Table ronde sur les greffes d’organes ou de cellules à partir de donneurs vivants
Rapport fait au nom de la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique
Table ronde sur les greffes d’organes ou de cellules à partir de donneurs vivants avec la participation de :
M. le Professeur Gérard BENOÎT, Secrétaire général
de la société française de transplantation,
M. le Professeur Marc-Olivier BITKER, Unité de transplantation rénale
et pancréatique, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris),
M. le Professeur Olivier BOILLOT, Unité de transplantation hépatique, Hôpital Edouard-Herriot (Lyon),
M. le Professeur Jean-Paul COUETIL, Service de chirurgie cardiaque, Hôpital Bichat (Paris),
M. le Professeur Didier HOUSSIN, Directeur général de
l’Etablissement français des greffes,
M. le Professeur Henri KREIS, Unité de transplantation rénale,
Hôpital Necker-Enfants malades (Paris),
M. le Professeur Jean-Paul SOULILLOU, Président du Conseil scientifique de l’Etablissement français des greffes,
M. le Professeur Jean-Paul VERNANT, Service d’hématologie clinique,
Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris),
M. Régis VOLLE, Président de la Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux (FNAIR)
(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 décembre 2001)
Présidence de M. Alain Claeys, rapporteur,
puis de M. Bernard Charles, président
M. Alain Claeys, rapporteur.
– Mesdames, messieurs, le projet de loi relatif à la bioéthique prévoit d’élargir la catégorie des donneurs vivants notamment en ouvrant cette possibilité aux personnes entretenant avec le receveur des liens étroits et stables, de nature à garantir le respect des principes généraux du consentement libre et éclairé et de la gratuité. Cet élargissement se situe dans le contexte particulier d’un manque de greffons, ce qui peut représenter d’ores et déjà un argument pour le développement des greffes avec donneur vivant.
D’autre part, il existe dans le monde une grande diversité concernant la pratique de ce type de greffe. En 1993, aux Etats-Unis, par exemple, ce type de greffe représentait 40 % du total des greffes. Cette proportion n’était que de 4 % en France.
Mais cette pratique divise, semble-t-il, la communauté médicale et nous sommes là pour en discuter. En effet, pour certains, le premier des principes médicaux est le ” ne pas nuire “. Comme l’écrit le professeur Couetil dans la revue Le Courrier de la transplantation, ” Le risque vital et fonctionnel pour le donneur vivant doit toujours être vivant dans nos préoccupations et nos décisions, et reste le facteur limitant essentiel de cette activité de transplantation “.
Il nous appartient donc d’entendre les différents arguments en présence. Je remercie mes collègues et nos invités de participer à cet échange de vues.
Permettez-moi de vous présenter rapidement nos intervenants et je demanderai ensuite à chacun d’eux d’intervenir cinq minutes avant que nous n’engagions le débat.
M. le professeur Gérard Benoît est chirurgien transplanteur au service d’urologie du centre hospitalier universitaire de Bicêtre et secrétaire général de la Société française de transplantation. Il nous présentera les arguments scientifiques et médicaux qui militent en faveur d’un don d’organes entre personnes vivantes.
M. Jean-Paul Soulillou est président du Conseil médical et scientifique de l’Etablissement français des Greffes. Il dirige le centre de transplantation rénale de Nantes, le plus important de France. Il nous fera un état des lieux du don entre vivants, en termes de donneurs et de receveurs, quels sont les principaux bénéficiaires du don d’organe avec donneurs vivants et avec quels résultats.
Puis nous aborderons les aspects plus spécifiques des greffes à partir de donneurs vivants, selon les organes greffés.
Nous entendrons le professeur Bitker, responsable du programme de transplantation rénale et pancréatique et coordonnateur de l’enseignement de néphrologie de l’UFR de la Pitié-Salpêtrière. Il dressera un état des lieux de la transplantation rénale en France et abordera l’évaluation des résultats de cette pratique, les problèmes éthiques qu’elle soulève, en terminant par des propositions de modifications, s’il l’estime nécessaire.
M. Henri Kreis, professeur de néphrologie à l’université de Paris, est chef du département de transplantation d’organes à l’hôpital Necker. Il abordera les aspects particuliers de la transplantation rénale chez les jeunes enfants et il nous exposera les problèmes spécifiques liés à cette population.
M. Olivier Boillot, professeur de chirurgie digestive et responsable de l’unité fonctionnelle de transplantation hépatique de l’hôpital Edouard Herriot à Lyon, nous exposera les caractéristiques de la transplantation hépatique avec donneur vivant, tant en termes de comparaison avec les greffes à partir de greffons cadavériques, la pratique à l’étranger et les perspectives de cette pratique.
M. le professeur Jean-Paul Couetil est chirurgien au service de chirurgie cardio-vasculaire de l’hôpital Bichat-Claude Bernard et rédacteur en chef de la revue Le Courrier de la transplantation. Il nous donnera un aperçu de la transplantation lobaire pulmonaire à partir de donneurs vivants, ses implications et ses résultats ainsi que les problèmes éthiques particuliers qu’elle soulève, compte tenu du taux élevé de mortalité chez le receveur, 30 % par an. C’est donc un sujet extrêmement important.
M. Jean-Paul Vernant, chef du service d’hématologie clinique du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, est professeur en hématologie. Il nous expliquera les particularités du recours à la greffe des cellules souches hématopoïétiques que le projet de loi prévoit d’insérer dans la catégorie des tissus et cellules et non plus des organes. C’est là une modification du projet. L’évolution des techniques nécessite donc un cadre juridique garantissant la protection des patients tout en permettant de s’adapter.
M. Régis Volle, président de la fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux nous présentera le point de vue des patients en attente de greffe.
M. Didier Houssin, directeur général de l’établissement français des greffes abordera les aspects juridiques et éthiques liés aux dons en matière d’incitation, d’information et de consentement. Il nous résumera les propositions de l’Etablissement français des greffes pour améliorer la législation.
Je dois excuser le professeur Cochat, spécialiste de transplantation rénale chez l’enfant à l’hôpital Edouard Herriot à Lyon. Il aurait souhaité participer à notre table ronde mais il nous prie de l’excuser, n’ayant pu reporter une consultation.
M. Jean-Michel Dubernard. – Je souhaite m’adresser à mes confrères pour leur expliquer que depuis dix-huit mois nous avons eu toute une série d’auditions et d’ailleurs certains ont déjà été auditionnés par notre groupe. L’impression que j’ai eue de la part de mes collègues, parlementaires cette fois, est que les informations qui leur sont parvenues, soit en faveur soit contre la transplantation à partir d’organes prélevés chez le donneur vivant, étaient incomplètes, pas tout à fait objectives et surtout pas tout à fait étayées par un raisonnement établi sur l’expérience d’un certain nombre de groupes.
Je me sens, étant juge et partie, incapable d’être objectif ! Mais quand j’ai entendu ce que j’ai entendu sur les aspects positifs de la transplantation à partir de donneurs vivants – être greffé sans trop attendre, avoir des résultats incontestablement supérieurs – et sur les aspects négatifs – les risques encourus par le patient, les dérapages potentiels vers le commerce d’organes …- j’ai eu l’impression que tout cela n’était pas tout à fait bien ” métabolisé ” par mes collègues députés. Ils avaient reçu des informations, certes, mais ces informations n’étaient pas assez complètes et ne reposaient pas sur un socle solide.
Telles sont les raisons qui m’ont poussé à demander à M. Claeys d’organiser cette réunion. C’est l’état d’esprit dans lequel il faut que vous répondiez, me semble-t-il, pour qu’à la fin de cette réunion, on sache si, oui ou non, nous prenons une position claire.
M. Alain Claeys, rapporteur.
– Nous sommes donc dans ” une session de rattrapage “.(Sourires) En tout cas, cette table ronde est utile. La commission a souhaité approfondir un certain nombre de sujets et notre collègue Dubernard a raison. C’est ce que nous avons fait sur le clonage thérapeutique par une audition particulière, laquelle était souhaitée par lui et elle était souhaitable.
M. Gérard Benoît.
– Quelles sont les greffes possibles ? Quel est le risque pour le donneur ? Quel est l’avantage en termes de résultats ?
(M. Benoît commente une série de diapositives.)
Trois greffes sont possibles : pulmonaire, hépatique et rénale. Je me suis basé sur les registres français, américains et européens pour vous répondre.
Des greffes pulmonaires sont faites aux Etats-Unis. Cent receveurs ont été greffés avec deux personnes de leur entourage, chacune ayant donné un lobe. Sur cette série, aucun risque pour le donneur. M. Couetil vous en reparlera sans doute en détail tout à l’heure.
Le choix, c’est le registre européen. Ce diagramme vous montre la grande augmentation des donneurs vivants faits chez les adultes en transplantation hépatique en Europe.
Il y a eu quatre décès sur 430 donneurs vivants de foie en Europe. Vous pouvez lire les causes. M. Boillot pourra entrer dans le détail. On voit bien que le risque est de près de 1 % lorsqu’il s’agit de donneurs vivants de foie.
On voit l’avantage qu’il peut y avoir pour les receveurs. Cette courbe du registre européen – elle date d’une semaine environ – montre en haut la courbe des donneurs vivants ; la courbe intermédiaire est celle qui concerne la coupure du foie en deux pour faire deux greffes ; la courbe du bas est celle des donneurs cadavériques. Les résultats montrent que les greffes faites à partir de donneurs vivants sont supérieures à celles faites avec des cadavres.
Nous avons donc vu le poumon et le foie. Pour le rein, Didier Houssin pourra vous exposer les chiffres de l’Etablissement français des greffes. Je vous indique ici les chiffres qui montrent la survie du greffon en France avec un avantage aux greffes faites à partir du vivant par rapport à celles faites à partir de cadavres.
Pour la mortalité, j’ai retrouvé le chiffre classique, établi par Najarian : 20.000 greffes et 0,03 % de décès. Les décès sont donc possibles mais ils sont rares.
Un chiffre m’a énormément surpris d’autant que je ne le connaissais pas. En allant dans le registre américain, j’ai vu les derniers chiffres de demi-vie du greffon fait aux Etats-Unis. Un rein sur deux est efficace. Il est de dix ans pour les reins prélevés chez des cadavres, de dix-sept ans quand le rein est prélevé dans l’entourage non familial, de seize ans quand c’est un frère et beaucoup plus quand c’est un HLA identique mais, à mon avis, ces chiffres sont sujet à caution.
D’après ces chiffres du registre américain, on voit donc bien que les donneurs vivants donnent une demi-vie du greffon supérieure à celle des reins de cadavres.
Cette diapositive fait apparaître en jaune l’augmentation des greffes faites aux Etats-Unis ; la courbe en vert est celle du nombre de greffes faites à partir de reins de cadavres : pas d’augmentation ; la courbe rouge fait apparaître une augmentation des dons du vivant.
Que montre ce tableau compliqué et brut qui est sur Internet ? Il montre les greffes avec des vivants et des non-apparentés. Il y a aussi celles que j’accepte volontiers, la famille, les épouses et les amis. En pratique, cette augmentation permet de distinguer deux parties : la famille, les épouses, les concubins, les Pacsés, c’est-à-dire des personnes qui ont déjà des “contrats” avec leur partenaire ; puis les amis, pour lesquels les choses me paraissent plus complexes.
Malgré tout, on voit qu’une augmentation a été possible et qu’il faut y réfléchir.
En 1998, la société dont je fais partie avec beaucoup de mes collègues ici avait réfléchi aux problèmes de la loi de bioéthique. Nous avions insisté sur quelques points.
Il fallait que les pouvoirs publics participent à l’information à la fois sur le don du cadavre et sur le don du vivant.
Il fallait étendre le don plus largement à la famille génétique et aussi aux personnes émotionnellement liées – époux, concubins et Pacs – et bien sûr garder un contrôle juridique sérieux et important de cette procédure.
Tels sont les quelques points sur lesquels je voulais insister.
M. Jean-Paul Soulillou.
– Monsieur le rapporteur, pour suivre plus spécifiquement les questions que vous aviez suggérées dans votre courrier, je vais essentiellement parler du rein. D’autres collègues sont plus compétents que moi pour parler d’autres organes.
Je voudrais redire des choses que vous connaissez certainement déjà et évoquer quelques points simples.
La spécificité française par rapport au faible nombre de transplantations à partir de donneurs vivants devient un peu emblématique, parce que l’on compare toujours classiquement la France aux Etats-Unis, laquelle est maintenant isolée en Europe. Nos collègues suisses – qui ne sont pas réputés pour être des têtes brûlées – réalisent plus de 50 % actuellement ; cela démarre aussi en Angleterre. La France partage avec l’Espagne des chiffres inférieurs à 5 %.
Je ne crois pas que ce chiffre soit un signe de prudence mais je l’analyse comme un manque.
M. Houssin reviendra sur le fait que va paraître une information très importante issue de l’Etablissement français des Greffes, information qui va certainement changer les choses. Cela dit, elles évoluent déjà en France et à mon sens le chiffre sera cette année de 10 %. Une fois cette barre dépassée, nous le savons, les choses décollent.
Nous sommes donc dans une période intermédiaire où la France va certainement rejoindre le peloton des autres pays.
A ce titre là, j’attire votre attention sur le fait que cette loi que nous attendons tous va nous engager pour très longtemps, peut-être une décennie. Certaines choses nous paraissent maintenant quelque peu curieuses techniquement. C’est par exemple la possibilité de pouvoir permettre des échanges entre familles différentes, lorsqu’une transplantation n’est pas possible parce que la compatibilité des groupes sanguins ABO ne la permet pas.
J’attire votre attention ! Il va falloir permettre ces échanges car le but est de faire ce type de transplantation avec des gens motivés qui ont des liens forts. C’est leur droit de citoyen de pouvoir avoir accès à ce type de technique. Cela fonctionne aux Etats-Unis. Pour le moment en France ce n’est pas vraiment à l’ordre du jour mais cela le deviendra dans cinq-dix ans. Je crois que la porte doit être ouverte, évidemment avec un système de commission de régulation pour que nous puissions avoir un regard sur tous les aspects de ces échanges-là.
Deux autres points me paraissent importants.
La transplantation à partir de donneurs apparentés dans le domaine du rein réglerait pratiquement le problème français, problème énorme. Dans dix ans, il y aura plus de 7000 personnes en attente. Le coût financier est énorme mais le coût humain sera encore plus difficile à supporter. L’attente pourra durer dix ans pour des gens défavorisés. La transplantation à partir de donneurs vivants résoudrait donc une partie de ce problème.
C’est une pratique qui, quantitativement et qualitativement, est très importante. Il faut comprendre qu’elle permet d’augmenter les greffes mais aussi leur qualité. Les greffes durent plus longtemps, ce qui augmente l’effet simple du nombre.
M’étant intéressé à ce problème de transplantation à partir de donneurs vivants et pour avoir discuté beaucoup avec les malades, je sais que certaines familles sont choquées que notre pays ne leur offre pas cette possibilité. Des gens seraient prêts à donner un rein à l’intérieur de leur famille et ils sont choqués des difficultés qu’ils ont à pouvoir réaliser ce don. Comme vous le savez, certains essaient d’aller à l’étranger. Par delà le problème médical, se pose aussi cet important ” problème citoyen “.
M. Marc-Olivier Bitker.
– Je veux insister sur plusieurs aspects.
