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Vers une médecine prédictive, A chaque individu son code-barres : entretien avec le Pr Jean Dausset

4 juin 2004, Le Quotidien du Médecin

La découverte du système HLA par le Pr Jean Dausset en 1958 a ouvert le chemin de la médecine prédictive qui devra, à la longue, changer la nature même de la consultation médicale en faisant du médecin un conseiller qui aidera ses patients à gérer leur capital santé, capital spécifique à chaque individu selon son génome.

” LA DECOUVERTE du système HLA par le Pr Jean Dausset peut être considérée comme le “big bang” de l’immunogénétique humaine, écrivait récemment Erik Thorby, président de l’European Federation for Immunogenetics. Quand il fut établi que le système HLA faisait partie du complexe majeur d’histocompatibilité de l’homme, les tests d’identification et de compatibilité devinrent alors un outil essentiel au service de la clinique. ” (1)

Transplantation

La première application de la découverte du complexe majeur d’histocompatibilité fut le développement des greffes d’organes. ” Quand j’ai créé France Transplant en 1969, déclare le Pr Jean Dausset, il y avait, en France, 200 à 300 malades seulement sur la liste d’attente. Aujourd’hui, il y en a 5 000. Pendant de nombreuses années, seule la compatibilité HLA était déterminante pour le succès des greffes. C’était l’époque où les reins s[212]échangeaient de région à région et de pays à pays. Puis est apparue la ciclosporine, et tout a changé. ”
En effet, bien qu’il soit généralement admis que la détermination du système HLA est essentielle avant une greffe, de nombreux chirurgiens sont persuadés aujourd’hui que les rejets aigus sévères peuvent être évités par l’utilisation de cet immunosuppresseur et, donc, que l’histocompatibilité optimale n’est plus nécessaire. Or de récentes études démontrent clairement que la compatibilité HLA optimale a encore beaucoup de choses à offrir, y compris aux patients traités par la ciclosporine. Non seulement elle entraîne une survie plus longue du greffon, mais également une réduction de la fréquence et de la gravité des rejets aigus (2, 3), ainsi qu’une diminution de la fréquence des rejets chroniques (4). ” Il faut aussi retenir, précise J. Dausset, que, en appliquant la règle de la compatibilité HLA optimale, on peut diminuer les effets secondaires de trop fortes posologies de ciclosporine et obtenir une meilleure tolérance de la greffe à plus long terme.
Dans le cas des sujets hyperimmunisés, polytransfusés, qui présentent de nombreux anticorps anti-HLA, il est impérieux de choisir le meilleur donneur par “cross-match”, même si on utilise la ciclosporine. ”
Aujourd’hui, c’est la greffe de moelle qui représente l’application majeure du système HLA. Le nombre de donneurs volontaires dans le monde est considérable, puisqu’il atteint neuf millions d’individus. Lors de la transplantation d’organe, la seule réaction immunologique possible est celle du rejet du greffon incompatible par le receveur. Dans la greffe de moelle s’y ajoute l’autre volet, c’est-à-dire la capacité des cellules immunocompétentes du donneur de réagir contre le receveur, provoquant ainsi une réaction du greffon contre l’hôte ou GVH, souvent très grave. D’où un ” scanning ” très précis de ces neuf millions de donneurs et le choix dans cette énorme base de données à chaque greffe envisagée.

Liés ou associées

On appelle maladie liée à HLA une maladie qui est héritée avec le complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) sans que la fréquence des antigènes HLA en question chez ces malades diffère de celle trouvée dans la population générale. Un exemple : l’hémochromatose. Seule l’étude des familles dans lesquelles il y a plusieurs malades dans la fratrie peut montrer la liaison, tous les enfants atteints ayant le ou les mêmes haplotypes HLA.
On appelle maladie associée à HLA une maladie dans laquelle l’étude des fréquences des antigènes HLA d’une population de malades atteints d’une pathologie donnée montre des différences significatives avec celles observées dans la population correspondante normale. Cette différence de fréquence peut être considérable. C’est le cas de HLA-B27 dans la spondylarthrite ankylosante maladie??????? ; en effet, un homme HLA B27 positif a six cents fois plus de risques d’être atteint qu’un homme HLA B27 négatif. Deux autres affections sont spectaculairement associées aux gènes HLA. L’une est très sévère, c’est la rétinopathie dite ” Birdshot ” (associée à HLA-A29), l’autre, la narcolepsie (associée à HLA-DR2). La présence de l’antigène incriminé n’est jamais constante, indiquant la complexité probable des mécanismes en jeu.
A côté des gènes de prédisposition, il existe des gènes de résistance à telle ou telle affection, gènes protecteurs, dont deux exemples sont caractéristiques, l’un pour le diabète de l’enfant (HLA-DR2) et l’autre pour le paludisme (HLA-B53).

Médecine prédictive

” Il devient donc possible, déclare J. Dausset, d’envisager une nouvelle médecine grâce au dépistage dans la population générale ou dans une population à risque (comme les membres des familles déjà éprouvées) des individus susceptibles à telle ou telle affection. Ainsi s’ouvre l’espoir de mettre en œuvre un traitement préventif, ou curatif précoce, ce qui est déjà une réalité pour certaines d’entre elles. La médecine du XXIe siècle sera sans doute une médecine prédictive, c’est-à-dire une médecine préventive personnalisée. Dans l’avenir, chacun pourra avoir sa carte de susceptibilité et même de résistance à certaines maladies et, donc, pourra gérer son capital santé d’une façon rationnelle. Nous allons vers une médecine ciblée. C’est dans ce sens qu’en 1984 j’ai créé le Ceph [centre d’études du polymorphisme humain], avec pour objectif d’étendre cette notion en cherchant des gènes de susceptibilité sur l’ensemble du génome. “
A l’heure actuelle, où l’ensemble du génome a été séquencé, il n’y a pas de semaine où de nouveaux gènes pathologiques ne soient découverts.

Révolution

Avant la découverte du système HLA, les connaissances en immunologie étaient pratiquement purement humorales. Le CMH a fait découvrir l’immunité cellulaire, celle qui décèle le ” soi ” et le ” non-soi “. C’est le CMH qui commande aux lymphocytes d’intervenir ou non. Le répertoire immunologique de chacun est fondé sur sa formule HLA et, compte tenu des innombrables possibilités de formules, chaque individu est unique, chacun a son code-barres. Reste aujourd’hui à réfléchir sur l’utilisation à bon escient qui pourra en être faite. A la révolution physiologique doit succéder une révolution éthique. Mais, pour Jean Dausset, une chose est certaine : ” La médecine prédictive devrait à la longue changer la nature de la consultation médicale. Le médecin du XXIe siècle deviendra progressivement un conseiller. Il aidera ses patients sains à le rester et à gérer à long terme leur capital santé. “

Dr BRIGITTE MARTIN

(1) European Federation for Immunogenetics (EFI), ” Newsletter “, avril 2004.
(2) Opelz G. et al. ” Rev. in Immunogenet.1 ” : 334 ; 1999.
(3)Leivestad T. et al. ” Rev. in Immunogenet.1 ” : 343 ; 1999.
(4) Krieger N et al.”Transplantation”:1677:2003.

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