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Greffes de la face : “Le receveur ne se retrouvera pas avec le visage du donneur”

2 mars 2004, Libération

C’est aujourd’hui que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) rendra son avis sur les greffes totales ou partielles de visage. Il “s’est attaché dans cet avis aux questions éthiques liées aux possibilités de reconstruction du visage en cas de défigurations consécutives à un accident, brûlure, explosion ou maladie, et non à la chirurgie esthétique qui vise à l’amélioration de l’apparence physique sans traumatisme ou maladie initiale”, tient-il à préciser.

Chirurgien, chef du service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique de l’hôpital Henri-Mondor (Créteil), le Pr Laurent Lantieri a saisi le comité d’éthique le 19 février 2002 sur la question des transplantations de visage.

Quand est née l’idée de telles greffes ?

L’idée est très ancienne, mais l’intervention n’est devenue envisageable qu’à partir de la première transplantation de main, en 1998. Jusque-là, on pensait que la peau était la barrière immunologique ultime, qu’on ne pouvait franchir. Depuis, des greffes de main ont été pratiquées une quarantaine de fois ; et en dehors du premier patient, qui avait arrêté son traitement immunosuppresseur, il n’y a pas eu de rejet. Le problème immunologique étant dépassé, grâce aux nouvelles molécules, on pouvait penser à d’autres greffes composites (comprenant plusieurs tissus différents Ñ muscles, os, nerfs, peau… ­ ndlr). Je me suis penché sur la question en pensant aux patients dont on ne parvenait pas à reconstruire le visage. Fin 2001, j’ai rédigé un rapport pour poser la question au comité d’éthique. Parallèlement, mon équipe a commencé à s’entraîner sur des cadavres il y a plusieurs mois.

Pourquoi demander une “autorisation” ?

Parce que ces transplantations soulèvent des questions éthiques importantes, du côté du receveur, du donneur, et surtout de la société. Pour le receveur, c’est d’abord, comme dans le cas des greffes de main, le problème de donner des immunosuppresseurs à vie pour une pathologie non vitale. Les effets secondaires peuvent être sévères. En cas de complication inacceptable, il faut prévoir une “détransplantation” ; or ce n’est pas possible au niveau du visage. Quant à l’impact psychologique, ces patients vivent de toute façon un calvaire. Après des dizaines d’autogreffes, certains sont toujours obligés de mettre un masque pour sortir. J’ai ainsi un malade qui a été opéré 45 fois. A chaque fois, l’intervention comporte des risques : septiques, hémorragiques…

Est-ce plus éthique que d’envisager une allogreffe ?

Ce n’est pas comme dans le film Volte-Face, le receveur ne se retrouve pas avec le visage du donneur ; il s’agit d’une reconstruction faciale. Du côté du donneur, le problème n’est pas tant médical que de trouver un moyen de rendre rapidement son corps à la famille après le prélèvement de visage. C’est nécessaire pour le travail de deuil. Nous travaillons sur un système de masques en latex, bien que pour l’instant ce ne soit pas satisfaisant. Le gros problème éthique est cependant vis-à-vis de la population. Il ne faudrait pas que la crainte des greffes de face aboutisse à un rejet massif de la notion de transplantation. Nous voulons travailler dans un cadre ; si le CCNE nous dit que cette intervention n’est pas éthique, nous ne nous lancerons pas. S’il pose des conditions, nous les respecterons.

Au moins deux équipes, l’une britannique, l’autre américaine, sont aussi sur les starting-blocks. N’avez-vous pas peur de vous faire griller ?

Si c’était une course, quelqu’un l’aurait déjà fait. En 1999, Brian Mack, l’un des chirurgiens américains, m’avait dit: “On le fait dans six mois.” Nous sommes en 2004 et il n’y a toujours rien. On est techniquement prêts, mais on se pose des questions. En Angleterre, le collège royal des chirurgiens vient de mettre son veto. Il considère que ces greffes sont prématurées parce qu’on ne connaît pas leurs conséquences psychologiques et leurs complications. Je trouve leur position régressive, c’est du même niveau que de dire à une femme de s’accepter avec une mastectomie. Par ailleurs, je ne crois pas qu’il faille s’adresser à des chirurgiens pour une question éthique.

Techniquement, en quoi consistent ces greffes ?

Il s’agit de greffes composites, avec de la peau, des muscles, des artères, des nerfs et éventuellement de l’os… Pour quelqu’un qui maîtrise la microchirurgie, c’est relativement facile. On peut envisager trois types d’intervention : des reconstructions complètes de la face ; des reconstructions partielles (par exemple pour les traumatismes par balle) ; et des transplantations complexes de scalp (après arrachement du cuir chevelu par une machine). Il faut savoir qu’il y a déjà eu des réimplantations complètes de visage (sur la même personne, ndlr), une en Inde, une aux Etats-Unis. Par ailleurs, il a presque 20 ans que l’américain Buncke a réussi une greffe de scalp entre deux vrais jumeaux (en 1986, ndlr). Les dissections que nous pratiquons sur cadavre depuis quelques mois ne posent pas de problème particulier, et nous avons fait plusieurs réimplantations.

Combien de patients pourraient en bénéficier ?

Elles peuvent s’adresser aux cas exceptionnels mais dramatiques : de grandes brûlures, accidents, importantes malformations ou tumeurs de la face… J’ai fait une enquête auprès des 20 grands services français de grands brûlés et de chirurgie plastique. Une dizaine m’ont répondu, ils voient chacun environ un cas chaque année. Il y a donc au total au moins 10 à 15 nouveaux cas par an. Les autogreffes actuelles, faites avec la peau du dos, nécessitent des opérations à répétition. Le patient peut ainsi parler et manger, mais esthétiquement, on n’obtient qu’une sorte de masque, sans mobilité.

Par Sandrine CABUT

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