Premièrement, la loi bioéthique de 1994 insistait énormément sur le recueil par le témoignage des proches de la volonté du défunt lorsqu’il s’agit de transplantation de rein de cadavre. Or il n’est probablement pas de meilleur témoignage que celui d’un vivant qui peut non seulement donner ou ne pas donner son accord mais surtout revenir sur un accord éventuel. Quelquefois, le rôle de l’équipe médicale est alors de faire que ce retour sur un accord préalablement donné soit non pas masqué mais présenté de telle sorte qu’il ne choque pas un éventuel receveur. Mais encore une fois, la première liberté est celle de s’exprimer quand on est vivant. Bien sûr, il faut s’assurer que le don du vivant n’est pas sous contrainte mais tel est aussi le rôle éventuellement des comités d’experts ou des comités de sages dont la Société française de transplantation avait vivement souhaité la création. En tout cas, je crois que le don du vivant est le meilleur don qui soit, d’autant que les choses ne se font pas en quelques heures, du moins en transplantation rénale. On prend le temps d’en parler à de nombreuses reprises et le futur donneur voit de nombreux membres de l’équipe médicale ou paramédicale.
Deuxièmement, si le devenir des donneurs – un des très gros problèmes éthiques posés par ce type d’activité – a pu faire l’objet de quelques craintes au début des années 1980, la plupart des équipes, dont la nôtre, ont travaillé sur ce sujet. En dehors de la mortalité péri-opératoire relevée dans l’étude de Najarian, il est actuellement prouvé de la manière la plus formelle qui soit, tant par les équipes américaines que par les équipes nordiques, où la transplantation rénale à partir de donneurs vivants est très répandue, que le devenir des donneurs est strictement identique à moyen et long termes à celui des gens n’ayant pas donné, par exemple de leurs frères et s_urs qui, eux, n’ont pas fait l’objet d’un prélèvement de leur vivant. Ils ont les mêmes maladies, la même incidence de problèmes de santé néphrologiques ou non néphrologiques. C’est maintenant une certitude scientifiquement assise et de nombreuses publications existent à ce sujet.
Troisièmement, la situation dans le monde nous met actuellement, nous, Français, dans une situation qui n’est pas particulièrement en avance dans ce domaine puisque, comme cela été dit tout à l’heure, aux Etats-Unis c’est, selon les centres, entre 40 et 60 % de transplantations rénales à partir de donneurs vivants. C’est 8 % en Europe, 25 à 40 % dans les pays nordiques. La France, avec 4 % pour le moment, est encore très en retard, probablement pour des raisons culturelles sur lesquelles nous reviendrons peut-être.
Je veux dire aussi à quel point, nous, transplanteurs rénaux, sommes actuellement frappés du fait de la pénurie de greffons d’origine cadavérique. Nous avons tendance à élargir les indications ou à diminuer les contre-indications au prélèvement d’organes chez les patients en état de mort encéphalique et nous sommes de temps en temps confrontés à des problèmes extrêmement difficiles pour décider de greffer ou de ne pas greffer un rein prélevé chez des sujets par exemple âgés ou ayant des pathologies, notamment vasculaires. C’est là un véritable problème et le devenir à moyen terme de nos greffés rénaux à partir de reins prélevés chez les patients en état de mort encéphalique est certainement un souci. Il serait en grande partie résolu par un élargissement des possibilités de prélèvement chez les sujets vivants.
Je crois qu’il n’est plus la peine de revenir sur l’intérêt qu’il y a à recevoir un rein HLA identique venant d’un frère ou d’une soeur. C’est la même chose pour des reins semi-identiques par rapport aux reins de cadavres. Mais il est particulièrement intéressant de voir les résultats publiés par une équipe nordique, en l’occurrence Ferhman-Ekholm et ses collaborateurs, étudiant le devenir des receveurs ayant reçu des reins de conjoint : les résultat sont encore supérieurs à ceux obtenus pour les malades ayant reçu des reins de frère ou de soeur HLA semi identique ou de leurs parents qui sont, par définition, semi identiques.
Notons un point qui fait parfois sourire les personnes de sexe féminin : ces résultats sont les meilleurs obtenus, à par le HLA identique, lorsqu’une femme donne à son mari, l’inverse n’étant pas tout à fait vrai. Souvent, les femmes s’immunisent contre leur mari à l’occasion des grossesses.
Actuellement, dans notre centre, la transplantation rénale à partir de donneurs vivants représente 20 % de l’activité. Nous avons commencé à développer ce programme en 1991 ; l’augmentation a été très régulière. Comme le disait précédemment Jean-Paul Soulillou, quand on a commencé, on est tellement impressionné par la qualité des résultats qu’on a envie de continuer. Actuellement, nous sommes donc à 20 %.
Je veux évoquer aussi l’aspect économique dont il est actuellement très à la mode de parler chaque fois qu’il s’agit de médecine. Le souhait de tous nos gouvernants, de quelque bord qu’ils soient, est que nous donnions le meilleur soin au moindre coût. Précisément, la transplantation rénale à partir du donneur vivant est un exemple absolument caractéristique des meilleurs résultats obtenus chez le patient malade, avec un coût moindre, puisque les épisodes de rejet, les complications liées à l’immunosuppression sont plus faibles que chez les patients recevant des reins de cadavre du fait que les reins greffés sont plus compatibles et de meilleure qualité.
Enfin, je veux dire à quel point j’adhère complètement aux propositions qui avaient été faites par la Société française de transplantation lors de ses assises en 1998. Nous pensions qu’il serait souhaitable d’élargir au conjoint la possibilité de greffes au sein de la famille cette fois-ci non génétique.
M. Jean-Paul Soulillou a posé le problème de savoir s’il ne faut pas aller un tout petit peu plus loin lorsqu’il existe des incompatibilités dans le système ABO. On pourrait très bien imaginer que, encore une fois sous le contrôle de comités de sages ou d’experts – je préfère le premier car les transplanteurs ont besoin de temps en temps d’être freinés ou contrôlés dans le bon sens du terme par des gens sages – cette possibilité soit élargie aux beaux-frères ou aux belles-s_urs, dans certains cas particuliers et après une étude soigneuse. Bien entendu, il est fondamental que le caractère de conjoint ne soit pas seulement établi par le fait qu’ils ont signé un papier mais aussi par une véritable vie de conjoint, témoignages à l’appui. Ce point me paraît important mais c’est là le rôle des comités de sages.
La SFT avait aussi pensé que dans certains cas particuliers, notamment lorsque les grands-parents sont très jeunes, les reins de grands-parents pouvaient être utilisés. Nous étions un peu réticents et même assez réticents à la transplantation entre donneurs vivants sans relations génétiques, lorsqu’ils sont simplement amis. Mais ce point peut certainement être rediscuté probablement au cas par cas et sous le contrôle de comités de sages.
M. Henri Kreis.
– Mesdames et messieurs les membres de la commission, vous aurez probablement compris au cours des auditions précédentes que les intérêts qui gouvernent chacun d’entre nous sont fondamentalement différents et que la manière de présenter les données n’est pas fausse mais souvent sortie de son contexte et donc avec l’introduction de biais.
Je veux d’abord régler plus particulièrement la question des enfants sur laquelle vous m’avez demandé mon avis. Je crois que cette question ne pose aucun problème, en particulier lorsque le don provient d’un parent du premier degré. Il est clair qu’il ne peut y avoir aucune suspicion, aucun doute sur la volonté d’un parent de donner un organe à ses enfants. La surprise tient plutôt au fait qu’il n’y a pas 100 % de dons pour les enfants. Les propositions de ces dons sont inférieures à 50 %, ce qui met déjà une certaine réserve sur la valeur du don dans d’autres circonstances que celle du parent à l’enfant. Mais laissons de côté ce problème qui, à mon avis, est simple et sur lequel tout le monde sera sans doute d’accord, et revenons au problème plus général des transplantations pour des personnes adultes.
Il faut se mettre dans un contexte différent selon que l’on est en période de pénurie ou en période de non pénurie. Les résultats qui vous ont tous été présentés aujourd’hui sont tous des résultats observés en période de pénurie. Qu’est-ce que cela change ?
En période de pénurie, on utilise des organes de moins bonne qualité que lorsqu’on n’est pas en période de pénurie. Depuis dix ans, nous utilisons de plus en plus d’organes dits marginaux. Cela veut dire qu’ils proviennent de donneurs âgés, présentant déjà lorsqu’on les transplante des lésions plus ou moins sévères. Mais si nous nous reportons aux années de non-pénurie – il y a quinze ou vingt ans, voire plus – on s’aperçoit que les reins provenant de donneurs décédés de morts encéphalique avaient une qualité de survie qui était identique à celle des donneurs vivants, sauf les donneurs qui sont HLA identique, lesquels représentent 25 % simplement de la fratrie. Tous les autres reins avaient des survies qui étaient identique à ceux obtenus avec les organes prélevés sur des donneurs morts.
Faut-il donc aujourd’hui, en période de pénurie, prendre des décisions définitives ? Personnellement, je pense que non. Les décisions que nous devons prendre actuellement doivent être à terme et à court terme. D’autre part, on ne peut pas désincarner le problème du prélèvement sur donneur vivant de l’ensemble du problème de la transplantation d’organes ou même de l’ensemble de l’utilisation du corps humain.
Le problème de la transplantation d’organes dans son ensemble doit envisager à la fois le cadavre et le donneur vivant. On dit aujourd’hui, et tout le monde accepte l’idée, que nous sommes en période de pénurie. Cette pénurie est-elle réelle ou est-elle simplement de fait, parce que l’on ne va pas chercher, parce que l’on ne s’est pas donné les moyens d’obtenir les bons donneurs, les bons organes et de les obtenir tous ?
Ce problème a été pris en mains par les transplanteurs depuis 1969 ou 1970. Cela a été probablement une bonne chose au départ et une erreur par la suite. Ce n’est pas aux médecins de régler ces problèmes. Aujourd’hui, la collecte des organes est devenue un problème de société et à mon avis c’est à la société de décider de deux choses. D’une part, veut-elle des transplantations d’organes, veut-elle que l’on utilise le corps humain pour le bénéfice de ses membres ? Si la réponse est positive, c’est à la société de dire comment elle veut que l’on donne et que l’on collecte les organes.
Il a plusieurs manières de faire mais je pense que nous devons aujourd’hui constater que le don d’organes, qui a été la base du système de pensée des transplanteurs depuis trente ans a abouti à l’échec d’aujourd’hui. Je pense donc qu’en parallèle au problème du donneur vivant, on ne peut pas ne pas mettre en route une réflexion sur la collecte des organes en général et, en particulier, revoir la manière dont nous avons agi depuis trente ans, se demander s’il n’y a pas une autre voie qui nous permettrait d’augmenter la collecte des organes cadavériques et la collecte des organes de bonne qualité, de telle sorte que cette fois-ci nous n’aurions plus besoin de prélever des organes sur des donneurs vivants.
Il ne faut pas oublier que même si la mortalité est faible, la mortalité existe et, lorsqu’elle survient dans une équipe, c’est quelque chose de dramatique. Notre collègue Jean-Michel Dubernard pourra éventuellement témoigner sur ce point.
J’insiste sur le fait que la période de pénurie est une mauvaise période pour prendre ce genre de décisions, surtout si elles doivent être prises de façon prolongée, pour longtemps.
M. Olivier Boillot.
– La transplantation hépatique est une transplantation très lourde, qui est compliquée du point de vue technique et qui est souvent faite chez des malades en très mauvais état général, souvent en urgence.
(M. Boillot projette une série de transparents qu’il commente.)
Je situe rapidement le contexte de la transplantation hépatique en Europe. Un registre européen collige toutes les transplantations qui ont été faites depuis 1968. En décembre dernier, 42.000 transplantations avaient été réalisées, dont près de 8600 en France. Le nombre annuel de transplantations hépatiques évolue de manière assez exponentielle jusque dans les années 1998-1999 et il atteint un plateau lié principalement au manque d’organes.
Voici la courbe de la survie globale des patients transplantés du foie. De 1988 à maintenant, la survie des patients était autour de 80 % à un an et à 62 % à dix ans. La survie des greffons est un peu moins bonne puisqu’un certain nombre de patients doivent être retransplantés pour diverses raisons.
Considérant l’année de la transplantation, on peut noter une amélioration sensible des résultats dans les périodes récentes.
Cette diapositive montre l’acuité du problème des donneurs aux Etats-Unis. Les colonnes de gauche représentent le nombre de patients inscrits ; les colonnes en bleu représentent le nombre de donneurs ; la courbe jaune représente le nombre de transplantations. Il apparaît que la durée d’attente augmente ainsi que le nombre de décès avant transplantation.
C’est aussi ce qui se passe en France, à moindre échelle, comme vous le voyez, pour le nombre de transplantations réalisées et le nombre de patients inscrits. A droite, vous lisez le nombre de transplantations qui augmentent mais elles augmentent aussi parallèlement avec l’augmentation du nombre des patients inscrits. Par an, 8 à 10 % des patients meurent avant la transplantation. La colonne de droite représente le nombre de donneurs vivants qui ont été faits en France depuis 1995 et ils augmentent très légèrement.
Le foie est un organe unique alors que le rein est double. Par contre, le foie peut se diviser anatomiquement. La possibilité de greffer un receveur dépend principalement de son poids. Pour les petits enfants, il suffit de prendre une petite partie, par exemple 20 % du foie. Mais globalement il faut que le receveur reçoive une masse hépatique qui correspond au moins à 1 % de son poids corporel. Pour les adultes, il est nécessaire de réaliser une hépatectomie qui représente en général 60 % du foie du donneur, ce qui est un geste chirurgical plus lourd.
Je vous présente maintenant les résultats de la transplantation hépatique à partir de donneurs vivants en Europe, colligés par le registre européen d’octobre 1991 à décembre 2000. 33 centres sur 115 pratiquent la transplantation hépatique à partir de donneurs vivants. Pendant cette période, environ 530 transplantations ont été réalisées à partir de donneurs vivants, en Europe, dont 133 en France.
Le transparent suivant retrace l’évolution des centres en Europe qui se sont mis à faire des transplantations à partir de donneurs vivants : l’augmentation est graduelle depuis 1991.
Quels sont les patients qui bénéficient de la transplantation à partir de donneurs vivants, en Europe ? Initialement, c’était les enfants, ce qui était lié au fait qu’il existait peu de greffons pédiatriques. Petit à petit, ces enfants ayant été favorisés dans les règles de distribution des organes, le besoin s’est fait moins sentir d’utiliser les donneurs vivants. Par contre, les patients qui meurent sur la liste d’attente sont principalement des adultes. C’est la raison pour laquelle depuis trois ans environ se développe de manière relativement importante la transplantation à partir de donneurs vivants pour les adultes.
La relation entre donneurs et receveurs est marquée sur ce tableau. Nous constatons que finalement ce sont surtout des greffes intra familiales au premier degré mais que dans certains cas les grands-parents peuvent aussi donner.
Quel est le type de greffon utilisé ? Dans 37 % des cas, ce sont les foies droits qui correspondent à la plus grosse hépatectomie et les adultes sont donc principalement concernés. Comme M. Benoît vous l’a indiqué tout à l’heure, le taux de mortalité des donneurs était de 0,9 %. Dans notre centre, un donneur est mort l’année dernière et cette mort a été publiée dans les médias. Parfois, cela est difficilement contrôlable malheureusement.
