Le témoignage de Jocelyne
La maman d’Yvanie écrivait ces lignes en septembre 2002, trois mois environ après lui avoir donné son rein.
Au Docteur Jean Viard, avec lequel j’ai partagé 17 années de vie professionnelle,
Pour tout ce qu’il m’a appris, l’exigence du travail bien fait,
En souvenir de ses réflexions sur la vie et la mort,
Pour son soutien face à la maladie,
Pour sa bonté,
Pour ses espoirs en la greffe rénale,
Pour une vie meilleure pour Yvanie.
Yvanie, notre fille unique, avait à peine 12 ans lorsque nous avons appris qu’elle était atteinte d’une maladie rénale chronique, la maladie de Berger. Ce fut un choc terrible tant pour elle que pour nous.
Fin 1985, j’avais remarqué qu’elle avait toujours soif. Intriguée et travaillant dans un secrétariat médical, j’eus la curiosité d’effectuer un test par bandelettes urinaires afin de vérifier si sa glycémie était normale, ce qui était le cas. Mais je découvris la présence de sang dans les urines, ainsi qu’une protéinurie. Nous avons donc consulté notre généraliste, puis un néphrologue qui, devant la persistance et l’aggravation des signes, ordonna une biopsie rénale. L’attente du résultat fut éprouvante et le verdict tomba.
Après avoir fréquenté l’hôpital où la biopsie avait eut lieu, la confiance ne régna plus à cause de la maladresse d’un assistant. Ce dernier avait reçu l’ordre (dont avions été les témoins Yvanie et moi) d’attendre les résultats d’examens sanguins avant de décider d’une perfusion en flash de Solumédrol (500 mg. pendant 3 jours) suivie d’une prise per os de Solupred (50 mg par jour) ensuite. Or il profita de l’absence de son responsable pour entreprendre ce traitement sans avoir les résultats biologiques. Ce fut un séjour très pénible pour Yvanie.
Six semaines plus tard, nous nous sommes orientés vers un C.H.U. où un Professeur nous a rassurées et a stoppé la Cortisone. Il rentrait d’un congrès à San Francisco et nous a annoncé qu’au cours des conférences, tous les néphrologues présents avaient été unanimes pour dire qu’un tel traitement n’avait jamais eu de résultat dans ce type de maladie.
Nous étions en 1986. Je lui avais fait part de ma volonté de donner un rein à ma fille si cela s’avérait un jour nécessaire…
De nombreuses années passèrent, la maladie semblait stabilisée… Sa tension artérielle était normale grâce aux anti-hypertenseurs et aucun autre médicament ne s’avérait nécessaire.
Les études d’Yvanie terminées, elle trouva un emploi et s’installa à Paris avec son compagnon, Dominique.
En 1998, un épisode malheureux de pyélonéphrite (une infection des reins) a sans doute accéléré la dégradation de son état de santé. Ce fut le coup de grâce…
Durant les mois qui suivirent, son fonctionnement rénal se dégrada progressivement. Courant 2001, les contrôles sanguins et urinaires montrèrent des résultats de moins en moins bons.
En septembre de la même année, au cours d’un voyage de deux semaines aux U.S.A. avec Dominique, Yvanie fut de plus en plus exténuée et montra des symptômes d’insuffisance rénale terminale.
De retour à Paris, elle reprit courageusement son travail pendant 4 jours au cours desquels elle consulta un chirurgien vasculaire afin de créer une fistule artério-veineuse au poignet en prévision de la dialyse.
L’après-midi qui suivit la consultation, elle fut appelée en urgence par le néphrologue de la clinique. Il venait d’avoir les résultats des examens sanguins de routine qui avaient été faits en prévision de l’opération, et il lui demandait de se présenter dès le lendemain matin afin de procéder à la première dialyse.
Elle eut donc lieu le 27 septembre 2001. La fistule n’était pas réalisée et devant l’urgence et son état, on lui posa un cathéter. Ce fut très dur pour elle…
La première dialyse fut extrêmement pénible avec des vomissements et des maux de tête très douloureux, dus à un œdème cérébral.
