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Le témoignage de Bernard

J’ai connu l’insuffisance rénale en 1970 par l’intermédiaire de mon père, qui a commencé à dialyser à cette époque. Il fut d’ailleurs très difficile de trouver un centre qui l’accepte, car il y avait très peu de places et, à 59 ans, on le jugeait trop vieux pour mériter de commencer un tel traitement. J’en ai gardé un très mauvais souvenir, d’avoir vu mon père décliner, puis s’éteindre en quelques années.

En 1975, marié depuis deux ans, au début d’une nouvelle carrière professionnelle, un enfant de quelques mois, une première alerte me fait consulter. On m’assure qu’il n’y a rien à craindre, que je n’aurai jamais besoin de dialyse ni de greffe. Effectivement pendant quelques années, calme plat, deuxième enfant, progression professionnelle, tout va bien.

En 1979, nouvelle alerte, cette fois on me dit que je dois me faire suivre régulièrement pour surveiller l’évolution. De toutes façons mes souvenirs me font décider de ne jamais accepter de passer en dialyse. C’était sans doute assez égoïste comme position.

Petit à petit, alors que mes analyses se dégradent doucement, mon activité professionnelle m’absorbe de plus en plus, comme si l’un pouvait compenser l’autre. Devenu Chef des Ventes, puis Responsable d’agence dans une grande Sté de bureautique, diverses promotions me promènent d’Annecy à Marseille, puis à Strasbourg / Metz et à Nice / Toulon. Tout juste ai-je le temps de m’apercevoir que les enfants grandissent.

En mai 1982, nouveau déménagement, direction Toulouse, où je dois créer une équipe de vente tout en supervisant celle de Bordeaux. A peine aménagé, les difficultés se précisent : installation, recrutement difficile, formation, actions intensives sur le terrain et comme conséquence immédiate des résultats d’analyses catastrophiques. Le spécialiste, que je vois pour la première fois, me dit sèchement ” Il faut dialyser ! “. Ces mots résonnent pour moi comme une condamnation aux assises à la peine capitale.

basourdi, je téléphone au Néphrologue qui me suivait à Marseille, pour lui demander de me recevoir tout de suite. Malheureusement il ne peut que confirmer le diagnostic de son confrère. Me voilà donc face au mur, avec une épouse et deux enfants qui ont besoin d’un mari et d’un père. Il faut donc se résigner et accepter de ne pas avoir été le plus fort car la course était inégale.

Croyant me montrer plus fort que la maladie, je décide de faire les dialyses à domicile, refusant ainsi de lui céder plus de terrain que le strict minimum. Le 10 juillet 1982, je commence donc ma première dialyse. Après une rapide formation où mon épouse et moi apprenons à manipuler la machine et au cours de laquelle j’apprends à me piquer, nous voilà lâchés à domicile.

Le travail reprend de plus belle et m’occupe de plus en plus, les horaires de mes séances de dialyse deviennent carrément plus que nocturnes. Bien sur je me suis immédiatement inscrit sur la liste d’attente pour une greffe. A cette époque, il était systématiquement pratiqué un protocole de transfusions sanguine (cinq, une tout les quinze jours) pour faire baisser les anticorps. Malheureusement, c’était également l’époque du sang non chauffé (dit aussi sang contaminé !), j’en garde une hépatite C en souvenir, … cela aurait pu être pire !

Le temps passe et je m’aperçois que la dialyse à domicile est une solution beaucoup plus égoïste que raisonnable, croyant contrer la maladie, je l’ai faite entrer dans la maison. Les enfants sont perturbés par cette machine omniprésente, qui réclame du temps pour l’entretien et de la place pour le stockage. Ma femme, qui travaille, à beaucoup de peine à assumer ses multiples fonctions (toutes à temps plein), de mère de famille, épouse, comptable, infirmière, femme d’intérieur, cuisinière.

Heureusement le 13 juillet 1983, je suis appelé pour la greffe. C’est la délivrance !!! Pendant que je suis à l’hôpital, la télé annonce la découverte de la ciclosporine qui, d’ici quelques années, devrait bouleverser les résultats de la transplantation. On fera sans !!!
Malheureusement deux mois plus tard, je fais une embolie pulmonaire, provoquée par un énorme caillot qui a, entre autre, bouché l’artère rénale et ainsi détruit le greffon. Il faut retourner en dialyse, c’est encore plus dur que la première fois, malgré le soutien de toute l’équipe de l’hôpital Rangeuil de Toulouse. Le cardiologue m’explique que je reviens de très loin, qu’à partir de là, c’est du rab et qu’il va falloir considérer la vie d’un œil nouveau ! Plus facile à dire qu’à faire.

Je re-dialyse donc, mais cette fois en centre, pour éviter que la maladie ne pénètre trop dans la maison en perturbant tout le monde. Un fois de plus mon activité professionnelle va me servir de paravent, en ne me laissant pas le temps de trop penser. Comme les résultats suivent les efforts, les promotions également, nous voilà de retour à Marseille où je prends la responsabilité commerciale des ventes indirectes France Sud. Ceci simplement pour dire que même en dialysant on peut être très efficace dans son travail et qu’un employeur, une fois faites certaines mises au point, n’aura qu’à se féliciter de la situation.