Concernant les complications réversibles chez les donneurs, il faut dire que 83 % des donneurs n’ont pas eu de complications après l’intervention et 17 % ont eu des complications diverses qui, la plupart du temps, étaient réversibles.
Les indications sont à peu près comparables aux indications de transplantation chez les patients qui reçoivent un foie d’origine cadavérique. La différence serait peut-être que ce sont surtout les patients qui ont une cirrhose très évoluée et qui ne peuvent attendre la proposition d’un donneur cadavérique qui sont orientés préférentiellement vers la transplantation à partir de donneurs vivants.
Le transparent suivant fait état de la survie qui a déjà été évoquée précédemment. Il est vrai que la survie des donneurs vivants à long terme semble un peu meilleure que celle, d’une part, des patients transplantés à partir de donneurs cadavériques ou, d’autre part, de patients transplantés à partir de bipartition. Celle-ci consiste dans un foie cadavérique coupé en deux, ce qui permet alors de greffer deux personnes, la plupart du temps, un enfant et un adulte.
Voici la liste des centres qui ont contribué à ce registre du donneur vivant. En France, six à sept centres actuellement pratiquent d’une manière plus ou moins importante les transplantations à partir de donneurs vivants.
En résumé, la transplantation à partir de donneur vivant représente un progrès technique indéniable pour certains patients, avec un risque de décès sur dix. Comme je vous l’ai dit, ceux qui ont une cirrhose évoluée ou parfois certains cancers du foie qui ne pourraient pas attendre la proposition d’un donneur cadavérique. Il faut savoir que la durée d’attente est en France de l’ordre de six mois au minimum. Cela permet également de libérer d’autres greffons pour des malades qui n’ont pas la possibilité d’avoir un donneur vivant.
Les résultats en termes de survie sont au moins équivalents à ceux avec une transplantation à partir d’un donneur cadavérique et le risque de mortalité du donneur représente la limitation principale de la technique. Un grand nombre de précautions doivent être prises. Il faut que les équipes chirurgicales aient une expertise suffisante en transplantation et en chirurgie hépatique, que les indications soient bien choisies et que les informations soient données de manière complète et précise aux familles.
M. Jean-Paul Couetil.
– Je vous dirai quelques mots sur la transplantation pulmonaire et en l’occurrence sur la partie concernant les donneurs vivants.
La transplantation pulmonaire présente quelques particularités par rapport aux autres transplantations. D’une part, elle s’adresse à des patients dont le pronostic vital est menacé. L’enjeu est donc la vie du patient, bien entendu, contrairement à celle du rein mais de la même manière que la transplantation hépatique. D’autre part, la transplantation pulmonaire est certainement la plus récente au niveau de la chronologie ; elle s’est développée beaucoup plus récemment que les autres transplantations. Dès lors, l’expérience, notamment s’agissant des donneurs vivants, est beaucoup moindre en la matière.
Il n’y a que deux centres aux Etats-Unis qui transplantent de façon assez régulière les patients avec des donneurs vivants en matière de transplantation pulmonaire. Un centre a une assez grande expérience. Il n’a débuté qu’en 1991 et actuellement plus de 250 patients ont été transplantés. Les seules données que nous avons dans la littérature viennent des Etats-Unis et essentiellement de ce centre.
Le deuxième centre aux Etats-Unis est celui de Saint-Louis. Il a une soixantaine de patients transplantés et les résultats prêtent donc encore à caution car ce nombre n’est pas suffisant.
Depuis quelques années, à Paris, on a commencé à s’intéresser à l’hôpital Georges Pompidou au problème de la transplantation pulmonaire à partir de donneurs vivants et nous n’en avons transplanté que cinq. C’est cette année simplement que l’on s’est posé réellement le problème de la transplantation à partir du donneur vivant, avec le groupe de mucoviscidose.
Les indications en matière de transplantation pulmonaire pour les donneurs vivants s’adressent essentiellement aux patients atteints de mucoviscidose, des jeunes adolescents. On transplante les grands enfants après dix ans. Ce groupe représente à peu près 50 % des indications de transplantation pulmonaire en France. C’est vraiment le groupe le plus intéressé.
Je souhaite souscrire au propos du professeur Kreis s’agissant des donneurs vivants et des donneurs cadavériques. Néanmoins, en matière de transplantation pulmonaire, le pronostic vital est menacé et il y a une réelle pénurie d’organes cadavériques pour ces transplantations. Sur nos listes d’attente, à peu près un patient sur deux va mourir pendant l’attente de sa greffe. Le vrai problème est l’insuffisance de donneurs cadavériques.
Des efforts doivent être faits véritablement pour avoir de plus en plus de donneurs cadavériques, ce qui pourrait peut-être nous permettre de nous passer de donneurs vivants. Toutefois, il faut savoir qu’en France la demande en transplantation pulmonaire n’est pas énorme, à peu près de 100 cas par an. Par ailleurs, le poumon est un organe très fragile. Ainsi, parlant de prélèvement multi organes sur un donneur cadavérique, il faut savoir que par exemple par rapport à 100 reins prélevés, il y aura à peine 20 poumons qui pourront être prélevés du fait de la fragilité de cet organe.
Telles sont les particularités de la transplantation pulmonaire. Du fait de cette pénurie et de ces décès sur la liste d’attente, on s’est intéressé au donneur vivant. Mais, autre particularité, dans l’immense majorité des cas et en particulier pour les mucoviscidoses, ce dont on s’occupe essentiellement, il faut transplanter les deux poumons. Dans ce cas particulier, il faut deux donneurs vivants pour un receveur. Le problème éthique est donc très important, au vu des résultats à un an et à cinq ans de ces transplantations pulmonaires.
En pratique, techniquement, il faut prendre un lobe pulmonaire à l’un des donneurs et un autre lobe à l’autre donneur. En général, dans le contexte de la loi actuelle, c’est le père et la mère ou, éventuellement, le frère et la s_ur si ceux-ci sont majeurs. Cela pose un autre problème.
Quels sont les résultats sur les 250 cas recensés dans le monde actuellement ? Il est vrai qu’il n’y a pas eu un décès parmi les donneurs mais il y a fort à parier que lorsqu’on aura transplanté 500 ou 1000 receveurs il y aura au minimum un ou deux décès chez les donneurs. Ce problème du décès pour les donneurs se pose pour tous les donneurs d’organes, y compris pour le poumon, même s’il n’y en a pas actuellement.
Quelles sont les complications pour le donneur lui-même ?
Le fait de lui prélever un lobe pulmonaire ampute sa fonction pulmonaire de 20 % en moyenne, ce qui n’a aucune conséquence dans sa vie quotidienne. Sa vie est strictement normale. Les complications qui ont été décrites dans la littérature sont mineures jusqu’à maintenant mais il est évident qu’un jour, il y aura des complications majeures, ce qui est le problème de toutes ces opérations.
Qui, dans la famille, est susceptible de donner ?
Dans mes consultations, je traite essentiellement des enfants, souvent des adolescents et de grands enfants. Il est vrai que les parents, le père et la mère, sont toujours demandeurs. Ils sont très au courant et l’information passe très bien par exemple par le biais d’une organisation qui s’occupe de la mucoviscidose La plupart des parents d’enfants concernés savent qu’à peu près un enfant sur deux sur la liste d’attente va décéder. Ils sont donc souvent demandeurs, au minimum de l’information.
Un problème se pose lorsque l’un des parents n’est pas du même groupe que son enfant. On s’adressera alors éventuellement à un frère ou à une s_ur. Je crois que c’est là le problème le plus délicat que l’on a traité récemment. Sur le plan éthique, cela pose le vrai problème de demander à un grand frère ou à une grande s_ur.
Avec ma petite expérience – surtout technique mais aussi humaine – il me semble qu’étendre la possibilité de don vivant aux amis proches – à condition qu’ils soient vraiment reconnus comme des amis de longue date – pose moins de problèmes humains que dans une famille, lorsque le problème se retourne vers un grand frère ou une grande s_ur qui, visiblement, n’ont pas la même charge relationnelle que le père ou la mère. Dès lors, étendre – dans des conditions tout à fait particulières – les possibilités de don vivant peut-être à des amis, certainement aux oncles et tantes de ces adolescents mineurs, c’est-à-dire le frère ou la s_ur du père ou de la mère, me semblerait certainement souhaitable en matière de transplantation à partir de donneur vivant.
Enfin, comme l’a indiqué M. Kreis, s’il est bien de faire des transplantations à partir de donneur vivant, c’est encore mieux de ne plus avoir de pénurie vis-à-vis des donneurs cadavériques. Hélas ! le problème de la pénurie n’est pas un problème contingent puisque depuis que l’on fait des transplantations d’organes et en particulier du poumon on parle toujours de pénurie d’organes. Cela justifie amplement le don vivant.
M. Régis Volle.
– Je veux d’abord souligner la durée d’attente, extrêmement pénible pour les patients qui sont en dialyse aujourd’hui et qui nous donnent des témoignages parfois poignants. Il faut savoir que cette durée d’attente augmente progressivement et qu’elle risque encore d’augmenter dans les années à venir.
Ce qui nous choque, c’est qu’aujourd’hui il y a une possibilité de prélèvement chez le donneur vivant et que malheureusement cette possibilité est extrêmement peu fréquente. On a parlé de moins 5 %.
Je reviens sur les causes. Il est vrai que la loi bioéthique restreint à la famille proche ; le conjoint est concerné par la loi bioéthique – y compris par la dernière, telle qu’elle a été aménagée – uniquement en cas d’urgence.
Autre aspect qui n’est pas souvent abordé, cette possibilité de prélèvement chez le donneur vivant n’est pas proposée par de nombreuses équipes de néphrologues et même de transplanteurs. A notre avis, cela n’est pas normal.
Je crois qu’il est important de proposer cela, même avant la dialyse pour l’insuffisance rénale. A ce moment là, l’information qui sera faite auprès des patients et de leurs familles permettra d’avoir le temps d’y réfléchir, de se poser la question pour, le moment venu, donner vraiment un avis beaucoup plus autorisé et moins émotionnel.
Bien sûr, pendant la durée de la dialyse, cette nécessité de l’information sur les possibilités existantes et sur l’élargissement possible me paraît importante.
Pour illustrer mon propos, je me réfère à un article que nous avons publié en 1998 dans la revue que nous envoyons à tous nos adhérents, article qui reprend la position de notre fédération sur ces prélèvements chez les donneurs vivants. Il a suscité un abondant courrier. Je veux vous citer ce cas d’une femme jeune – 34 ans – parisienne d’origine qui est allée habiter à Saint-Etienne dernièrement. Lors de la parution dudit article, son compagnon – ce n’était pas son mari – a demandé au médecin la possibilité de faire bénéficier pour sa compagne de ce prélèvement. On lui a répondu par une fin de non-recevoir pour cause de la loi bioéthique.
L’intéressée nous dit qu’elle travaille actuellement à temps plein, qu’elle a un enfant de vingt mois qu’elle a eu en dialysant. Il est vrai que c’est une femme extrêmement courageuse qui, malgré cette dialyse pénible, avec une contrainte de vie considérable, combine quand même sa vie professionnelle et sa vie de famille. C’est quand même aussi une contrainte pour toute sa famille, pour son enfant, comme elle le dit très bien, et pour elle-même.
Ayant une responsabilité assez importante dans une entreprise d’export, elle est pénalisée dans son travail, notamment pour son déplacement du fait des dialyses. Dernièrement, elle a même perdu son travail car elle devait aller quelques jours, à la demande de son employeur, s’occuper des exportations en Chine, ce qu’elle n’a pas pu faire à cause du manque de possibilités de dialyse sur place.
Elle est donc confrontée à un problème énorme ainsi qu’elle le dit très bien en quelques lignes que je vous lis.
“Je suis pénalisée dans la construction de mon avenir et celui de ma famille. Nous souhaitons faire construire une maison mais comment présager de mon travail si je reste en dialyse ? Ma fatigue s’accumule de plus en plus et prendre un prêt sur vingt ans me condamne à tenir pendant tout ce temps. En aurai-je la force ?
“Mon compagnon, après lecture de votre article, m’a reparlé de son envie de me donner un rein. Ce geste d’amour, car c’en est un, est un espoir de retrouver une vie normale, rapidement, pour moi, pour lui et pour le bébé qui ne voit sa mère que par épisodes depuis sa naissance. Notre relation en pâtit forcément.
“Une mère souvent absente n’est jamais un bon début dans la vie d’un enfant, même si on lui explique et s’il connaît le centre de dialyse. Quelles sont nos chances par rapport à ce souhait de don dans un avenir proche ?”
C’est à cette question que vous devez répondre et cela me paraît très important. Ce témoignage est suffisamment parlant. Au sein de notre fédération, nous sommes très favorables à ce que l’on élargisse ces possibilités. Si demain tous les patients qui sont en liste d’attente de transplantation ont l’espoir d’être rapidement transplantés, je crois qu’ils auront une condition de vie bien meilleure.
M. Didier Houssin.
– Je veux d’abord décrire le paysage de façon un peu plus large. Si nous voulons véritablement un regard au niveau mondial de la pratique des greffes avec donneurs vivants, il convient de considérer d’abord que des greffes très fréquentes sont celles de cellules souches hématopoïétiques. En fait, l’échelle ne va pas de 5 % en France à 40 % aux Etats-Unis ou en Norvège ; elle est beaucoup plus large. C’est 100 % dans des pays qui ne font aucune greffe à partir de donneurs décédés et certains sont des pays développés. Je pense par exemple au Japon où les greffes de reins ne sont faites quasiment qu’à partir de donneurs vivants.
A l’autre extrémité de l’échelle, l’Espagne, le pays aujourd’hui le plus efficace en matière de prélèvements sur personnes décédées, fait 1 % de greffes de reins avec donneurs vivants.
Il me paraît important de souligner qu’il y a un lien entre le niveau d’efficacité du prélèvement sur personnes décédées et même sa simple réalité et la réalisation du prélèvement sur donneurs vivants, comme si ce dernier apparaissait quand même toujours un peu comme une solution de deuxième rang pour une raison bien compréhensible et qui a été largement expliquée : on expose un non-malade à un risque.
Par ailleurs, considérant les chiffres en France en tendance au fil des années, on observe effectivement une tendance en valeur absolue à l’augmentation des greffes avec donneurs vivants mais, comme cela a été indiqué, dans une proportion faible. Toutefois, pour certaines greffes – par exemple les greffes de foie – l’augmentation est rapide au cours des dernières années, en pourcentage. C’est là un élément qu’il faut certainement souligner et qui a d’ailleurs inquiété certains professionnels, notamment aux Etats-Unis.
Je souhaite aborder trois points, brièvement.
Premièrement, les aspects éthiques. J’aurai tendance à dire qu’il y a des demandes pressantes de la part de certains parents ou même de certains proches mais elles sont spontanément tout de même relativement rares. Ainsi, en sept ans d’existence, l’Etablissement français des Greffes n’a été sollicité que de façon extrêmement rare sur ce sujet. J’ai dû recevoir deux ou trois courriers de personnes s’insurgeant de cette situation alors que dans d’autres domaines l’Etablissement français des Greffes est volontiers le récipiendaire de ce genre de critiques ou de remarques.