J’arrivais dès le lendemain à la clinique où elle était hospitalisée et je découvris son visage extrêmement gonflé, malgré la première dialyse.
J’assistais également pour la première fois de ma vie à une dialyse, celle de notre fille.
Je me sentais impuissante, dépassée… Avec le temps, tout cela était arrivé d’une façon inexorable, sans que personne ne puisse intervenir pour stopper le processus de sa maladie. Pourtant, je remerciais le ciel que cette machine exista pour maintenir notre fille en vie. Je voyais toutes ces tubulures dans lesquelles circulait son sang qui passait dans de multiples filtres afin d’être épuré de tout ce qui l’empoisonnait. Elle restait allongée, un brassard à tension au bras, reliée à cette machine qui se mettait très souvent en alerte sonore, afin que des réglages soient faits.
Elle eut la chance de croiser un excellent néphrologue qui leur proposa, à elle et Dominique, de les former pour la dialyse à domicile, qui serait moins contraignante pour eux.
Ils eurent des cours sur une multitude de sujets relatifs à l’insuffisance rénale et à la dialyse, et pendant 3 mois, Dominique pratiqua la dialyse avec l’aide du Néphrologue ou des infirmières.
Il apprit également à “piquer”. Mais très tôt, Yvanie décida de le faire elle-même au grand étonnement du Néphrologue. Connaissant notre fille, je sais qu’elle est très courageuse et ceci en témoigne.
Il leur fallait arriver à la clinique à Paris très tôt (7 H 30 le matin un jour sur deux) afin de respecter le planning d’utilisation des appareils à dialyse. Ces déplacements étaient très fatigants. Mais l’espoir de la dialyse à domicile les motivait.
Au bout de trois mois, l’appareil fut installé dans leur maison et Dominique fut confronté seul aux dialyses. Je mesure tout le courage et la bonne volonté dont il a fait preuve pour assumer cette responsabilité, afin d’améliorer les conditions de vie de notre fille. Je lui en suis profondément reconnaissante.
Nous allions souvent chez nos enfants, puisqu’ils ne pouvaient guère se déplacer. De plus Yvanie était de plus en plus fatiguée par la dialyse. A chacune de nos visites, nous constations un amaigrissement.
Lorsque l’heure de la dialyse arrivait, je ne pouvais supporter cette vision. A chaque fois, je voulais rester près de ma fille pour l’assister, mais dès le début de la séance la nausée me prenait et je devais quitter la pièce…
Je me souviens de ce jour où Yvanie avait dû se piquer une seconde fois au cours de la dialyse parce que le sang ne circulait pas bien. Je n’oublierai jamais l’expression de son visage révulsé par la douleur. Je lui avais dit à ce moment qu’il fallait qu’elle ait encore du courage car nous étions à deux mois de la greffe, il fallait qu’elle tienne…
Est-ce normal qu’à 28 ans, on puisse connaître autant de souffrances, physique et morale ?
Avant de vivre le déroulement de la maladie d’Yvanie, je croyais connaître la dialyse, j’avais vu des reportages à la télévision… Mais lorsqu’un être cher le vit, c’est complètement différent, on ne s’imagine pas, ça vous déchire le coeur… Ce que les gens en disent sans le vivre… c’est tout autre…
Mais bien sûr il faut rester conscient que ce traitement a le mérite de maintenir la vie, ce qui est essentiel malgré tout.
Yvanie avait informé son Néphrologue de mon désir de lui donner un de mes reins. Elle avait également choisi un hôpital en prévision de la une greffe. Elle obtint un rendez-vous le 18 février 2002. Sa rencontre avec le Professeur lui donna de l’espoir. La date de la greffe avait même été fixée au 28 mai suivant.
