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Une néphrologue de Chicago donne un rein à une de ses malades

28 avril 2003, Chicago Sun Times

Traduction partielle de l’article de Chris Fusco

Pour le Dr Susan Hou, âgée de 56 ans, donner un rein était un projet de longue date.
Voilà trente ans, elle a vu un de ses amis de la faculté de médecine affronter l’insuffisance rénale.
“Il passait son temps à lire des ouvrages médicaux sur le sujet – certains chapitres en particuliers, ceux qui abordaient la façon dont les insuffisants rénaux mourraient…” se rappelle t-elle.
“Compte tenu du coût du traitement à l’époque, il se demandait quelle solution choisir : mourir d’office, ou bien ruiner sa famille puis mourir. C’est ainsi qu’est né mon projet de devenir une donneuse de rein.”

Elle avait ainsi proposé son rein à son ami, mais finalement celui ci a pu recevoir celui de son frère…

Ces événements ont marqué le Dr Hou à vie. Ils ont été à l’origine de sa spécialisation en néphrologie, et de sa nomination en tant que chef du service de Néphrologie et transplantation au centre médical universitaire de Loyola, dans la banlieue de Chicago. Son projet de donner un de ses reins a aussi traversé les années sans que sa volonté ne vacille. Elle s’est d’ailleurs proposée pour une demi douzaine de receveurs potentiels… Parmi ceux là, un de ses amis proches, mais aussi des patients qui n’ont jamais eu connaissance de son projet, que des incompatibilités diverses ont empêché de se concrétiser.

Mais quand le Dr Hou a rencontré une nouvelle malade le 11 janvier 2002, un étrange pressentiment l’a assaillie. La jeune femme, Hermelinda Gutierrez, avait une morphologie strictement identique à la sienne. “Nous devons toutes les deux acheter nos vêtements et nos chaussures au rayon enfant !” résume t-elle…

Hermelinda souffrait de polykystose rénale, et fut placée sur liste d’attente d’un greffon. Certains membres de sa familles étaient volontaires comme donneurs potentiels. Malheureusement, aucun d’entre eux n’était compatible. Hermelinda était résolue à attendre en dialyse un rein cadavérique pendant au moins trois ans.
Les deux femmes ne se sont pas revues durant les neufs mois qui ont suivi cette première rencontre.

Tandis qu’Hermelinda s’installait dans la routine de la dialyse, sa néphrologue se préparait tranquillement à donner un de ses reins. Elle n’avait pas de receveur spécifique à l’esprit, mais elle savait qu’elle voulait que l’opération ait lieu avant qu’elle ne soit trop vieille. Elle était également persuadée que son équipe de Loyola serait derrière elle et accepterait de pratiquer la greffe.

“J’ai fait mon bilan pré-greffe sans savoir à qui irait mon rein.” raconte t-elle. ” Il y avait plusieurs candidats potentiels, mais j’avais tout de même le sentiment que Mme Gutierrez serait la plus compatible… En effet, à l’échographie on avait découvert que mes reins (tout comme moi, d’ailleurs ! ) étaient de petite taille. Il aurait été dangereux d’en transplanter un à une personne plus grande que moi.”
De plus, le Dr Hou était impressionnée par la volonté d’Hermelinda et par sa capacité à se prendre en charge.
“Il était clair qu’elle prendrait tous ses médicaments, et qu’elle ferait tout ce qui serait possible pour prendre soin d’elle et de son greffon.”

C’est ainsi que le 10 septembre 2002, Hermelinda rencontra le Dr Hou pour la seconde fois, pour ce qu’elle pensait être une simple consultation de routine.

“Un de mes amis m’a une fois dit qu’offrir un rein à quelqu’un, c’est un peu comme l’inviter à un rendez-vous galant…” se souvient le Dr Hou. “J’étais très nerveuse…”.
Hou demanda ainsi à Hermelinda si elle serait prête à accepter un de ses reins.