Deuxièmement, je veux souligner le rôle absolument central des médecins. C’est volontiers l’attitude de l’équipe médicale ou chirurgicale qui détermine finalement la pratique. Vous avez en effet entendu des points de vue qui reflètent bien d’un côté une prudence – que l’on peut juger excessive – et de l’autre une tendance à agir que certains pourraient juger un peu plus hardie.
Du point de vue juridique, le projet en l’état, du moins tel que je l’ai vu, vise à élargir le cadre, lequel cependant aujourd’hui n’est certainement pas utilisé dans l’amplitude de ce qu’il offre. Ainsi, on pourrait faire beaucoup plus en France de greffes de rein à partir de parents proches qu’on n’en fait. C’est bien que le cadre juridique aujourd’hui ne contraint pas véritablement la pratique, sauf tout de même sur certaines parties qui sont des proches liés par un lien affectif, des grands-parents, des cousins qui voudraient donner mais ne peuvent pas. Toutefois, ils sont probablement assez peu nombreux à le faire spontanément. Si un médecin vient leur expliquer que c’est nécessaire et important, leur attitude peut varier.
Autre considération, si ce cadre doit s’élargir, je crois que ce doit être d’une façon bien mesurée, bien contrôlée. L’idée que le juge ait son mot à dire – mais un vrai mot à dire – et qu’un groupe suffisamment indépendant, quel qu’il soit, puisse se prononcer, en particulier sur les situations délicates, me paraît être une garantie. Ce qui fonctionne en France en matière de comités dits d’experts pour les prélèvements de moelle osseuse sur mineur ou en Grande-Bretagne pour les prélèvements de reins sur les donneurs vivants non apparentés donne des exemples dont on devrait pouvoir s’inspirer de façon raisonnable.
Troisièmement, je veux aborder la question du rôle de l’Etablissement français des greffes en matière d’information et éventuellement de promotion.
Jusqu’à ces derniers mois et ces deux dernières années, l’Etablissement avait un rôle presque obsessionnel en direction du prélèvement sur personne décédée. Il est vrai que tous les efforts ont été faits dans cette direction et d’ailleurs les pouvoirs publics ont largement contribué aux évolutions qui ont pu se faire. C’est d’ailleurs sous l’incitation de notre président de conseil médical et scientifique qu’il y a eu une prise de conscience que l’Etablissement devait peut-être faire plus en matière de donneurs vivants et déjà, dans un premier temps, sous l’angle de l’information. C’est la raison pour laquelle un document a été élaboré il y a assez peu de temps : “Insuffisance rénale – Et si la greffe à partir de donneur vivant était la solution ?”
Ce document est destiné aux malades, à leurs familles, aux médecins, aux associations de malades. Il s’inscrit un peu dans la lignée du très bon article qui avait été fait par la FNAIR il y a deux ans.
La question qui se pose ensuite est celle de savoir s’il faut aller au-delà de la simple information et jusqu’à une action de promotion, au même titre qu’on peut le faire actuellement dans le cadre du donneur décédé.
Cette question est extrêmement délicate de mon point de vue parce qu’il s’agit là vraiment de venir insérer un organisme public dépendant de l’Etat dans la relation la plus délicate qui soit entre le médecin et le malade. Dans mon esprit, cela reste un point d’interrogation. Est-ce que l’Etablissement français des Greffes doit avoir un rôle de promotion dans ce domaine ou simplement un rôle d’information ?
J’aurais tendance à penser comme le professeur Soulillou que le simple fait d’en parler modifie déjà les attitudes. Nous assistons aujourd’hui à une augmentation du nombre et du pourcentage des greffes à partir de donneurs vivants. Il faut peut-être laisser les choses évoluer dans un cadre juridique bien contrôlé, en espérant que les efforts faits du côté du donneur décédé et l’évolution qui sera observée du côté du donneur vivant permettront de mieux répondre aux attentes des malades, en sachant que de toute façon on n’arrivera jamais à avoir autant de greffons que de malades en attente. Du moins, il est possible de la minimiser.
M. Jean-Michel Dubernard.
– Je reconnais que je suis juge et partie mais je veux toutefois resituer le débat pour mes collègues parlementaires. Nous avons entendu des médecins qui, tous, essayent de faire le plus possible pour leurs patients, insuffisants rénaux, hépatiques, pulmonaires ou autres, et de leur éviter de mourir. La démarche qui vise à essayer d’élargir le plus possible le champ du don d’organe me paraît logique et normale de la part de médecins.
La situation se résume en réalité à deux problèmes. Les aspects positifs ont été très bien exprimés, en particulier par Régis Volle, avec la signification de l’attente pour des patients. Oui, le prélèvement à partir de donneurs vivants pourrait réduire l’attente mais dans des proportions relativement limitées, en fonction du champ d’ouverture de la greffe à partir de donneurs vivants.
J’essaye d’être le plus objectif possible. Oui, les résultats sont meilleurs à partir de donneurs vivants. Comme l’a très bien dit Henri Kreis, à l’époque où nous n’étions pas en pénurie et où les organes de cadavres que nous prélevions étaient “en bon état”, les résultats étaient équivalents. Ce sont des éléments positifs.
Au plan des éléments négatifs, nous avons entendu évoquer la notion de risque : 1 % pour les greffes de foie à partir de donneurs vivants, soit une mortalité très élevée et qui ne se rencontre pas dans la plupart des gestes de chirurgie courante.
Ce sont aussi les complications qui sont souvent très mal chiffrées. Pour ma part, j’aurai une suggestion à faire à l’issue de la discussion. Olivier Boillot a présenté la situation très objectivement en indiquant le taux de 17 % de complications. Mais l’on ne connaît pas les complications de donneurs vivants de reins, par exemple, et nous ne disposons d’aucune étude récente et significative dans ce domaine. La notion de 1 mort sur 3000 pour le rein est très ancienne et elle mériterait d’être revisitée.
Je suis particulièrement sensible à cette notion de risque. Nous avons vécu l’an dernier la perte d’un donneur de foie à l’hôpital. Personnellement, en 1971, il y a trente ans, j’ai assisté au décès d’un donneur vivant. C’est une expérience particulièrement éprouvante, pour un médecin, de se sentir responsable du processus ayant abouti au décès d’une personne en bonne santé.
Un deuxième aspect négatif n’a pas réellement été abordé par les experts ici présents. C’est celui des potentielles dérives commerciales. C’est la fameuse “pente glissante” !
Un intervenant a dit qu’il fallait être tout à fait d’accord pour que les parents donneur leur rein aux enfants et le consensus est absolu. Encore que 50 % des parents ne le proposent pas, a -t-il ajouté ! Pour les frères et soeurs, pourquoi pas ? Jean-Paul Couetil a bien posé le problème pour le poumon.
Les cousins ? La compagne ? L’épouse ? Nous connaissons tous les dérives potentielles de ceux qui vont aux Etats-Unis épouser une femme pour avoir un rein. Ce sont des phénomènes connus. La pente glissante peut ainsi continuer. Après le cousin, pourquoi pas le cousin du cousin ou l’ami de l’ami ? A un moment ou à un autre, il y aura quand même des pressions. Elles existent, même si elles ne sont pas commerciales à proprement parler, avec échange d’argent.
Monsieur le président, j’aimerais que vous interrogiez mes confrères sur cette question de la dérive commerciale.
Mme Catherine Génisson.
– Nous pouvons remercier l’ensemble de la communauté scientifique qui s’est exprimée et qui nous a éclairés. Nous nous posons cette question dans un contexte indéniable de pénurie, plus que par le fait que la qualité des résultats sur donneurs vivants est due plus à la meilleure qualité des greffons. Les prélèvements sur cadavres font que nous avons des greffons de moins bonne qualité mais ce n’est pas le fait que le donneur soit vivant qui donne la qualité des résultats pour le receveur. Ce point me paraît important à acter.
En tant que législateur nous devons nous poser deux questions.
Comment allons-nous pouvoir étendre ce droit de prélèvement sur donneur vivant qui semble obligatoire et est-ce que nous allons faire cette extension du droit de façon limitée ou de façon illimitée ?
Au-delà de la prévention des dérives commerciales qui ont été exposées par notre collègue Jean-Michel Dubernard, comment faire en sorte que cette extension ne se ” télescope ” pas avec la nécessaire promotion de la poursuite de prélèvements de greffons sur cadavres ? Nous ne devons pas perdre de vue cette deuxième notion.
Jean-Michel Dubernard a évoqué la question des dérives commerciales possibles. A l’inverse, qu’en est-il à partir du moment où nous étendons la possibilité de prélèvements sur donneurs vivants ? Nous avons eu le témoignage de cette jeune femme qui souhaitait ardemment que son compagnon puisse lui donner un rein. Nous avons également entendu le message du professeur spécialiste des greffes pulmonaires. A partir du moment où nous étendons cette possibilité du prélèvement sur donneurs vivants, je souhaiterais entendre la communauté scientifique sur la façon dont elle conçoit la définition de “liens étroits et stables”. On parle de mari et de femme, certes, mais compte tenu de la fragilité des couples, qu’est-ce que cela représente ?
Il y a aussi le concubinage et le compagnonnage. Nous avons aussi institué un nouveau mode relationnel avec le Pacs. Quelquefois, les liens d’amitié peuvent aussi être très forts. Les liens familiaux se situent aussi à des degrés autres que ceux des père-mère et frère-soeur.
Que faut-il entendre par “liens étroits et stables” ? Je souhaite que vous vous exprimiez, d’autant que certains d’entre vous ont parlé des droits des citoyens à pouvoir exprimer leur solidarité. Certains ont également évoqué un contexte de motivations très importantes d’échange et de partage.
M. Jean-Pierre Foucher.
– J’ai bien noté les résultats scientifiques.
S’agit-il d’envisager l’élargissement des donneurs vivants ? Le vrai problème est la pénurie de donneurs décédés. J’avais cru comprendre que selon les nouvelles dispositions mises en oeuvre, il fallait que la personne décédée ait fait connaître de son vivant qu’elle s’opposait à un prélèvement d’organes. Qu’en est-il dans la réalité ? Y a-t-il un nombre de donneurs éventuels important ? Si oui, le nombre de refus est-il important ? J’ai cru comprendre, d’après l’exposé de M. Volle, que l’on ne proposait pas cette solution pour les vivants, mais peut-être que l’on n’interroge pas systématiquement la famille pour les donneurs éventuels ? Y a-t-il donc des refus ? S’agit-il de refus liés à la famille qui se trouve dans une situation particulière due aux circonstances ? Ou est-ce effectivement parce que la personne décédée avait fait connaître son intention de ne pas vouloir de prélèvement ?
Enfin, le registre des refus est-il utilisé ? Est-ce que beaucoup de personnes s’y sont inscrites ?
Mme Jacqueline Mathieu-Obadia.
– Je souhaite poser une question d’ordre encore plus général à vous tous que je remercie pour vos présentations. Vous vivez au jour le jour les problèmes que vous nous avez exposés. Qu’attendriez-vous comme modifications législatives par rapport à la loi actuelle ? Que proposeriez-vous comme pistes dans le cas idéal ?
Question corollaire, au bout de combien de temps estimez-vous qu’il serait nécessaire de revenir nous retrouver afin de prévoir une évolution quant aux dispositions législatives que nous serions amenés à prendre ?
M. Yves Bur.
– Dans le droit fil des questions de ma collègue, il serait intéressant de savoir jusqu’à quel niveau de précision devrait monter la loi. Une chose est de définir un cadre général mais on se rend bien compte qu’à un moment donné se posent des situations très particulières. Des relations privilégiées, relations d’amitié ou relations amoureuses, peuvent alors être mises en évidence, relations qui peuvent heurter le cadre général.
Vous sentez-vous en mesure aussi de juger quand il faut faire le geste ou quand il ne faut pas le faire ?
Concernant les dons d’organe, il est vrai que la communication qui s’y rapporte est assez difficile et elle peut être encore compliquée avec les dons d’organes de personnes vivantes. Par rapport à d’autres pays, sait-on pourquoi la tendance est plutôt à la prudence ou à la diminution de dons ? Y -a-t-il des facteurs culturels ou des facteurs sociaux sur lesquels nous pourrions aussi agir ? Comment envisage-t-on d’agir ?
Le fait d’exprimer ou de ne pas exprimer de refus est-il réellement suffisant ? La pratique montre que cela n’est pas suffisant. Dès lors, faut-il peut-être trouver un modèle de communication comme la carte santé qui permettrait éventuellement d’exprimer de manière permanente et confidentielle quel peut être le choix de la personne par rapport au don ?
M. Claude Evin.
– Cette rencontre doit aussi progressivement nous acheminer vers nos votes et ce que nous inscrirons dans le texte de loi. Je n’ai pas de question à poser à proprement parler mais je veux réagir par rapport à quelques interventions. J’ai bien noté avec une certaine attention ce que disait M. Didier Houssin, à savoir que le cadre juridique actuel n’est pas déjà suffisamment utilisé, ce qui est une première préoccupation, non pas pour modifier ce cadre juridique mais en tout cas pour l’améliorer si cela est possible.
J’ai bien noté qu’il y a une demande pour que ce cadre soit élargi, répondant en cela d’une part à des besoins que vous avez identifiés et répondant aussi à des situations humaines qui nécessitaient l’élargissement de ce cadre. Le cas qui a été cité est assez significatif de ce point de vue.
Que devons-nous faire dans la loi ? Sans anticiper sur le débat, j’entends bien les différents risques de dérive qui sont exprimés et M. Jean-Michel Dubernard a souligné notamment le risque de dérive marchande. Je crois que l’on n’évitera pas complètement dans la loi ce risque. Ce n’est pas parce que nous avons un Code pénal qu’il n’y a pas des délinquants !
Nous devons écrire dans la loi le maximum de garanties pour l’éviter, y compris pour sanctionner lorsqu’il y a dérive marchande, piste qu’il faudra que nous examinions aussi.
Sur la question des “liens étroits et stables” et la définition des liens qui doivent être établis entre le donneur et le receveur, je crois effectivement que nous devons préciser un certain nombre de points dans la loi. Jusqu’où peut-on aller, notamment lorsqu’il n’y a pas de lien juridique ?
Quand il s’agit de définir des liens juridiques, on voit bien le problème, y compris du fait que le cadre a été élargi avec le Pacs. Je crois comprendre que la difficulté est réelle lorsqu’il n’y a pas de liens juridiques établis. C’est là qu’il nous faut sans doute avoir un dispositif qui permet d’avoir recours éventuellement à une commission, à une possibilité d’expertise et d’appréciation. Les liens d’amitié sont évoqués parfois mais il n’est quand même pas possible d’écrire juridiquement dans la loi la notion correspondante. En tout cas, il n’est pas possible que le législateur l’apprécie. On peut tenter d’écrire quelque chose mais ce n’est pas à nous de l’apprécier.
La difficulté à laquelle nous serons confrontés tient donc à la détermination de ce qu’il est nécessaire d’écrire pour border un certain nombre de dérives et ce que nous devons laisser à une appréciation au cas par cas …..
Mme Yvette Roudy.
– Tout à fait !
M. Claude Evin.
– … vraisemblablement dans le cadre d’une commission qui pourrait donner à ce moment là un avis. Je crois que c’est autour de cette approche qu’il faut que nous dégagions les solutions. Le projet en écrit déjà un certain nombre et il nous faut éventuellement les préciser.
