages de dialyse non autonome disponibles, en orientant préférentiellement vers cette modalité le plus grand nombre de patients, au détriment des autres options thérapeutiques qui pourraient être médicalement et humainement préférables, ou simplement mieux correspondre au choix des malades : accès à la liste d’attente et à la greffe, dialyse autonome, à domicile.

– de multiplier les « postes » en dialyse non autonome, en obtenant des ARS les autorisations d’activité nécessaires, pas toujours attribuées en fonction des besoins des populations.

Ainsi, le pourcentage de patients en dialyse autonome en France est passé d’environ 40% en 2003 à moins de 25% en 2015. L’évolution des profils des patients sur cette période ne suffit pas à expliquer cette diminution.

Des conséquences importantes pour les patients et pour la santé publique
Cette « course » au remplissage des structures de dialyse non autonome peut conduire à des pratiques médicales non pertinentes, allant à l’encontre des recommandations, privilégiant la dialyse non autonome, la plus lourde pour et la plus coûteuse pour le système de santé, au détriment de l’accès à la greffe(1), de la dialyse à domicile(2), voire de la mise en œuvre de stratégies efficaces de ralentissement de la progression des maladies rénales(3) ou de l’accès à des soins palliatifs pour les patients très âgés ou en fin de vie(4).

Les pertes de chances pour les patients, mal informés et mal orientés, sont considérables et irréversibles, en termes de qualité de vie, d’espérance de vie, de vie sociale et professionnelle, etc.

La limitation des coûts liés à la dialyse

Pour un établissement, il existe de nombreux moyens de diminuer ses coûts associés à la dialyse.

La limitation des coûts de rémunération des personnels :

  • En limitant les durées et les plages horaires des séances(5), au détriment de la qualité des soins et de la personnalisation de la dialyse aux besoins individuels des patients.
  • En supprimant les séances de soirée ou de nuit, qui permettent pourtant aux patients de disposer de leurs journées et de conserver une activité professionnelle.
  • En ne recrutant pas (ou en supprimant) les personnels dédiés aux soins de support(6) (psychologues, diététiciennes, assistantes sociales, etc.), pourtant prévus par la réglementation et indispensables pour un traitement aussi lourd que la dialyse. Voir notre étude sur les soins de support en dialyse.

La limitation des coûts « logistiques » :

– En achetant les consommables en gros à bas prix, ce qui entrave les possibilités de personnalisation aux besoins des patients (par exemple, les modèles de reins artificiels accessibles au sein d’une structure sont souvent limités à quelques références, alors que leurs spécificités devraient être adaptées à chaque patient).

– En limitant ou supprimant l’offre de restauration normalement comprise dans le forfait de séance, alors que les patients passent fréquemment entre 5 et 7h sur leur lieu de traitement et que la dénutrition est pour eux une problématique majeure. Lorsque le repas n’est pas simplement supprimé, il devient parfois payant, ou sa qualité est fortement dégradée, ou bien il est remplacé par une “collation” de qualité médiocre, comme le confirme de nombreux témoignages.

L’innovation découragée

Un faible nombre de structures propose depuis quelques années des modalités d’hémodialyse « non conventionnelle » (séances plus longues ou plus fréquentes), qui permettent de diminuer les symptômes et la fatigue, de réduire les complications, d’améliorer la qualité de vie, l’insertion professionnelle, et très probablement d’allonger l’espérance de vie des patients.

On peut par exemple citer :

  • L’hémodialyse quotidienne à domicile : 2h par séance, 6 jours par semaine.
    En 2015, seulement 363 personnes en France (sur 46000 patients dialysés, soit moins de 1%) bénéficiaient de cette technique.
  • L’hémodialyse longue : plus de 6h par séance, 3 fois par semaine, qui peut avoir lieu la nuit, pendant le sommeil.
    251 patients seulement recevaient ces dialyses longues en 2015 (0,6% des patients dialysés).

On aurait pu croire, compte-tenu de leurs avantages médicaux et humains, que ces techniques avaient vocation à se généraliser.

Au contraire, le très faible nombre de patients concernés montre qu’elles restent le plus souvent inaccessibles. De fait, aucun incitatif n’existe pour les établissements qui les proposeraient. Elles représentent pourtant des coûts supplémentaires, qui réduisent la rentabilité de la dialyse.

Elles constituent aussi pour les rares structures qui les proposent un véritable engagement au service des patients, en termes organisationnel et humain, qui doit être reconnu.

Des dissuasions tarifaires aux bonnes pratiques

Toutes les structures de dialyse ne sont heureusement pas concernées par ces stratégies d’optimisation financière, au détriment des patients. Mais les données nationales et régionales montrent de manière incontestable que ces pratiques existent et sont fréquentes. Comment s’en étonner ? Les établissements qui ont des comportements vertueux ne sont ni valorisés, ni encouragés. Au contraire…

Aucun incitatif n’est prévu pour les établissements qui maintiennent des dialyses du soir, qui permettent la personnalisation du traitement aux besoins du patient (durée, matériel…), qui proposent des repas corrects ou continuent à proposer les services de psychologues et d’assistantes sociales, etc. Qu’elles fassent ces « efforts » ou non, le remboursement par l’assurance maladie sera identique. Dès lors, comment s’étonner que les coûts correspondants soient souvent considérés comme facultatifs ?