Elle me transmit une ordonnance du Professeur me concernant pour des recueils d’urines et prélèvements de sang à trois reprises différentes. Ce fut fait, les résultats étaient excellents et laissaient présager un grand espoir.
Le second examen fut l’échographie rénale : “deux beaux reins”, me dit le radiologue.
Le troisième examen : un électrocardiogramme, sans problème.
Le quatrième examen : un holter tensionnel (prise de tension pendant 24 heures, tous les ¼ d’heure).
J’ai une tension de jeune fille.
Je dus également prendre rendez-vous auprès du Tribunal de Grande Instance de notre ville, afin de déclarer devant un Juge que je désirais donner un de mes reins. Ma volonté fut consignée.
Le cinquième examen : un débit de filtration glomérulaire. C’est un examen qui dure environ 8 heures. Il fut pratiqué à l’hôpital George Pompidou, à Paris. J’arrivais pour 9h et je fus installée, allongée, dans une chambre, avec un cathéter et une perfusion à chaque bras. Si j’ai bien compris, on allait mettre mes reins en quelque sorte en situation extrême pour en vérifier le fonctionnement.
Tous les ¼ d’heure, on me donnait à boire de l’eau, puis, je devais uriner. Vers 15 heures, on m’a perfusé un produit qui était sensé me donner la nausée. Il n’en fut rien, mais je sentis néanmoins que j’urinais en moins grande quantité, ce qui était semble-t-il normal.
Enfin, vers 16 heures tout était terminé.
Ce bilan fut fait entièrement en externe. Je me rendis également en consultations d’anesthésie, et je rencontrais le chirurgien et le chef du service de transplantation. Entre temps, nous étions prévenues que la greffe était reportée au 31 mai 2002, soit trois jours après la date initialement prévue.
Le 23 mai, j’entrais à l’Hôpital pour un dernier examen que je devais subir le lendemain matin, une artériographie rénale. On me fit une anesthésie locale, trois médecins s’afféraient à mes côtés. Sur un écran, je pouvais suivre les pérégrinations d’une sonde qu’on m’avait introduite dans les artères rénales.
Au bout d’une heure, tout était terminé et un des médecins vint m’annoncer que j’avais des artères “nickel”… On me posa un gros pansement compressif. Je ne devais pas bouger du tout pendant 24 heures.
Je ressortis le samedi 25 mai à midi, un peu “chahutée”, mais tout rentra dans l’ordre rapidement. Yvanie et Dominique, ainsi que ses parents, m’attendaient dans un excellent restaurant italien de Paris, “Le Grand Venise”, où j’ai pu largement me consoler du jeûne que je venais de vivre !
Puis le 29 mai arriva, c’était le jour de notre entrée à l’hôpital pour la greffe. La petite famille était au complet : Pierre avait pris une semaine de congés pour ne plus nous quitter. Il était à nos côtés et était notre précieux soutien, fort comme un roc. Dominique n’avait pas cessé son activité, mais le jour de la greffe, il était près de nous. Durant la suite de notre séjour, il passait chaque soir après son travail.
Le service était plein et nous avons craint un moment de ne pas pouvoir être dans la même chambre. Finalement, grâce au départ d’une personne, nous pûmes enfin être ensemble.
Ce 29 au soir, l’ambiance était au beau fixe. Nous étions tous emplis d’un immense espoir.
Ce soir-là, Dominique était arrivé et, las de sa journée, il s’était assis dans le fauteuil qui séparait nos deux lits et avait entonné la chanson de “Princesse Sarah” (un dessin animé qu’ils suivaient tous les deux lorsqu’ils étaient petits). Pierre immortalisa cet instant avec son caméscope avant que la porte s’ouvre et mette fin à ce moment joyeux.
Nous avions, Yvanie et moi, un moral à toute épreuve…
C’était un immense espoir qui allait se concrétiser.
Nous allions vivre un grand bonheur, comme lorsqu’une naissance est imminente…
C’est ce projet de don de rein et de greffe sur Yvanie qui nous a donné à tous, Yvanie, Dominique, Pierre, mon mari, et moi, la force de supporter tous ces jours si difficiles.