Mon propos n’était donc pas question. C’était un essai pour formuler, y compris à moi-même, les questions autour desquelles il faudra que nous apportions un certain nombre de réponses.
M. Bernard Charles, président.
– M. Didier Houssin a fait part d’aspects importants l’aspect éthique et l’élargissement du cadre. Pour ma part, et comme Claude Evin l’a dit, je souhaite définir quels sont les éléments que nous pouvons ajouter pour mieux définir le cadre existant et toutes les possibilités.
Qui dit ouverture dit encadrement. On a parlé de juges et vous avez parlé d’un groupe indépendant, point qui a été repris.
Si l’extension est décidée, comment définir ” le lien étroit et stable ” ? Cette mise en place au plan législatif nous posera un problème très difficile.
Quelle précision doit-on attendre de la loi ? Quelle marge laisse-t-on au décret ? Quelle marge laisse-t-on à des autorités indépendantes qui seront chargées de faire vivre le cadre de cette loi ?
Jean-Pierre Foucher a posé aussi une question assez précise sur le registre et le refus d’un donneur.
Pour ma part, je veux insister sur un troisième point. Quels sont les éléments que nous pouvons mettre dans la loi pour améliorer l’information et la promotion du don d’organes ? Un certain nombre d’associations font du travail dans ce sens, notamment toutes les associations de malades. D’ailleurs nous nous situons dans cet esprit avec la loi sur le droit des malades et la qualité du système de santé. Quels sont les éléments qui, d’après vous, pourraient permettre d’améliorer la communication et l’information sur le don d’organes et par là même surmonter certains blocages ? A l’époque, la loi avait été quelque peu utopique sur ce plan.
Enfin, un sujet est toujours présent : la dérive commerciale, avec les pressions qui peuvent exister sur des donneurs potentiels. Comment est-il possible d’encadrer ? Comment sentez-vous cette problématique au quotidien ainsi que dans vos échanges avec vos collègues étrangers de pays marqués par d’autres ” cultures ” ou manières d’être ? Des expériences ont-elles déjà été menées pour cadrer cette question ?
M. Henri Kreis.
– Le problème est d’une telle complexité qu’il est vain d’essayer de le résoudre dans les quelques instants qui nous sont accordés ici.
Réflexion préliminaire, j’ai omis de dire tout à l’heure que le problème du don d’organe pour les transplantations rénales ou les autres transplantations doit s’envisager sous un angle complètement différent. Le rein n’est plus un organe vital ; la vie du malade receveur n’est pas en jeu. C’est le confort de sa vie qui est en jeu et je veux dire par là qu’il s’agit d’un manque de confort important, la dialyse étant une contrainte considérable. Sa vie n’est cependant pas en jeu et le risque que l’on peut accepter chez un donneur vivant doit être infiniment moindre que lorsqu’il s’agit d’une transplantation vitale, comme le foie, le poumon, l’intestin, etc.
Mme la députée nous a demandé quelles sont nos propositions. Comme nous n’allons pas entrer dans le détail, je ferai seulement quelques propositions.
Nous sommes aujourd’hui en période de pénurie et, qu’elle soit réelle ou non, elle l’est de fait : pour l’instant, nous n’avons pas d’organes cadavériques de bonne qualité. Je dois dire qu’il y a quinze ou vingt ans nous aurions refusé 50 % des organes que l’on nous propose aujourd’hui.
Nous sommes donc en période de pénurie. Or, il faut aujourd’hui transplanter nos malades qui se détériorent en dialyse. Pour cela, il faut sûrement un certain degré d’élargissement du cercle du donneur vivant. Je dis bien “un certain degré” car je ne pense pas qu’il faille aller tout de même trop loin, même en période de pénurie. Personnellement, je resterais à la famille génétique et encore faudrait-il voir jusqu’à quel degré, en dépassant probablement le premier degré. La famille légale est un autre problème qui me semble beaucoup plus difficile. Mon ami Jean-Paul Soulillou soutient beaucoup ce désir de voir incluse la famille légale dans le don, c’est-à-dire le conjoint. Je crois que c’est acceptable dans certaines conditions mais que cela doit se faire sous contrôle, même si je ne sais pas comment le définir.
En parallèle à cet élargissement motivé par des nécessités actuelles qui, j’espère, seront à terme – sinon, ce sera catastrophique pour la transplantation dans son avenir – je propose que soient mis en place des groupes de réflexion qui se posent à nouveau et complètement le problème de la collecte d’organes cadavériques. Il s’agit d’essayer de redéfinir un autre mode de pensée que le “don d’organe”.
M. Bernard Charles, président.
– Pouvez-vous préciser votre pensée ?
M. Henri Kreis.
– Je ne veux pas préciser ce point aujourd’hui car je pense que pour l’instant il faut d’abord une réflexion. Mais, vous l’avez bien senti, mon propos n’est pas sans arrière-plan. Je pense que le “don d’organe” est un échec. Cela fait trente ans que nous demandons aux gens de donner des organes et cela fait trente ans que c’est un échec. Si c’est le seul moyen, cela restera un échec et il faudra s’orienter vers le donneur vivant avec toutes ses conséquences, probablement néfastes.
Premièrement conséquence néfaste, c’est le commerce. Deuxième conséquence néfaste, c’est la diminution de la motivation au prélèvement d’organes cadavériques. Il est tellement plus facile pour le transplanteur de rester dans son fauteuil à attendre que les donneurs arrivent que d’affronter tous les problèmes engendrés par la collecte d’organes cadavériques. Si on transplante plus de donneurs vivants sur un plan très large, il en résultera une démotivation pour le prélèvement cadavérique et ceux qui ne peuvent pas avoir des organes cadavériques ne seront plus transplantés.
Je pense donc qu’il faut mettre en place ce groupe de réflexion. Il faut aussi mettre en place un registre du devenir des donneurs vivants car nous ne savons pas en transplantation rénale quelle est la réalité de la morbidité et de la mortalité chez les donneurs vivants. J’insiste donc sur la nécessité de mettre en place un vrai registre national du suivi des donneurs vivants, tant que l’on en fera beaucoup.
Enfin, pour répondre sur la durée dans laquelle ces décisions devraient être revues, une durée de quatre ans me semblerait raisonnable. Ensuite, il conviendrait de se reposer le problème, compte tenu des résultats de la réflexion de cette commission ou de ces commissions ou de ces groupes de travail sur la modification de l’approche de la collecte des organes cadavériques.
M. Marc-Olivier Bitker.
– Je veux répondre sur les différences entre la transplantation à partir de donneurs vivants apparentés et la transplantation à partir d’organes cadavériques, à qualité égale au départ. Deux problèmes se posent.
Premièrement, grâce à un certain nombre de lois, notamment celles limitant la vitesse en voiture et obligeant au port du casque sur les motos, beaucoup moins de décès de gens jeunes sont enregistrés, ce dont on ne peut que se féliciter. Nous ne prélevons donc quasiment plus que des gens âgés et souvent morts d’accidents vasculaires cérébraux, du moins de plus en plus souvent.
Il faut tenir compte aussi d’une raison immunologique. Avec un donneur vivant, vous avez un peu de temps pour préparer les choses et vous pouvez stimuler de manière absolument spécifique, grâce à une transfusion dirigée, le système immunitaire du futur receveur avec le sang du futur donneur, sans ou avec traitement immunosuppresseur, selon les équipes et les protocoles, et voir si votre futur receveur répond ou ne répond pas. Probablement plusieurs raisons expliquent pourquoi les transplantations à partir de donneurs vivants donnent de meilleurs résultats qu’à partir d’organes cadavériques. L’une d’entre elles est la possibilité de tester in vitro, avant la greffe, la réactivité du futur receveur au donneur.
Deuxièmement, est-ce que les possibilités actuelles d’utilisation de greffons prélevés chez les donneurs vivants en rein ne sont vraiment pas utilisées ? Je peux vous dire que dans notre groupe où les choses sont proposées de manière quasiment systématique aux familles nous observons quand même un certain nombre de cas où cela n’est pas faisable. Il peut s’agir par exemple d’une maladie familiale et qu’on ne peut donc pas prélever des reins qui risquent d’être abîmés ou, même s’ils ne le sont pas, on est obligé de penser que au fait que la femme de cinquante ans, la soeur du patient par exemple, dont le rein serait prélevé, aura peut-être besoin aussi de donner ce rein à un de ses enfants qui développera la néphropathie plus tard. C’est dire qu’il y a des freins !
Il y a aussi des refus du donneur vivant. De temps en temps, vous voyez bien à la tête du donneur éventuel auquel vous en parlez qu’il n’est pas “chaud”. Dans ce cas, il ne faut pas insister ! Certes, dans certains cas on insistera un peu plus parce que l’on pense que c’est pour le receveur une chance qu’il ne faut pas lui faire rater. Il y a toutefois des refus.
Certaines familles sont complètement éclatées. “Certes, dira l’un, j’ai huit frères et soeurs, mais je ne les vois jamais car nous sommes fâchés.”
C’est dire que dans nombre de cas il n’est pas possible d’utiliser la loi et nous sommes freinés. Didier Houssin disait tout à l’heure que l’EFG n’est pas sollicité. Probablement devrait-on faire un courrier à chaque fois. Pourtant, hier encore, j’ai vu en consultation un monsieur qui veut donner à sa femme et je lui ai dit “non”, en lui conseillant d’attendre l’année prochaine, “peut-être”. Mais je n’ai pas écrit à Didier Houssin ! J’ai donc dit “non, pour le moment ce n’est pas possible et je ne peux pas justifier l’urgence.”
Nous avons fait de la transplantation au sein du couple quand l’urgence pouvait être justifiée, par exemple pour des gens venant de pays où la dialyse n’existait pas. Les deux conjoints étaient là et la chose était faisable. Nous l’avons faite et tout s’est bien passé. Je crois que Jean-Paul Soulillou l’a fait aussi. Les résultats sont bons.
Ainsi, dans notre groupe, nous utilisons autant que possible la loi, mais elle n’est pas toujours utilisable car il demeure un certain nombre de freins.
Quelle est la définition de la “relation étroite et stable” ? Elle est indéfinissable ! Elle fait partie du domaine du subjectif quotidien et d’ailleurs elle peut changer.
Si je devais donner un avis, je dirais qu’il faut chercher dans la relation des gens quelque chose qui les unit de manière définitive. Je reconnais toutefois que cela exclut un certain nombre de minorités, ce qui pose un problème.
Un lien est assez simple : le fait d’avoir des enfants en commun. Généralement, même si le couple a de fortes disputes, même s’il se sépare, même s’il éclate, il reste quelque chose d’intangible en commun : les enfants qui lient ad vitam æternam.
Une remarque a été faite sur l’évaluation de la volonté de don. L’impression que nous avons au quotidien est qu’il ne faut pas en tout cas qu’un seul individu décide ou même qu’un groupe d’individus – le même jour – prenne une décision définitive. Grosso modo, les couples donneurs receveurs que nous voyons sont vus par trois personnes à peu près cinq fois, plus les infirmières. Tout est discuté. Il est un certain nombre de cas où les infirmières ou un ou deux médecins indiquent qu’ils ne “sentent” pas tel ou tel couple, parmi mille expressions possibles. A ce moment là, il faut se poser des questions de manière un peu plus approfondie et nous faisons souvent appel à des personnalités extérieures pour leur demander leur point de vue. L’important est de recueillir l’avis de plusieurs personnes et que celles-ci voient le couple donneur receveur plusieurs fois.
Mon dernier point a trait au problème du prélèvement du rein à partir d’un cadavre. Je suis assez d’accord avec Henri Kreis, même si je n’irai pas jusqu’à dire que la loi est un échec. Elle n’est pas parfaite ! En réalité, c’est probablement parce qu’elle n’a pas été assez précise. Que lit-on ? Qu’il faut s’efforcer, en dehors des cas bien sûr où le patient est inscrit sur le registre des refus – il y a en a très peu – de rechercher le témoignage de l’entourage. Qu’est-ce que l’entourage ? Ce peut être deux, cinq, dix, quinze personnes et forcément vous en trouvez une qui sera “pas pour” et dont le message sera reçu comme une forme de refus venant du défunt.
Les réanimateurs se trouvent confrontés au problème suivant, dont ils parlent de temps en temps. Face à quatre membres d’une famille, si trois sont pour mais un seul est contre, dans le doute et pour éviter des histoires ultérieurement, ne serait-ce que dans les médias, forcément c’est celui qui était contre qui emportera le refus. Il faut donc être extrêmement précis dans la loi et peut-être faudrait-il qu’il y ait un “responsable désigné” comme le sont par exemple les parents pour un mineur.
M. Jean-Marc Soulillou.
– Je suis très inquiet de l’image rémanente que vous allez garder de cette discussion. Il va de soi que je ne “renie” pas tout ce qui a été dit et beaucoup de choses sont intéressantes mais il faudra quand même clarifier quelques idées.
Premièrement, vous aurez de plus en plus de pénurie. Je m’engage en le disant mais, fort heureusement, les gens jeunes meurent moins d’accidents de la route ou du travail. Nous avons donc beaucoup à faire en France et c’est une vision de l’esprit de penser que demain on va rendre le système très performant et avoir ainsi des organes de qualité d’un seul coup. C’était vrai il y a vingt ans quand il n’y avait pas beaucoup de greffes mais c’est absolument faux actuellement.
Cela dit, il faut se battre pour prélever plus. J’ai montré qu’on pouvait le faire puisque dans notre ville on greffe beaucoup.
Ce n’est pas parce qu’on démarre une politique de transplantation à partir de donneurs vivants que cela influe d’une quelconque façon l’efficacité d’une équipe pour prélever. C’est là une seconde vérité. Les Pays-Bas, les pays scandinaves, les Etats-Unis sont performants des deux côtés. A mon avis, une équipe de qualité doit faire des résultats des deux côtés. Il n’y a pas d’antinomie entre l’organisation pour le prélèvement de la greffe à partir de sujets décédés et la greffe à partir de sujets vivants.
L’organisation pour les sujets vivants est excessivement difficile, délicate et lourde. C’est énormément de travail pour beaucoup d’échecs parce qu’il y a de multiples raisons pour que cela n’aboutisse pas. C’est là un deuxième point redresser.
Un autre point ne me paraît pas avoir été bien perçu par certains. Le problème de la transplantation à partir de donneurs vivants ne tient pas uniquement à un problème de pénurie. Ce serait vraiment une vision réductionniste du problème car c’est beaucoup plus que cela. Je prends un exemple simple et je parle pour le rein, organe non vital pour lequel on pourrait dire qu’il n’y a pas très grande urgence.
D’abord, il faut dire que ce sont des vies entières qui sont brisées. Pensez à l’être qui vous est le plus cher et dont la vie serait brisée. Soit, il sera greffé avec un rein d’accidenté et, contrairement à ce que l’on dit, les résultats de la greffe ne sont pas bons sur le long terme. 17 ans la demi-vie, versus dix ans ! La greffe marche pour tout le monde pendant un an mais pour dix ans les résultats ne sont pas bons. Soit le rein est offert par l’entourage, les résultats seront bien meilleurs.
Il n’est pas possible de revenir sur des chiffres avec des circonstances médicales qui n’ont plus rien à voir avec ce qui est aujourd’hui. On ne peut pas raisonner en fonction de la situation d’il y a vingt ans. Aujourd’hui, il est reconnu unanimement que les résultats sont non pas un peu meilleurs mais bien meilleurs.