Cette dernière est toujours stupéfaite par ce qu’elle a vécu ce jour là. “Comment quelqu’un peut il faire un geste pareil pour une personne qu’elle ne connaît même pas ? Si ça ne m’était pas arrivé, je ne pourrais pas le croire…”.

La greffe a eu lieu le 10 octobre 2002 à Loyola. L’opération a duré 3h30, et il semble que ce soit la première fois aux Etats Unis qu’un néphrologue donne un organe à une personne qui ne lui est pas apparentée.

Tout s’est parfaitement déroulé. Le Dr Hou, qui a elle même pratiqué une biopsie de son ancien rein quelques semaines plus tard, n’a eu aucune complication.
Hermelinda a eu une période de rejet en décembre, mais tout est finalement rentré dans l’ordre. Elle prend à l’heure actuelle neuf médicaments par jour.

Les deux femmes sont en pleine forme, et le Dr Hou voit sa patiente en consultation une fois par mois.
Toutes deux tiennent à témoigner de leur expérience, afin de promouvoir le don d’organe.
Le Dr Hou espère que son geste pourra inspirer d’autres personnes. “Beaucoup de gens me téléphonent pour me dire combien ils m’admirent pour ce que j’ai fait. Moi, ce que j’aimerais entendre plus souvent c’est : je veux faire la même chose que vous, où dois-je m’adresser ? A l’époque où j’ai pensé à donner mon rein pour la première fois, les donneurs sans lien de parenté n’étaient pas acceptés. Mais si l’on a foi en l’homme et qu’on croit à la fraternité universelle, les liens du sang n’ont plus aucun sens particulier.”

Susan Hou est née et a grandi à Boston. Elle a étudié brillamment le chinois à Harvard, Puis a enseigné l’anglais pendant 18 mois à Taiwan, a été brièvement mariée à un chinois dont elle a conservé le nom de famille. Elle avait 25 ans lorsqu’elle a intégré la faculté de médecine de l’université du Massachusetts. Au début des années 80, elle a mis en place un projet humanitaire afin de permettre à une jeune chinoise insuffisante rénale, Dadi Ding, d’être transplantée au USA. Dadi est ensuite devenue infirmière et travaille comme coordinatrice à Loyola… Hou regrette que leurs groupes sanguin ne lui aient pas permis d’être donneuse, elle considère en effet Dadi comme un membre de sa famille.
La fondation qui a vu le jour suite au succès de la greffe de Dadi existe toujours, et vient en aide aux insuffisants rénaux dans le besoin. Dernièrement, Hou et son époux ont contribué à la création d’un centre de transplantation en Bolivie.

Le Don du Dr Hou pose des questions éthiques

Le don du rein du Dr Hou à sa patiente, Hermelinda Gutierrez, constitue une première aux Etat Unis. Il ravive aussi un débat éthique autour du nombre croissant de donneurs d’organes qui n’ont aucun lien familial avec leurs receveurs. Le principal problème étant de s’assurer que les motivations des donneurs sont réellement purement altruistes, et qu’ils n’ont pas été l’objet de pressions ou de sollicitations financières.

L’UNOS (équivalent américain de l’EFG) rapporte que 55 dons de reins altruistes “anonymes” ont eu lieu aux USA l’an dernier. Les donneurs et les receveurs étaient de parfaits étrangers, et le sont restés. Par ailleurs, 1007 transplantation de donneurs vivants ont été réalisées, alors que le donneur était une simple connaissance du receveur, sans aucun lien familial ou marital.

En 1999, ces chiffres s’élevaient respectivement à 6 et 423…

Rien dans le code de déontologie médical n’empêche a priori un médecin de donner un organe à son malade. Néanmoins, L’Association Médicale Américaine se déclare surprise de savoir que depuis la greffe, le Dr Hou continue de soigner Hermelinda. La néphrologue insiste cependant sur le fait que sa relation avec sa patiente reste strictement professionnelle, ” Certains de mes patients sont devenus des amis, et viennent régulièrement dîner à la maison… Ce n’est pas le cas pour Hermelinda. “.

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