Je n’ai jamais eu peur de ce qui m’attendait… Je souffrais tellement moralement de voir notre fille dans cet état.
Je savais que je pouvais améliorer sa vie et je le désirais tellement ardemment. J’étais prête à affronter toutes les souffrances possibles pour revoir ensuite notre fille renaître et revivre. Cela me semblait un détail par rapport à ce qu’elle endurait.
J’avais recommandé à Yvanie de ne pas craindre l’intervention chirurgicale. On ne sentirait rien. On nous endormirait et lorsqu’on se réveillerait, ce serait fait… et c’est ce qui se passa.
Notre fille nous avait donné tellement de joies, de bonheur lorsqu’elle vivait auprès de nous… des souvenirs de sa plus tendre enfance me reviennent. Quelle merveilleuse petite fille. Le Proviseur du Collège qu’elle fréquentait lui avait dit devant sa classe qu’elle était “l’honneur du Collège” parce qu’elle avait obtenu le 1er prix d’un concours départemental.
Elle avait eu une adolescence sans problème. Nous avions beaucoup de chance. Enfin, à 22 ans elle avait un diplôme d’ingénieur en génie mathématique en poche et un D.E.A. puis un master HEC l’année suivante.
La vie aurait pu être très belle sans cette maladie…
Alors, devant la difficulté, il faut se battre, ne jamais s’avouer vaincu par la fatalité, tout tenter afin de surmonter.
Le 30 mai fut consacré aux “préparatifs”, c’était la veille du grand jour.
Yvanie subit sa dernière dialyse dans le service d’hémodialyse de l’hôpital. Elle y fit la connaissance d’une maire adjointe de la ville de Paris, qui était dialysée en même temps qu’elle.
Un dîner léger nous fut servi à toutes les deux et passé minuit, nous devions rester à jeun et ne rien boire. Ce soir-là, on nous demanda de nous doucher avec un produit désinfectant en prévision de l’opération.
La nuit fut difficile car Yvanie était atteinte du syndrome des jambes sans repos, induit par l’insuffisance rénale, et ne pouvait pas dormir tant elle était agitée de tous ses membres sans qu’elle puisse les maîtriser. Je me levais de multiples fois pour tenter de l’aider, appeler le médecin, rien n’y faisait…
Yvanie n’avait pratiquement pas dormi, et moi, seulement pendant trois heures.
Le jour se leva. Pour moi, l’heure de la seconde douche arriva, toujours avec le même produit. Puis je revins dans mon lit. On me donna un petit cachet “pour me détendre”.
D’un seul coup, la porte s’ouvrit. Deux hommes en blanc attrapèrent la tête et le pied du lit…
Je tendis la main vers Yvanie qui eut tout juste le temps d’effleurer mes doigts. Ce fut la seule ” étreinte ” qui nous fut permise. Ce moment fut douloureux pour moi, car j’aurais tant voulu serrer ma fille contre mon cœur avant de la quitter. Je n’ai pu retenir une larme qui coula sur ma joue. Pierre était là, veillant sur l’une et sur l’autre. Il me suivit un peu dans le couloir, puis le lit s’engouffra dans l’ascenseur et j’arrivais dans l’anti-chambre de la salle d’opération.
Plusieurs personnes attendaient dans leur lit. Je ne pensais à rien, je n’avais pas peur, je n’avais aucune appréhension. Ce moment, je l’attendais depuis si longtemps…
Une anesthésiste me prit en charge. On poussa mon lit jusque dans une petite pièce.
Elle m’installa un cathéter dans le bras et me dit que le produit qu’elle m’injectait allait sans doute me brûler un peu. Je n’ai rien senti et me suis endormie.
Mon premier souvenir à mon réveil est une voix féminine qui me disait : “votre fille est près de vous”. Je tournais la tête, mais je vis un homme… Je ne pouvais la voir car son lit se trouvait après celui de ce monsieur.