Je vous rappelle donc ces trois points. La pénurie ne disparaîtra pas. L’efficacité dans la gestion des donneurs vivants n’implique pas que l’on ne fasse pas bien dans celle des donneurs décédés. Le problème est beaucoup plus qu’un problème de pénurie : c’est aussi un problème de citoyenneté.
Prenons par exemple le cas de la personne qui vous est chère et qui a un cancer de l’oesophage. Ce n’est pas bon ! Ce serait fantastique si l’on pouvait guérir ce cancer en donnant l’oesophage et que tout s’arrangeait. La chose est possible avec un rein et c’est fantastique ! Il y a des gens qui veulent le faire.
J’ai été peut-être long et apparemment véhément mais il faut que nous vous passions ce message ! Que faut-il faire maintenant ? Vous avez raison, il faut être prudent. Monsieur Evin, vous avez rappelé à juste titre que l’on n’a pas engrangé tous les bénéfices de la loi actuelle. Pourquoi ? Parce que l’a “freiné” sans arrêt et l’on est maintenant en train de libérer l’information, avec dix ans de retard, à l’Etablissement français des Greffes, à droite et à gauche. Or il faut d’abord informer ! On n’a pas besoin de proposer ! Informons ! Les gens sont intelligents et ils vont réfléchir.
Il faut quand même aller plus loin. Vous allez vous interroger sur la décision que vous aurez prise “Ai-je bien fait ? …” Or dans ces cinq ou dix ans, les événements vont évoluer et ces choses là vont devenir très banales.
Il faut des commissions et du contrôle, certes, mais il faut “ouvrir” la possibilité aux amis. Je puis vous citer le cas de deux amies, deux professeurs, qui ont travaillé pendant trente ans, l’une avec l’autre. Très liées, elles ont fait différents voyages culturels organisés à l’intention des retraités et puis l’une d’elles est tombée malade. L’autre voulait absolument lui faire un don d’organe ! Un tel cas n’est pas fréquent, certes, mais il se rencontre. Il faut donc “ouvrir” et il faut des commissions.
Il ne faut pas non plus bloquer la possibilité de faire des échanges. La chose est compliquée mais il se peut qu’une personne veuille absolument donner à une personne de sa famille. Mais elle peut être bloquée dans sa générosité parce que, par exemple, le groupe ABO ne correspond pas. Un système d’échanges anonymes peut le permettre. Il faut penser l’avenir avec imagination mais il faut partout des barrières. Il est possible de les mettre et les Anglais nous ont montré des systèmes. Les Hollandais et d’autres en ont. Il est possible d’en trouver. Je le répète, je parle pour le rein.
Le problème du risque me permet de m’exprimer ainsi car la publication de Najarian de 1,003 % date de dix ou quinze ans. Les décès pour le rein sont très bien connus car ils sont comptabilisés et je suis tout à fait d’accord pour institutionnaliser le suivi, ce que d’ailleurs nous avons proposé il y a quinze jours à l’unanimité.
M. Régis Volle.
– Je rappelle que j’avais beaucoup insisté sur la nécessité de l’information. Peut-être serait-il possible d’inscrire dans la loi cette nécessité d’informer. Il faut y penser.
M. Bernard Charles, président.
– C’est la question que je vous posais. Déjà dans le cadre de la mission, nous avons bien senti qu’il fallait, même dans la loi et de manière symbolique, valoriser l’information.
M. Régis Volle.
– Vous avez demandé si certains médecins n’informaient même pas aujourd’hui sur la possibilité de transplantation. C’est vrai, on le constate, peut-être pas tous les jours, mais cela existe.
L’argument selon lequel le rein n’est pas un organe vital est avancé. Certes, on ne meurt pas aujourd’hui puisqu’il y a le rein artificiel. Mais des études récentes ont très nettement montré que des transplantations de reins faites dans de bonnes conditions rallongeaient considérablement la vie et l’espérance de vie. Quand on a vingt, trente ou quarante ans, cette perspective n’est pas neutre et elle est même importante.
Concernant la notion de don d’organe, je suis tout à fait d’accord avec M. Kreis. Je me suis toujours opposé à ces campagnes pour les dons d’organes qui me paraissent extrêmement négatives. En fait, ce n’est pas un don d’organe mais un prélèvement d’organe et il vaut donc mieux parler de facilités de prélèvement d’organe. Certes, aujourd’hui les choses peuvent être améliorées sur ce plan mais en particulier, dans les petits hôpitaux périphériques, il y a vraiment du travail à faire encore aujourd’hui.
Tout un investissement doit être fait d’abord en information et en sensibilisation des équipes de neurochirurgiens et de réanimation. Dans les petites villes, il n’est pas valorisant de prélever et c’est même perçu comme un échec. En conséquence, on ne le fait pas et cela est vrai encore dans de très nombreux cas aujourd’hui.
Je le répète, il faut vraiment consentir un investissement important dans cette possibilité d’assister par d’autres coordinateurs de transplantation ces petites équipes. Cette nécessité m’a souvent été rapportée.
Enfin, la carte santé me paraît être une bonne idée. Je dis pourquoi pas ?
M. Gérard Benoît.
– Je veux faire une réflexion à la suite de l’intervention de Mme Catherine Génisson. En fait, la mort dégrade les organes. Une étude récente, publiée ce mois-ci, portant sur des expériences avec des rats morts montre que les résultats obtenus sont moins bons avec un prélèvement sur un animal mort. Vous qui êtes réanimateur savez très bien que la mort entraîne des modifications tensionnelles considérables qui altèrent le coeur, le foie, les poumons et les reins. Les organes ne sont donc pas égaux et je suis complètement d’accord avec mes collègues et notamment M. Soulillou pour dire que les résultats ne sont pas les mêmes.
Si demain on me propose une greffe, à vivre dix ans avec un organe qui marche – je parle du rein – et vivre vingt ans, ce n’est pas la même chose. Réfléchissons chacun à notre propre cas.
Je précise que je suis médecin et non pas réanimateur. Que nous demande-t-on dans les hôpitaux ? Qu’il y ait moins de morts ! Que nous demande-t-on à nous qui faisons du recueil de blessés dans les Samu ? Que nous demande-t-on à nous, neurochirurgiens et neurologues ? Qu’un trauma crânien soit sauvé ! Il ne passe donc pas en mort encéphalique. En outre, le traitement est tel contre l’hypertension intra crânienne que la mort ne se fait pas comme elle se faisait avant par hypertension crânienne mais par le coma chronique. Ainsi, la mort encéphalique des gens que l’on prélève va disparaître progressivement.
M. Jean-Paul Soulillou a raison de dire que la pénurie va s’aggraver. Bien sûr, il y a des refus et il faut réfléchir à ce problème des refus. Mais il faut être clair : aujourd’hui, nous faisons tout pour qu’il y ait moins de morts encéphaliques. Nous ne pouvons donc pas avoir deux visions, l’une qui nous conduit dans un sens et l’autre qui nous conduit dans l’autre. Il faut être cohérent sur notre politique de santé. Notre but, je le répète, est qu’il y ait moins de morts encéphaliques.
Bien sûr, quand il y en a une, il faut un prélèvement. Ma proposition, quelque peu agressive, est que quand il y a une mort encéphalique il faut que notre système de santé aboutisse à ce que l’on fasse une demande obligatoire de don d’organe.
Comment le faire ? Il y a probablement une manière de rédiger cette demande. La déclaration obligatoire ? La demande obligatoire ? La proposition obligatoire ? C’est vous qui rédigez les lois. En tout, pour notre part, nous savons que cette demande n’est pas toujours faite.
Tout à l’heure, l’information a été reconnue comme essentielle. C’est l’information sur la mort mais aussi sur le don du vivant.
Je veux essayer d’aller plus loin. Je vois aujourd’hui, concernant des organes uniques comme le coeur, que des gens ne pourront de toute façon avoir que des organes cadavériques. Je vois des gens qui n’ont pas de famille, pas de frère et soeur, qui ont des maladies transmissibles par la famille et qui auront besoin d’organes cadavériques. Il faudra bien se dire un jour que ces gens-là doivent supporter une perte de chance et qu’ils ne pourront pas avoir d’organe venant du don vivant et qu’il faudra plutôt orienter vers eux les organes cadavériques. Il faut donc avoir une politique sur le don du vivant parce que les organes sont meilleurs et aussi parce qu’un certain nombre d’autres malades sont pénalisés d’une perte de chance parce qu’on ne fait pas un effort dans ce sens.
Je tiens à dire que nous sommes actuellement dans une situation catastrophique dans nos hôpitaux. Les exemples qu’ont cités mes collègues vous montrent bien que le sujet est aigu et que nous ne devons pas perdre trop de temps pour changer la loi et nous permettre de prélever plus dans la famille génétique et dans la famille et je pense aux concubins. A vous, messieurs, de définir “la famille”, en tout cas celle pour laquelle il y a des liens que vous pouvez identifier, liens anciens, réels et convaincants.
M. Olivier Boillot.
– Tout à l’heure, faute de temps, je n’ai pas pu donner clairement mon avis et je me suis contenté de donner des informations.
En ce qui concerne la transplantation hépatique, je serais aussi assez partisan d’augmenter un peu les possibilités de prélèvement au sein de la famille élargie, voire plus, chez certains amis. Le problème qui a été posé est celui de l’évaluation du lien de solidité entre le receveur et le donneur potentiel.
En ce qui nous concerne, il y a systématiquement une équipe extérieure à notre équipe de transplantation qui voit les donneurs et les receveurs. En l’occurrence, c’est un service de psychiatrie qui non seulement les évalue mais les prend en charge pour les aider. C’est aussi une possibilité de contrôler ce qui se passe et d’éviter certaines dérives dans les équipes de transplantation.
Nous souhaiterions parfois qu’il y ait la possibilité de prélever d’autres personnes et nous avons tous dans notre pratique des membres de la famille qui ne sont pas au premier degré et qui posent la question de pouvoir donner une partie de leur foie. Nous leur répondons toujours de la même façon, en faisant état de la loi bioéthique.
Concernant les besoins pour la transplantation hépatique, il est sûr qu’il faut aussi avoir à l’esprit que l’hépatite C en France, dont vous connaissez l’étendue de l’endémie, va sans doute représenter dans les années à venir un problème de santé encore plus aigu qu’actuellement. De plus en plus de patients auront sans doute besoin de transplantation hépatique.
Vous avez également entendu que le problème du donneur cadavérique va persister longtemps et même s’aggraver. Pour nous, la possibilité du donneur vivant représente donc une solution qu’il faut sans doute contribuer à développer.
Concernant la distribution des organes, en France, il y a à peu près 26 centres de transplantation hépatique dont l’activité n’est pas du tout uniforme. Une majorité de centres fait moins de 20 transplantations par an et les règles de distribution sont “au tour par tour”. Cela veut dire que les centres auront des propositions équivalentes, qu’ils aient un volume important ou non. Malheureusement pour les centres qui ont beaucoup de malades sur liste, la durée d’attente sera plus longue pour leurs malades. Il y a sans doute la possibilité d’améliorer la distribution pour la rendre plus juste pour les patients qui sont en attente de transplantation.
D’autre part, on pourrait également essayer de développer plus souvent le partage de greffons hépatiques, c’est-à-dire couper un foie en deux pour greffer deux receveurs. L’idéal serait de pouvoir utiliser ces deux parties du foie pour greffer deux adultes, ceux qui risquent le plus de décéder avant la transplantation. Le problème est que la taille du foie gauche impose que l’on dirige ce greffon vers un petit receveur adulte, en accord avec la règle des 1 % dont je vous ai parlé tout à l’heure.
Il faudrait également assouplir les règles de répartition et essayer de faire des échanges dirigés pour augmenter les possibilités de transplantation pour l’adulte.
M. Jean-Paul Couetil.
– On a beaucoup parlé du donneur vivant. Tout le monde est convaincu que le recours au donneur vivant est parfaitement justifié. La justification n’est pas la question de ce jour. La vraie question est de savoir s’il faut étendre, en dehors du cadre de la loi connue, cette possibilité. Je crois que la plupart de mes collègues qui se sont exprimés ce soir souhaitent que ce soit étendu. Personnellement en tout cas, je le souhaite vraiment. Etendu à qui ? Chacun a pu donner son avis.
S’agissant de la transplantation pulmonaire, il ne faut pas oublier qu’elle a besoin de deux donneurs et je le répète car ce point est important. Je ne souhaiterais pas que, lorsque vous allez rédiger cette loi, vous fassiez de la transplantation pulmonaire le parent pauvre de la transplantation d’organes à partir de donneurs vivants. Il faut bien trouver deux donneurs dans la famille, ce qui n’est pas facile et ce qui dépasse souvent très largement le cadre du père et de la mère. La chose est plus facile quand le père et la mère sont d’accord pour donner une partie d’eux-même à leur enfant. Nous serons donc confrontés à ce problème.
Je crois qu’il faut respecter bien sûr l’aspect relation génétique mais il y a un aspect relations émotionnelles qui me paraît essentiel et qui est aussi noble que la relation génétique. Lorsqu’une personne fait vraiment état d’une “relation étroite et stable”, il faut lui faire confiance. Chaque adulte a une vraie responsabilité et dans notre pratique j’ai été toujours surpris et étonné par la responsabilité des patients, des familles, des amis devant la transplantation d’organes. Certains disent qu’ils se sentent une sorte de droit personnel élémentaire à venir en aide à quelqu’un.
Je ne sous-estime jamais leurs possibilités de dissimulation. Je sais que parfois certains donneurs possibles vont dissimuler telle ou telle chose et je parle en sous-jacent, avec les possibilités d’argent et autres. Il sera toujours impossible de savoir réellement la “vraie vérité”, si je puis dire. Mais à un moment donné, il y a la responsabilité de celui qui veut faire quelque chose et je crois qu’il faut lui donner l’occasion véritablement d’honorer sa responsabilité et son désir. Personnellement, je crois vraiment, en particulier pour la transplantation pulmonaire – cela est également vrai pour tous les organes – qu’il faut ouvrir une possibilité à la relation émotionnelle. Qu’elle soit ” durable et stable “, certes. Il est certainement souhaitable qu’il y ait des commissions d’experts ou de sages qui s’assureront dans leur intime conviction qu’elle est bien réelle, ne serait-ce que pour avoir une sorte de garde-fou. Il n’en demeure pas moins qu’on n’aura jamais de certitude absolue.
Telle est l’évolution qui me paraît souhaitable. Cela est possible aux Etats-Unis : des amis donnent une partie de leurs poumons ou de leur foie. C’est une société qui est évoluée et elle le permet. Je crois que nous devons lui embrayer le pas à cet égard.
Enfin, il faut dire que les médecins qui s’occupent de transplantation sont de vrais professionnels. Mon problème n’est pas de m’appesantir sur la qualité du donneur, donneur cadavérique ou donneur vivant, mais de transplanter quelqu’un et de lui venir en aide. N’oublions pas que c’est le pronostic vital du receveur qui est en jeu, s’agissant du poumon ou du foie. Je ne pense pas que développer les possibilités de donneurs vivants en quelque matière que ce soit puisse diminuer la possibilité de donneurs cadavériques. Nous sommes de vrais professionnels et plus nous aurons de donneurs pour satisfaire notre demande, plus nous serons heureux. Si un jour on nous dit qu’il y a suffisamment de donneurs cadavériques et qu’il n’y a plus besoin de donneurs vivants, alors tant mieux ! Mais ce n’est pas pour demain.
