Un demi-siècle de transplantation rénale racontée par le Pr Küss
14 mai 2001, Le Quotidien du Médecin
Une conférence internationale sur la transplantation d’organes réunit à Chicago, à l’initiative des Laboratoires Roche, les pionniers de la discipline, dont le Pr René Küss. Il évoque pour “le Quotidien” quelques étapes de cette épopée.
La technique chirurgicale du Pr Küss a été universellement adoptée
A son actif dans le domaine de la transplantation rénale, le Pr René Küss compte trois grands succès : la mise au point de la technique chirurgicale en 1951, les premières réussites de la transplantation chez des sujets non apparentés en 1960 et la démonstration de l’efficacité pour la première fois chez l’homme des drogues immunosuppressives, la même année.
La toute première transplantation rénale ne date pas des années 1950, mais de 1933. Elle a été réalisée par Voronoï, en Russie. A cette époque, le rein avait été placé dans la cuisse. C’est René Küss qui, avec Charles Dubost et Marceau Servelle, mit au point la technique chirurgicale de transplantation toujours utilisée de nos jours, permettant de placer le greffon rénal dans la fosse iliaque. En 1951, les premières greffes étaient réalisées de cette manière. “On prélevait les reins à greffer chez les guillotinés ou bien chez des vivants à qui il fallait enlever un rein pour des raisons thérapeutiques”, évoque le Pr Küss. Ainsi, l’intervention mise au point par Matson pour traiter l’hydrocéphalie en utilisant un uretère pour drainer le liquide céphalo-rachidien, laisse un rein utilisable pour une transplantation.
La technique chirurgicale de Küss a ensuite été universellement adoptée.
Il sera ainsi prouvé que ces reins peuvent être fonctionnels pendant plusieurs jours, voire quelques mois avant le rejet, à cette époque inévitable.
En 1954, était réalisée avec succès la première greffe entre jumeaux monozygotes aux Etats-Unis (Murray, Merill et Harrisson. Murray eut le prix Nobel en 1990).
La démonstration par P.D Medawar à la fin des années 1950 de l’origine immunitaire du rejet a été une nouvelle étape dans la voie de la transplantation. L’irradiation corporelle totale, supprimant temporairement la fonction de la moelle osseuse, fut la première solution trouvée pour annuler la réaction immunitaire.
L’origine immunitaire du rejet
En 1959, après un certain nombre d’échecs, était réalisée la première greffe réussie chez des faux jumeaux grâce à cette irradiation (Murray, Merill et Harrisson encore une fois).
A cette époque, René Küss formait une équipe, à l’hôpital Foch, avec Georges Mathé, Marcel Legrain et Maurice Tubiana, équipe qui réalisa la première greffe entre frère et seur non jumeaux, après irradiation corporelle totale, dont Georges Mathé, “pionnier et expert des greffes de moelle osseuse, avait la responsabilité”, explique le Pr Küss. Le succès était obtenu, car le sujet survécut cinq mois et mourut d’une raison autre que rénale (carcinose hépatique). Quelques mois après, en juin de cette même année, une greffe en dehors de tout lien de parenté pouvait être réalisée par cette équipe avec succès, enregistrant une survie de dix-sept mois, la plus longue à l’époque.
1960 a été l’année d’apparition des drogues immunosuppressives – azathioprine et 6-mercaptopurine -, moins toxiques que l’irradiation, et dont l’efficacité avait été démontrée chez l’animal par Calne et Murray. “Nous avons été les premiers à en montrer l’efficacité chez l’homme, par la régression d’un rejet aigu chez notre deuxième malade”, évoque le Pr Küss. Ces deux cas, ajoutés à celui d’une femme immunosupprimée par une faible irradiation associée à la 6-mercaptopurine, auront une survie de dix-huit mois, apportant la preuve de la possibilité de réaliser avec succès une allogreffe. Elle ouvrait le champ à l’expansion extraordinaire qu’a ensuite connue le monde de la transplantation d’organes. Des patients greffés du rein dans les années 1965 sont toujours là pour en témoigner.
Après l’hôpital Foch, l’équipe a ensuite continué son travail à la Pitié-Salpêtrière (à partir de 1972), réalisant déjà environ 75 transplantations rénales chaque année.
Les spécialistes ont travaillé sur tous les aspects de la question, y compris celui des xénogreffes. Le Pr Küss, en 1966, a d’ailleurs réalisé une transplantation du porc à l’homme et a observé “un rejet suraigu, le rein ayant littéralement éclaté, nécessitant une transfusion de plusieurs litres de sang”.
Son opinion sur les éventuelles xénogreffes ne paraît pas très favorable car, pour lui, le risque est une dérive des indications qui ne seraient plus réservées à la pathologie des organes mais peut-être aussi à leur sénescence… avec l’avènement d’hommes “Arlequins porcins”…
Sa préférence va vers les progrès de la médecine génétique, en pleine expansion, à la fois réparatrice et régénératrice de tissu et pourquoi pas, d’organes.
Propos recueillis par le Dr Béatrice VUAILLE
Réunion intitulée ” Milestone events in transplantation “, organisée à Chicago le 13 mai par les Laboratoires Roche.
René Küss : une domination de cinquante ans
“L’école de transplantation de René Küss existe toujours ; elle reste innovante et, dans bien des domaines, leader”, explique au “Quotidien” le Pr Marc Olivier Bitker (Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris).
“Ses élèves ont su garder la transplantation dans le giron chirurgical urologique, les élèves de ses élèves y développer la transplantation pancréatique puis rénale à partir de donneur vivant apparenté, les plus jeunes travaillent actuellement sur la thérapie cellulaire pour permettre de substituer à la transplantation d’un organe pancréatique la greffe d’îlots”
“La transplantation à partir de donneur vivant représente actuellement 20 % de notre activité”, précise le Pr Bitker. A titre comparatif, la moyenne est de 4 % en France, 25 % aux Etats-Unis et 40 % dans les pays nordiques.
Le Pr Bitker souligne le caractère visionnaire de René Küss : en effet, la technique chirurgicale de transplantation qu’il a décrite le premier en 1951 reste toujours, cinquante ans plus tard, utilisée par tous les transplanteurs de rein.