Puis on poussa mon lit pour regagner ma chambre. Enfin je pus voir ma fille. Elle était réveillée, peut-être mieux que moi. Je levais un peu ma main pour lui faire un signe.
Je n’avais pas trop conscience où j’étais… les couloirs… la chambre. Pierre était là, il attendait.. Enfin, en voilà une qui revient…
Yvanie, quant à elle, resterait en salle de réveil toute la nuit, afin de surveiller son fonctionnement rénal.
J’avais des ” tuyaux ” un peu partout, mais je ne m’en inquiétais pas.
On m’installa une pompe à morphine que je pouvais actionner quand je voulais, mais je dormais tellement que je ne ressentais pas la douleur.
Le lendemain matin, j’étais plus consciente. Je m’inquiétais de ma fille et les infirmières me disaient toujours qu’elle allait très bien, que son rein fonctionnait très très bien.
J’utilisais peu la morphine. Si je ne bougeais pas, je n’avais pas mal. Mais parfois, l’ankylose m’obligeait à me tourner un peu et là, c’était assez douloureux car une de mes côtes avait été retirée afin de permettre au chirurgien d’atteindre le rein.
L’intervention ” à ciel ouvert ” avait été retenue car j’avais une artère provenant de la moelle épinière qui passait tout près des artères rénales et ne permettait pas, sans risque, l’intervention par cœlioscopie. Cette dernière aurait eu lieu à l’aide d’un écran, sans sectionner la côte, c’est une technique moins mutilante et moins douloureuse.
Mon rein avait été prélevé avec l’artère, une veine et l’uretère.
Enfin vers 11 heures, Yvanie fut reconduite dans le service de néphrologie. Nous étions dans deux chambres séparées pendant les deux premiers jours afin de ne pas assister à nos souffrances respectives.
Pierre allait d’une chambre à l’autre. Il avait apporté son camescope et filmait l’une, puis revenait dans la chambre de l’autre pour visionner. Et puis on pouvait se parler au téléphone. Tout semblait aller pour le mieux.
Le matin du 3ème jour, Yvanie fut ramenée dans ma chambre, et ce fut un nouveau moment heureux. Nous ne pouvions guère nous toucher car il fallait se tourner l’une vers l’autre et c’était difficile parce que douloureux.
Yvanie avait encore plus de ” tuyaux ” que moi…
Cette fois ma fille était près de moi et je pouvais veiller sur elle.
L’après-midi, les parents de Dominique vinrent nous rendre visite. Eliane ne put retenir ses larmes en nous voyant. Eux aussi étaient profondément affectés par la maladie d’Yvanie.
Je n’avais jamais mis la télévision en marche parce que je me sentais fatiguée et n’éprouvais même pas le besoin d’écouter les infos. Yvanie le fit … Elle aimait se brancher sur le “loft”. Elle trouvait cette émission ” croustillante ” de bêtise et prenait sans doute un certain plaisir à mesurer la stupidité du comportement de ses protagonistes… moi pas… mais nous n’avons pas le même âge et ça lui occupait l’esprit… Du reste elle était souvent rejointe par les infirmières, la chambre se remplissait alors d’éclats de rire.
Le matin du 4ème jour après la greffe, elle fut réveillée par une douleur terrible au niveau de l’estomac. J’avais éprouvé la même dans la nuit et j’avais demandé un sachet de gaviscon. Nous n’avions pas mangé depuis la greffe, nos transits intestinaux n’ayant pas repris. Nous étions contraintes à la diète. Yvanie était épuisée, elle me dit ne plus avoir de force même de soulever un bras… elle pleurait…
J’appelais une infirmière, puis une seconde arriva. Elle nous apprit que nous aurions droit à un petit déjeuner avec deux biscottes… Je vis son regard s’illuminer.
Le déjeuner arriva et ce fut un réel moment de bonheur pour toutes les deux.