Nous sommes tous là pour défendre la greffe, quel que soit le donneur.
Mme Yvette Roudy. – Monsieur le Président, je réalise tout d’un coup que nous n’avons jamais posé dans le cadre de notre mission la question du don d’ovocytes. Elle ne se posait tellement pas en 1994. Je sais que cela se pratique et je n’ai pas d’opinion. Cette question m’est venue à l’esprit en entendant poser les questions sur la proximité du donneur, sur les conditions, sur les modes d’évaluation et d’appréciation. En tout cas, ce don d’ovocytes se fait et on raconte même que les personnes doivent arriver avec une donneuse. Dès lors, qui va apprécier la motivation de cette dernière ? Cette acceptation n’aurait-elle pas donné lieu à quelque échange financier ? Il existe un marché et des prix se pratiquent déjà – il suffit de se brancher sur Internet – et on sait qu’il y existe déjà un trafic.
Cette question mérite sans doute d’être posée
M. Bernard Charles, président. – Dans la discussion sur le clonage thérapeutique, nous serons au coeur d’un des problèmes posés. Je n’entre pas dans le détail mais le problème du don d’ovocytes sera un débat essentiel et quelque peu médiatique sans doute. La mission aura à se pencher sur cette question et il est vrai que les pressions financières ou autres que vous avez évoquées sont réelles.
M. Marc-Olivier Bitker.
– La nature humaine est ainsi faite et les trafics existent. Je me permets de vous conter une anecdote très courte qui m’a fait me poser beaucoup de questions. En 1990, j’ai vu un couple d’amis qui vivaient ensemble. L’un était en dialyse et l’autre était prêt à lui donner son rein. Je le répète, nous étions en 1990, bien avant la loi bioéthique de 1994. J’ai dit que l’opération était complètement impossible et que nous pouvions simplement inscrire le receveur pour une greffe de rein de cadavre.
Les deux amis sont donc repartis avec un air un peu malheureux. Quelques mois plus tard, en pleine guerre du Golfe, j’ai reçu un coup de téléphone de Dharan et j’ai appris qu’ils avaient été faire cette opération – que j’avais refusée pour ma part – aux Indes, à New-Delhi ou à Bombay. Ils n’avaient rien “acheté” puisque le donneur était tout trouvé. L’opération ne s’était probablement pas faite avec toutes les précautions que nous aurions prises localement, bien que nous puissions aussi avoir des soucis. En tout cas, le receveur était à Dharan dans un état très inquiétant ; on a essayé de le rapatrier, en vain. Il est mort !
A posteriori, je me suis dit que c’était peut-être à cause de mon refus – certes, la loi interdisait cette transplantation – que cet homme jeune, âgé de trente ans, est mort parce que greffé dans des conditions probablement discutables sur le mode de l’asepsie et de l’immunosuppression. Je crois donc qu’il faut faire attention : l’argument du commerce est à double tranchant. Nous refusons bien évidemment le “commerce”, mais, de toute façon, ce risque est réel. Peut-être faut-il mieux encadrer les choses, les faire bien sûr sans “commerce” mais localement et dans de bonnes conditions pour nos concitoyens.
Mme Yvette Bénayoun-Nakache.
– Tous les intervenants ont dit pratiquement “plus de donneurs, compte tenu de la pénurie, mais également plus d’information.” La remarque a été faite aussi que la loi ne pourrait pas tout prévoir.
Actuellement, dans tous les domaines sont engagés les “débats citoyens”. Si l’on veut informer beaucoup plus la population, ne faut-il pas en amont, en même temps que la révision des lois bioéthiques, que vous, associations et représentants, et nous, élus, engagions des débats d’information par rapport à la population ? Nous pourrons prendre toutes les décisions que nous voudrons, aussi grandes soient-elles, nous n’aurons pas les mêmes degrés d’information, compte tenu de la technicité des choses.
Comment voyez-vous notre collaboration entre nous, le législateur et vous qui vivez sur le terrain médical, humain et émotionnellement, en faveur de la bonne information à donner et qui relève de notre responsabilité ?
Je me réfère au registre du refus. Combien de Françaises et de Français savent que ce registre existe et comment il fonctionne ? Il faudrait se donner les moyens de mettre déjà en place ce qui existe. Nul doute qu’aucune évolution ne sera possible si l’on ne va pas à la rencontre de la population pour lui expliquer les données du problème, ce qui est forcément nécessaire pour connaître son état d’esprit. Il est bien d’en parler entre nous, législateur et praticiens, du terrain mais encore faut-il que la population que nous allons solliciter puisse être sérieusement informée.
M. Bernard Charles, président.
– La parole est à M. Jean-Paul Vernant du Service d’hématologie clinique à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
Il nous exposera les particularités du recours à la greffe des cellules souches hématopoïétiques que le projet de loi insère d’ores et déjà dans la catégorie des tissus et cellules et non plus des organes, et dont l’évolution des techniques nécessite un cadre juridique garantissant la protection des patients, tout en permettant de s’adapter.
M. Jean-Paul Vernant.
– Je veux d’abord dire un mot à propos des ovocytes, s’agissant d’un problème auquel nous sommes confrontés. Dans notre pratique, nous faisons des chimiothérapies et des radiothérapies très lourdes à des patientes, qu’on stérilise malheureusement à quinze, vingt ou vingt-cinq ans. Il est bien entendu souhaitable que le don d’ovocytes se développe. Toutefois, cela doit se faire dans l’anonymat et il est hors de question que cela se fasse autrement. Il est hors de question qu’une soeur ou une mère donne pour sa fille. C’est totalement exclu. Sinon, on se retrouve dans des situations psychologiques dramatiques.
Actuellement, c’est ainsi que cela se passe. La patiente vient avec un proche, sa soeur, sa mère, mais le don est anonyme et croisé. En aucune façon, celle qui donne ne sait à qui le don est destiné. Pourtant, on manque de donneuses et l’opération de don des ovules est assez compliquée car elle suppose une stimulation et un prélèvement. Cela implique une c_lioscopie et un prélèvement. Il est donc hors de question de donner pour quelqu’un que l’on connaît. La receveuse vient avec une personne qui va donner mais pas pour elle : c’est un don croisé, anonyme et je pense que cela doit rester ainsi. Il est clair que nous manquons de donneurs d’ovules et que nos patientes sont obligées d’attendre pendant des mois voire des années.
Mme Yvette Roudy.
– C’est un don anonyme et gratuit !
M. Jean-Paul Vernant.
– Anonyme et gratuit et il doit le rester !
Concernant la greffe de cellules souches hématopoïétiques, je ne parlerai que des greffes allogéniques, c’est-à-dire avec des donneurs ou des donneuses apparentés ou non apparentés. Selon les chiffres du registre 2000 qui a été établi par l’Etablissement français des greffes, il y a eu 799 allogreffes pratiquées dans 75% des cas pour des hémopathies malignes, leucémies, lymphomes, myélomes et autres maladies de ce genre.
Point important, par rapport à il y a dix ans, on est passé de 400 greffes à 800 et surtout est apparue la greffe de cellules souches hématopoïétiques avec des donneurs non apparentés. Voici dix ans, à peine 10 % de ces greffes étaient faites à partir des donneurs non apparentés ; actuellement, nous sommes à plus de 25 %. Autrement dit, une greffe sur quatre est faite à partir d’un donneur non apparenté.
Les registres de donneurs non apparentés sont en train de se développer. On compte dans le monde 7 millions de donneurs volontaires, de “gentils donneurs” qui acceptent qu’on les prélève sous anesthésie générale et qu’on prenne un peu de leur moelle. C’est un risque minime, celui d’une anesthésie programmée, de courte durée. Jusqu’à maintenant, sur les dizaines de millions de greffes qui ont été faites dans le monde, nous n’avons pas eu à déplorer de décès de donneur non apparenté.
Deuxième point, nous observons une diversification des choses. Il y a dix ans, nous ne prélevions que de la moelle, sous anesthésie générale et par ponction. Actuellement, il existe deux autres possibilités.
D’une part, les greffes de cellules souches périphériques. Il s’agit de donner au donneur un produit, un facteur de croissance, qui fait augmenter les globules blancs et qui les met en circulation dans le sang. Au lieu d’avoir 5000 ou 6000 globules blancs dans le sang, comme c’est le cas normalement, on va monter jusqu’à 50 000, 60 000, 70 000 globules blancs et il est en beaucoup qui viennent de la moelle. Ce sont des cellules souches que l’on peut prélever alors par ce que l’on appelle une cytaphérèse, c’est-à-dire un prélèvement sanguin. On prend du sang, on le fait passer dans une machine, on centrifuge, on garde les cellules souches qui nous intéressent et on réinjecte chez le donneur ce qui nous intéresse mais pas les globules rouges, les plaquettes, etc.
Cette pratique est très intéressante ; elle permet d’éviter une anesthésie générale. Elle peut se faire en ambulatoire. Son seul inconvénient est que le donneur va recevoir pendant cinq à six jours un produit pour lequel il n’y a pas de bénéfice personnel pour lui. C’est un traitement que l’on utilise par ailleurs chez les malades et dans d’autres circonstances mais là, en l’occurrence, on va lui donner un médicament dont il n’a pas besoin, mais du seul fait qu’on va lui prélever et que cela permettra d’éviter l’anesthésie générale.
Ce médicament présente un risque théorique mais il est vraiment théorique. Certains ont dit que, peut-être, dans certaines conditions, il pouvait stimuler des cellules au repos, des cellules leucémiques, cancéreuses. Mais ce risque est purement théorique. Sur des centaines de milliers de patients qui ont reçu ce médicament – le G.CSF, un facteur de croissance – pour raccourcir des aplasies, après chimiothérapie, dans des cancers du sein, dans des lymphomes, etc., nous n’avons jamais eu d’augmentation du risque de leucémie ou de cancer induit par ce médicament. Il n’empêche qu’il y a un risque théorique.
La troisième source de cellules souches hématopoïétiques permettant de faire des greffes – ce que l’on appelait la greffe de moelle – c’est le sang placentaire. Il existe des cellules souches chez le nouveau né entre son cordon et le placenta maternel. On “clampe” le cordon et généralement on jette le placenta et le sang contenu dans le point de “clampage” jusqu’au placenta. Plutôt que de le jeter, compte tenu du fait qu’il y a dans ce sang placentaire beaucoup de cellules souches hématopoïétiques, on s’est interrogé sur l’intérêt de le congeler, de faire un typage des tissus de l’enfant et d’utiliser cela éventuellement pour faire une greffe de moelle.
C’est une technique qui marche et qui est tout à fait intéressante parce que ces cellules sont dites “naïves ” et qu’elles sont moins agressives pour le receveur. On a besoin d’une compatibilité qui est moins précise ; on accepte des différences dans les typages tissulaires entre le donneur et le receveur. Par contre, c’est un peu de liquide – entre 30 et 80 ou 90 millilitres de sang – qui ne contient pas énormément de cellules souches. Dans l’état actuel des choses ces greffes marchent uniquement chez les enfants ou les adultes de faible poids, moins de quarante kilos. Mais nous sommes en train de travailler sur des techniques d’expansion de ces cellules pour les faire pousser et pouvoir utiliser ce greffon à des fins de transplantation, même chez l’adulte.
Dans la loi de bioéthique de 1994 n’apparaissait que la moelle parce que, à cette époque, il n’y avait pas les greffes de sang et de sang placentaire. Les greffeurs de cellules souches hématopoïétiques souhaitaient que nous cessions de parler de greffe de moelle et que nous parlions de greffe de cellule souches hématopoïétiques, ce qui sera sans doute le cas dans la loi révisée. Toutefois, il me semble que le prélèvement de cellules souches sanguines apparaît dans la “loi Sang” et pas dans la loi de bioéthique et cela peut poser des problèmes dans la mesure où la finalité est la même : réaliser une greffe de cellules souches hématopoïétiques chez un patient qui en a besoin.
Un enfant qui a une leucémie aiguë qui a rechuté et qui est en deuxième rémission n’a pratiquement aucune chance de guérir. Avec une greffe, on lui donne cinq ou six chances sur dix de guérison, versus zéro, ce qui n’est pas rien. Il faut donc travailler pour cela.
Pour d’autres maladies – la leucémie myolétique chronique par exemple – nous avons aussi des résultats chez les gens jeunes, avec un donneur dans la fratrie, jusqu’à 70 et 80 % de guérison. C’est donc une technique qui marche et bien entendu nous souhaitons la développer.
Plusieurs problèmes se posent au sujet de la loi de bioéthique.
Le premier est celui des donneurs mineurs. Jusqu’en 1994, il n’était prévu d’utiliser les donneurs mineurs que pour un frère ou une soeur. Il est tout à fait compréhensible que nul ne va demander à un enfant de dix ans de s’inscrire sur un fichier de donneurs volontaires pour un prélèvement de sa moelle au profit d’un receveur qu’il ne connaît pas. Aucun parent n’accepterait de l’inscrire ! Les parents ont déjà du mal à s’inscrire sur le fichier des donneurs.
Or nous nous sommes retrouvés dans des situations extrêmement difficiles, par exemple, face à des enfants mineurs ayant une leucémie aiguë, ayant un donneur qui n’était pas frère mais cousin germain. Vous le savez sans doute, quand deux frères épousent deux soeurs, par hasard les cousins doublement germains peuvent avoir la même identité HLA. Or, on n’a pas le droit de faire cela en France parce qu’on n’a le droit de prélever que des frères et soeurs. Quelques cas se sont donc posés en France et la situation ridicule a été que ces enfants ont été obligés de se faire greffer en Belgique ou en Suisse.
Nous avons donc souhaité dans la révision de la loi que cela soit modifié et que l’on accepte les donneurs mineurs familiaux. J’insiste sur le terme de “familiaux”. En effet, dans la première révision prévue, il est dit “cousin germain”. Or on peut se trouver dans des situations où un enfant de quinze ans peut donner pour son oncle qui est géno-identique d’un côté et phéno-identique sur l’autre. Bref, sans entrer dans les détails techniques, on peut se trouver dans des situations familiales où un mineur pourrait donner pour quelqu’un de sa famille qui n’est pas cousin germain. Les greffeurs de cellules souches hématopoïétiques souhaiteraient l’introduction de la possibilité de prélever de la molle chez les mineurs, à condition que cette moelle soit destinée à quelqu’un de la famille.
M. Jean-Marie Le Guen.
– Il y a une chose que je ne comprends pas. Je vois bien pourquoi dans la loi, au point de départ de 1994, les greffes de moelle sont considérées dans le cadre de la loi bioéthique, car c’est une innovation. Mais, en l’occurrence, vous êtes de plus en plus près, me semble-t-il, au-delà de la greffe de moelle, des dons du sang. C’est le cas, par exemple, quand vous êtes dans la stimulation des lymphocytes. Pourquoi n’entreriez-vous pas dans la catégorie don du sang, cadre dans lequel on prélève parfois plutôt certains facteurs ou certaines cellules ?