Les souvenirs de la greffe ratée et de ses conséquences me font réfléchir longuement avant de me réinscrire sur une liste d’attente. Au bout de quatre ans je me décide, car cela devient assez dur de supporter cette contrainte. Malheureusement, ayant déjà été greffé j’ai devellopé des anti-corps et il va falloir attendre un greffon présentant une bonne compatibilité. Les années passent, une, deux, trois, puis quatre, je ne vois toujours rien venir. Il est encore plus dur de supporter la dialyse une fois la décision prise de se faire greffer, car on a choisi de vivre dans l’attente d’un coup de fil et on ne pense plus qu’à ça. Finalement j’ai du ralentir mon activité professionnelle puis, même accepter de passer en invalidité, le moral et le physique ayant pas mal souffert, malgré un soutient psychologique. Pour préparer la place, il a fallut enlever le greffon inutile et un de mes reins devenu beaucoup trop volumineux.

Le 8 octobre 1990, enfin !!! Le plus beau dimanche de ma vie, on m’appelle pour ma deuxième greffe. Après des débuts difficiles, puisque je ne ressortirai de l’hôpital Ste Marguerite à Marseille que le 26 décembre, soit 80 jours plus tard. Tout finit par se stabiliser et les forces reviennent. J’en profite pour créer une société, toujours de distribution de matériel bureautique.

A partir de là les années vont se dérouler avec des hauts et des bas, le traitement anti-rejet est loin d’être anodin et provoque de nombreux incidents qui me ramènent régulièrement en clinique (5 septicémies, 1 infarctus mésentérique, 1 deuxième néphrectomie, 1 colectomie avec reconstruction des uretères, des problèmes cardiaques, etc. …). Mais l’évidence est là, le deuxième greffon est en rejet chronique. Il va tout de même tenir dix ans, à cette époque, cela semblait être un cap difficile.

En mars 2000, c’est la troisième fois que l’on me dit ” Il va falloir dialyser “, pour quelqu’un qui ne voulait pas en entendre parler, c’est encore plus dur ! Je tente de refaire un troisième bilan pré greffe, mais mon hépatite C doit d’abord être traitée, car son début d’évolution me ferait courir de trop gros risques avec un nouveau traitement hymuno-suppresseur. Je me résigne donc à l’interféron, car cette médication est assez pénible et dure au moins un an. Malheureusement dès le début de cette thérapie les plaquettes chutent dangereusement, après l’avoir interrompu et repris à plusieurs reprises, il faut y renoncer et du même coup renoncer à la greffe.

Il me faut donc finir par accepter, vingt ans plus tard, après deux greffes, cinq septicémies, une douzaine d’opérations, dont l’ablation de quatre reins (les 2 miens plus 2 greffons !) et diverses péripéties souvent très périlleuses, que la dialyse devienne ma compagne inséparable et définitive.
Ayant, entre-temps, cessé mon activité et revendu les parts de ma société, il me faut absolument me lancer à corps perdu dans une autre aventure, ce sera l’engagement associatif, avec l’A.I.R. PACAC, puis la FNAIR et la section enfants, qui m’aideront à supporter tout ça.

En septembre 2004, à l’occasion d’un examen radiologique, presque, de routine cette petite phrase me frappe de plein fouet : ” Vous êtes au courant, que votre cirrhose est évolutive ? “. De nouveau panique à bord ! Bien sûr je réponds oui, malgré mon ignorance et je recommence à gamberger sérieusement. Je prends rendez-vous chez un gastro-entérologue, qui me rassure un peu et qui me dit qu’une double greffe foie et rein serai la solution, car même si l’hépatite C réplique sur le greffon, ce sera toujours 10 à 15 ans de gagnés. Sans hésiter, je me lance à corps perdu dans cette nouvelle aventure. Le bilan pré greffe est cette fois très pointu et avant même de le commencer il faut convaincre tous les acteurs hospitaliers de bien vouloir tenter cette gageure. Malheureusement, quelques mois et de très nombreux examens plus tard, le verdict tombe comme un couperet : transplantations impossibles, car trop dangereuse, à cause de l’état de mes artères et de diverses pathologies associées notamment cardiaques !!!

Cette fois ça y est, la messe est dîtes, il faudra donc dialyser jusqu’à ce que mort s’ensuive, c’est toujours, même avec 23 ans de recul, aussi dur à admettre, mais on tâchera de faire avec.

Mais je ne voudrais pas terminer sans remercier chaleureusement mon épouse, sans qui rien de tout cela n’aurait été, ni ne sera, ni possible, ni supportable. Elle a toujours été là, derrière chaque porte de chambre d’hôpital, à chaque moment difficile, dissimulant ses larmes, pour m’encourager, m’aider, me soutenir. Et, à ses côtés, mes enfants qui m’ont toujours choyés et à qui je n’ai sûrement pas su rendre toute l’affection, ni consacrer tout le temps qu’ils méritent.

Bernard ORECCHIONI

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