Les structures qui se basent sur la qualité et la satisfaction des patients comme éléments de motivation sont rares. Elles doivent d’autant plus être saluées.

Où va cet argent ?

L’assurance maladie consacre chaque année environ 4 milliards d’euros à la prise en charge de l’insuffisance rénale. Plus de 80% de ce montant sert au financement de la dialyse.

La rentabilité de la dialyse est utilisée de manière différente selon le statut juridique des structures :

  • Dans les hôpitaux publics, dont les situations financières souvent désastreuses sont bien connues, la dialyse permet d’éponger au moins partiellement les déficits d’autres activités moins rentables.
  • Les associations de dialyse, structures privées à but non lucratif, n’ont légalement pas la possibilité d’afficher des bénéfices. Elles peuvent en revanche réinvestir leurs excédents, par exemple en développant un patrimoine immobilier.
  • Les structures privées à but lucratif reversent des dividendes à leurs actionnaires : dirigeants, néphrologues libéraux exerçant dans la structure, fonds de pension, actionnaires individuels. La presse financière française vente régulièrement auprès des investisseurs les mérites et les perspectives d’avenir des grands groupes de dialyse internationaux installés sur le territoire.

Cette situation, où la solidarité nationale finance totalement un traitement très coûteux, sans exiger de garanties précises sur la qualité et l’humanité des soins délivrés et sur l’usage des financements versés est une dérive grave, dont les patients sont les premières victimes. Il est urgent d’y mettre fin. 

> Télécharger cette note au format pdf

> Voir nos propositions pour une réorganisation des soins et une réforme du financement

Voir aussi : Pourquoi l’organisation de la dialyse cherche t-elle à décourager l’autonomie des patients ?

Références

(1) L’accès à la liste d’attente de greffe reste insuffisant et trop tardif.
Des recommandations HAS sont sorties en 2015 afin d’améliorer l’accès à la liste d’attente et de réduire les disparités de pratiques.
Il est recommandé que les patients soient inscrits dans les 12 à 18 mois qui précèdent le début prévisible de la dialyse.
Or, parmi les 59 805 patients ayant débuté la dialyse entre 2010 et 2015 :
– seulement 5,2% (3 125) étaient inscrits sur la liste nationale d’attente avant de commencer la dialyse ;

– seulement 43% des moins de 60 ans (contre-indications rares sur cette tranche d’âges) étaient inscrits après un an de dialyse et 71% après 5 ans de dialyse ;
– pour les patients de 70 à 74 ans, ces taux n’étaient plus que de 6 % à un an et 14 % à 5 ans (rapport REIN). 

(2) La dialyse à domicile concerne moins de 8% des patients en France, contre 20% à 30% en Suède, aux Pays-Bas et au Canada (EDTA).

(3) Philippe Tuppin, Anne Cuerq, Sylvie Torre, Cécile Couchoud, Anne Fagot-Campagna, Prise en charge des patients avant l’initiation d’un traitement de suppléance de l’insuffisance rénale chronique terminale en 2013 en France, In Néphrologie & Thérapeutique, Volume 13, Issue 2, 2017, Pages 76-86, ISSN 1769-7255

(4) En 2015, 1171 patients âgés de plus de 85 ans, soit plus de 10% de l’ensemble des nouveaux patients, ont commencé la dialyse en France (rapport REIN).

(5) En hémodialyse, le traitement recommandé pour assurer une qualité suffisante de dialyse est d’au moins 12 heures par semaine, à raison de 3 séances de 4 heures. En 2015, en France, plus de 8000 patients, soit 1 patient hémodialysé sur 5, recevait moins de 12 heures de dialyse par semaine (rapport REIN).

(6) La réglementation prévoit la disponibilité de soins de support pour les patients dialysés, leur financement reposant sur les forfaits de dialyse.
Les recommandations internationales préconisent des ratios de l’ordre d’un poste à temps plein (ETP) pour 100 à 150 patients maximum.
En 2015, en France, les 677 antennes de dialyse, rattachées à 112 entités juridiques privées à but lucratif et non lucratif ayant une activité exclusive de dialyse, ont eu recours à :
– 30 ETP assistantes sociales (soit 1 pour 760 patients)
– 30 ETP psychologues (1 pour 760 patients)
– 48 ETP diététiciens (1 pour 470 patients).
Plus de 80% de ces unités (554 sur 667) ne disposaient d’aucun personnel de soins de support, salariés ou libéraux.
Les 15 220 patients dialysés dans ces structures (13 560 en HD et 1 660 en DP) n’avaient donc aucun accès à aucun soin de support, indépendamment du montant des remboursements de la dialyse ces dernières années (SAE 2015).

Partagez

Plus de lecture

Partagez

Accueil Forums Pourquoi le mode de financement de la dialyse est mauvais pour les patients ?

Partagez
Partagez
Partagez
  • Vous devez être connecté pour répondre à ce sujet.
Partagez
Partagez