M. Jean-Paul Vernant.
– Le problème, c’est que dans la “loi Sang”, on a le droit dans certaines conditions de modifier le sang que l’on prélève chez un adulte. Par exemple, pour prélever des polynucléaires, des globules blancs, on a le droit de donner des corticoïdes pour augmenter le nombre de globules blancs dans le sang mais on n’en pas le droit lorsqu’il s’agit d’un enfant.
Le sang d’un enfant ne peut pas être modifié pour être réinjecté. Mais mon souci serait plutôt de sortir de la “loi Sang” pour ce qui est des prélèvements des cellules souches hématopoïétiques et de rentrer dans la loi bioéthique, et de ne pas forcément banaliser.
M. Bernard Charles, président.
– Il existe quand même dans la proposition un chapitre “tissus, cellules et produits du corps humain et de leurs dérivés” et c’est là qu’il est fait référence aux cousins germains, aux cousines germaines et aux problèmes qui se posent.
M. Jean-Michel Dubernard. – Je rejoins tout à fait l’avis de M. Jean-Paul Vernant. Mais il faut se rappeler aussi qu’en 1994 et même antérieurement, nous avions été soumis à de nombreuses pressions pour séparer le sang et les organes. A l’époque, il s’agissait des sociétés qui s’occupaient du sang et qui soulignaient que c’était complètement différent des organes. Mais vous avez raison, il faut indiscutablement remettre cet aspect des choses dans la partie relative aux tissus et aux cellules.
M. Jean-Paul Vernant.
– C’est un sang très particulier qui est prélevé.
Il faut savoir qu’actuellement sur l’ensemble des greffes de cellules souches hématopoïétiques qui sont faites en France, en situation allogénique, il n’y en a qu’un quart qui sont des greffes de sang ; les trois quarts restent des greffes de moelle.
Par ailleurs, quand on utilise de la moelle venant d’un pays étranger, Etats-Unis, Allemagne ou autre, dans certaines régions on ne prélève que de la moelle. Certains pays, comme l’Allemagne, commencent à développer les prélèvements sanguins.
Sachez également que nous n’avons pas l’autorisation en France, pour les donneurs non apparentés, de prélever des cellules souches périphériques.
Prenons le cas du prélèvement de cellules souches hématopoïétiques pour un donneur non apparenté. Si un donneur vient dans mon service parce que l’on a besoin de ses cellules souches en Italie ou aux Etats-Unis et que les Américains me disent qu’ils préféreraient des cellules souches hématopoïétiques sanguines, je n’ai pas le droit de prélever ces cellules souches périphériques, après lui avoir donné du GSSF. Je suis obligé de lui prélever de la moelle.
M. Bernard Charles, président.
– Pouvez-vous mettre en évidence les deux ou trois points sur lesquels vous souhaitez une discussion approfondie avec nous. Vous avez situé le problème, en souhaitant que le cadre retenu pour les cousins germains et cousines germaines soit prévu différemment.
D’autres éléments vous paraissent-ils essentiels ?
M. Jean-Paul Vernant.
– Je veux évoquer un autre point. Les décrets d’application de la loi de 1994 nous handicapent beaucoup. En effet, le donneur doit faire part de son consentement devant le tribunal de grande instance de son domicile. Or cette condition n’est pas du tout commode pour nous. Il faut essayer de régler ce problème parce que si je greffe un malade qui habite à Saint-Jean-de-Luz tout devient alors compliqué à cet égard.
Autre point, les comités d’experts pédiatriques qui, pour les mineurs, donnent leur aval pour que le donneur soit prélevé. Il est très positif d’avoir à vérifier que le mineur a été informé par les médecins des problèmes qui se posent. De la même façon, nous souhaiterions qu’on ait le choix du comité d’experts pédiatrique, sans être forcé d’aller à Dunkerque ou à Lille.
M. Didier Houssin.
– Je vais répondre de façon globale aux questions qui ont été posées pour le donneur décédé puis je dirai un mot sur le donneur vivant, pour terminer sur la question de la durée qui a été évoquée par Mme Mathieu-Obadia.
Concernant le donneur décédé, pour répondre à une question de Mme Catherine Génisson, il ne devrait pas y avoir trop de craintes qu’un élargissement des greffes avec donneur vivant “télescope” le système mis en place pour essayer de susciter les prélèvements sur donneur décédé. Cela peut être le cas dans des pays en développement de la greffe mais je ne pense pas que l’on doive craindre cela en France.
Par ailleurs, il faut être conscient que ce qu’ont dit M. Kreis et M. Volle traduit une certaine lucidité. En effet, c’est un prélèvement et la manière de le présenter en don est une forme d’habillage. Toutefois, cet habillage est ancien et utile dans la manière de présenter les choses. Plutôt que de remettre en cause ce mode de présentation, il vaut mieux poursuivre la logique jusqu’au bout. C’est la raison pour laquelle si les parlementaires adoptaient l’idée qu’une certaine reconnaissance soit exprimée, même de façon purement symbolique – “La Nation exprime sa reconnaissance au donneur …” – ce serait une manière de bien s’inscrire totalement dans la logique du don.
Une manière certainement de susciter l’activité de prélèvement sur donneur décédé est réellement de faire du prélèvement un acte médical. C’est un point qui figure dans le projet de loi et qui me paraît tout à fait essentiel. En effet, faire en sorte que dans les hôpitaux le prélèvement ne soit plus considéré comme une activité de second rang est un élément essentiel pour susciter le développement de cette activité. Toutefois, il ne faut pas se faire d’illusion : la rareté est fondée sur une réalité, c’est que la mort encéphalique est un état rare et qui se raréfie. Il faut bien vivre avec cette rareté, ce qui n’empêche pas qu’il faut essayer d’optimiser autant que possible l’organisation du prélèvement sur personne en état de mort encéphalique dans les hôpitaux.
Le rôle des responsables politiques dans ce domaine a été évoqué. J’imagine que vous avez des milliers de tâches qui tournent autour de l’explication des lois aux citoyens. Il est sûr que c’est un des domaines où la position des responsables politiques peut jouer un rôle tout à fait important. C’est une prise de position relativement récente dans notre pays, contrairement à d’autres pays où depuis déjà de nombreuses années les responsables politiques les plus importants se sont positionnés sur ce sujet. Cela commence en France et c’est important parce que sujet intéresse nos concitoyens, même si cela les inquiète.
En réponse à M. Jean-Pierre Foucher concernant le régime du consentement, je rappelle que les parlementaires ont adopté un principe de solidarité, avec la notion de consentement présumé. On prend le parti des malades en priorité et on suppose a priori que tout le monde est d’accord mais, comme l’on veut réserver la possibilité à celui qui est exposé, de s’exprimer et que sa liberté et son autonomie se manifestent, ce registre de refus a été mis en place. C’est un outil comme d’autres puisque l’on peut aussi exprimer son opposition sur un papier ou en le disant à ses proches.
Ce registre est en place depuis 1998. Il remplit son office. Actuellement près de 50 000 personnes y sont inscrites. C’est très peu en pourcentage mais ce n’est pas si mal en valeur absolue ; ce chiffre correspond à déjà à une bonne ville. Point important, cela veut dire que des gens ont fait la démarche de s’inscrire dans un registre automatisé, lequel est interrogé systématiquement avant tout prélèvement. L’interrogation prend cinq minutes, le temps d’une réception d’un fax de l’hôpital. Des personnes sont habilitées à interroger le registre. Chaque année, nous rencontrons un certain nombre d’oppositions, évidemment en petit nombre.
Quels sont les types de refus observés ? Il est vrai que dans beaucoup de cas, en raison du contexte psychologique dans lequel ces cas s’inscrivent, l’ignorance que la famille a de la position du défunt est un élément tout à fait déterminant. C’est la raison pour laquelle le message que nous essayons de faire passer se résume ainsi : “Prenez une décision et parlez-en famille …” Une fois que ce dialogue a existé une fois en famille sur ce sujet, le problème est presque réglé car la décision a une valeur quasi testamentaire. Du moins tel est le témoignage que donnent les coordonnateurs hospitaliers des prélèvements sur ce sujet.
Telles sont les observations que je voulais faire concernant le donneur décédé pour répondre aux différentes questions.
Concernant le donneur vivant, je crois que la question de “relations étroites et stables” est un point sur lequel vous aurez certainement à vous concentrer de façon intensive. J’aurais tendance à dire que les termes “relations étroites” sont probablement insuffisants. En effet, on peut avoir des relations commerciales étroites ou une grande proximité de vue sur différents sujets ; on peut avoir une relation étroite sur le plan physique, être voisin …. et pourtant se haïr. Je crois donc que la question de la nature de l’étroitesse est un élément essentiel. Je vous signale d’ailleurs que dans certains pays on parle de relations émotionnelles et de relations affectives étroites. Je crains que vous soyez peut-être conduits à vous poser la question de mettre l’amitié ou l’amour dans la loi.
La stabilité est un élément plus simple à prendre en considération car il s’agit là de durée. On peut imaginer qu’une commission indépendante qui aurait à se prononcer puisse tenir compte de la durée comme un élément d’indication.
L’amélioration du cadre actuel concernant les donneurs vivants a également été évoquée. Je pense à cet égard que c’est effectivement une action d’information qui peut et qui doit être faite. Elle est engagée. Faut-il faire figurer dans la loi qu’il y a effectivement une exigence d’information de la part des organismes responsables vis-à-vis des professionnels de santé sur ce sujet ? Cette question pourra peut-être se poser.
La question de la vigilance, c’est-à-dire le suivi des donneurs vivants à long terme, fait l’objet d’une mesure envisagée, je crois, au niveau réglementaire, dans le cadre d’un décret sur la biovigilance. Ce dernier n’est pas encore paru mais c’est dans ce cadre qu’est envisagé ce suivi.
Concernant la périodicité du réexamen, il a été dit quatre ans. Par expérience, je sais qu’une fois la loi votée, des décrets sont encore nécessaires et un certain temps s’écoule encore avant qu’ils ne paraissent. Une fois qu’ils sont publiés, il faut encore prendre la mesure du dispositif mis en place. Faut-il prévoir cinq, sept ans ? Je ne sais pas mais la solution tourne certainement autour de ces durées là, du moins sur ce sujet qui est très évolutif.
M. Jean-Michel Dubernard.
– Je retiens quelques points plus particulièrement.
Premièrement, la loi actuelle doit être appliquée et parfaitement appliquée. Cela est vrai pour les prélèvement sur cadavres. Si un de nos confrères avait été là, il aurait pu parler des greffes de coeur qui sont directement concernées par les prélèvements sur les comas dépassés. C’est aussi un domaine passionnant où l’on enregistre beaucoup d’évolutions et de progrès techniques en ce moment et dans lequel on considère le prélèvement d’une manière un peu différente que pour les autres organes.
Il y a des choses à améliorer et notamment la manière dont l’information à la famille est faite. Il s’agit le plus souvent d’un questionnement. On n’a pas beaucoup progressé sur ce plan et je ne suis pas sûr que la notion de consentement présumé soit encore réellement appliquée à 100 %.
M. Bernard Charles, président.
– Consentement libre et éclairé !
M. Jean-Michel Dubernard.
– En tout cas ce n’est pas simple et c’est un des premiers efforts à faire.
Pour le donneur vivant, je pense que la loi peut éventuellement être élargie.
Je suis très ennuyé puisque je fais des prélèvements sur des donneurs vivants. Nous en faisons d’ailleurs de plus en plus et, qui plus est, par coelioscopie. Nous sommes confrontés à la pénurie et nous avons divisé par deux le nombre de greffes en dix ans.
En prévision de cette table ronde, j’ai fait la semaine dernière une démarche et j’ai vu un homme sage que certains d’entre vous connaissent, Gilbert Thill, à Genève, lors du colloque européen de transplantation où nous étions un certain nombre à faire des cours. Il a beaucoup d’expérience et il a prélevé un bon nombre de donneurs vivants. Il insiste sur deux points et son propos rejoint ce qui a été dit ici.
Premièrement, l’intérêt d’un comité des sages avec des psychiatres et des psychanalystes. En effet, nous avons besoin de psychologues de haut niveau. C’est ce qui se pratique à La Pitié où un psychanalyste travaille dans l’équipe. Probablement faut-il aussi y intégrer le juge, même si son rôle doit être défini, sachant que sa place est très particulière dans ce type de comité.
Deuxièmement, le risque. Actuellement, quoi qu’on en dise, à part pour les greffes de foie, nous n’avons pas de notion précise sur le risque encouru par le donneur vivant. Nous ne savons pas combien se suicident ensuite, combien font de phlébites ou d’embolies pulmonaires. D’où la nécessité absolue de faire un registre.
J’ai préparé deux amendements. L’un vise à instaurer ce registre qui a sa place dans cette loi ….
M. Bernard Charles, président.
– Nous sommes d’accord sur le registre.
M. Jean-Michel Dubernard.
– Puisque la loi est révisable théoriquement tous les quatre ans, ce registre nous apportera des informations concernant le pourcentage des décès pour les greffes de foie. Par exemple. 1 % de décès pour les foies, c’est énorme ! Il y a peu d’opérations chirurgicales avec 1 % de décès. Pour les reins, on ne sait pas ce qui se passe.
Ce registre est en tout cas indispensable pour disposer d’informations objectives et, à mon sens, il doit être tenu par l’Etablissement français des greffes, structure indépendante.
A partir du moment où il existe un registre et un comité des sages auquel serait soumis chaque cas de possibilité d’extension, toutes les précautions sont prises pour que les médecins soient plus sereins dans leurs décisions.
Je soumettrai donc deux amendements en commission, l’un sur la commission ou le comité, l’autre sur le registre.
J’aurai une autre proposition à faire. La loi étant révisable tous les cinq ans …
M. Bernard Charles, président.
– Je tiens à vous signaler que ce point n’était pas dans le projet de loi et il faudra que nous le remettions.
M. Jean-Michel Dubernard.
– Nous devrions avoir un organisme continu qui permettra de repérer le problème qui peut se poser à un moment précis ….
M. Jean-Paul Soulillou.
– Comme en Angleterre !
M. Bernard Charles, président.
– Nous avons beaucoup travaillé avec l’HAFEA ! En donnant des moyens supplémentaires – je suis partisan d’une agence, comme vous le savez – on devrait avoir ce suivi et cette alerte. Nous avons vécu la période de 1994 ; en 1988, j’étais rapporteur sur la première loi bioéthique. Huit ou dix mois après la loi de 1994, les nouvelles techniques d’AMP sont sorties alors que nous n’en avions pas du tout parlé. Peut-être quelques scientifiques le savaient-ils ? Peut-être avons-nous fait un travail d’information beaucoup plus long sur la révision de cette loi ! Mais je crois qu’un organisme d’alerte sur l’évolution de la loi serait une excellente chose.
M. Jean-Michel Dubernard.
– Je remercie tous les participants à cette réunion. Leur éclairage nous permet de voir les pistes vers lesquelles nous pouvons nous diriger.
M. Bernard Charles, président.
– Nous avons été très heureux de vous accueillir et nous vous remercions d’être venus en cette période de fin d’année. L’Assemblée nationale a ainsi un dossier qui, à mon avis, revalorise la fonction du politique. Cette réflexion, menée à l’écoute de notre société ainsi que de notre vie scientifique et médicale, dépasse les clivages politiques.
Rapport de M. Alain Claeys, au nom de la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique (auditions).
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