Pour moi, ce fut le meilleur petit déjeuner depuis bien des années. Je ne prends jamais de café au lait d’habitude. Je n’en avais jamais bu d’aussi délicieux que celui qui nous fut servi ce matin là ! Depuis, je n’ai jamais retrouvé un goût comparable… néanmoins je continue à en boire chaque matin.
Après ce moment réconfortant, l’heure de la toilette arriva. D’abord il fallut se mettre debout pour la pesée dans un fauteuil, puis direction le cabinet de toilette. Luce, notre aide-soignante, “prit en mains” Yvanie. Qu’elle avait une petite mine ma petite chérie ! Clouée dans mon lit, j’aurais tant voulu avoir les gestes de tendresse d’une maman… Yvanie partit sur le fauteuil roulant poussé par Luce, puis la porte se referma… Un bon moment après, je la vis réapparaître, fraîche, les cheveux lavés, un pyjama propre. Son visage était plus détendu… Je la sentais mieux que lors de son réveil.
Luce, la si gentille Luce, lui avait chanté, elle aussi, la chanson de la petite Sarah pendant qu’elle lui avait fait sa toilette, et l’avait embrassée pour lui donner du courage… Lorsque Yvanie m’avait raconté cela, j’en ai eu les larmes aux yeux… Je n’oublierai jamais la gentillesse et le dévouement dont nous avons été l’objet dans ce service.
Pierre arrivait vers midi et prenait ses repas avec nous. Il séjournait dans l’enceinte de l’hôpital, à la Maison des Parents. Le matin, il ne pouvait pas être près de nous, car il y avait beaucoup de soins et les visites des médecins. Quand il arrivait, nous lui racontions tout ce que nous avions vécu depuis la veille au soir. Il y avait beaucoup de choses à dire…
De son côté, il avait visité Paris, fait de la vidéo, ou il était allé voir des amis… Il filmait le tout avec son camescope, puis nous projetait ses souvenirs de la journée, ce qui nous passait le temps. Il m’aidait à me lever, ce que j’appréhendais le plus, car la côte sectionnée me faisait souffrir et je réalisais qu’Yvanie était plus “alerte” que moi.
Chaque jour, les résultats biologiques étaient notés sur un tableau pour chacune de nous et les médecins les contrôlaient quand ils passaient nous voir.
Pour Yvanie les résultats étaient excellents… depuis le premier jour, le greffon fonctionnait très bien.
Pour moi, tout allait bien aussi.
Yvanie fut délivrée de ses “branchements” et le jour suivant, nous décidâmes de faire quelques pas toutes deux dans le couloir. Yvanie récupérait plus rapidement que moi, je ne me sentais pas très solide sur les jambes et il me fallut de courage pour le faire… Mais je reconnais que sa présence m’entraînait et je ne voulais pas paraître moins gaillarde que ma fille !
Ce fut un événement dont nous étions fières l’une et l’autre, et qui fut filmé par Pierre.
Le jour suivant, nous nous dirigeâmes tous trois vers le parc de l’hôpital en direction de la chambre de Pierre. Je traînais un peu les pieds car j’avais mal et c’était dur pour moi… sans doute pour Yvanie aussi… Lorsque nous arrivâmes finalement dans sa chambre, nous nous étendîmes toutes les deux sur le lit d’une personne pendant un moment, avant de pouvoir envisager le retour dans notre chambre. Un des médecins du service nous croisa avec une visible satisfaction
Le lendemain nous descendîmes à la cafétaria.
Enfin le vendredi matin arriva… Je devais sortir ce jour-là car je n’avais plus de soins. Yvanie resterait quelques jours de plus sans doute (de deux à trois semaines nous avait on dit).
Nous attendions la visite habituelle des médecins : ils étaient bien une quinzaine. Puis ce fut la nouvelle époustouflante : Yvanie allait si bien, ses résultats biologiques étaient si excellents qu’elle pouvait sortir en même temps que moi !
Ce fut un moment délirant, nous étions si heureux tous les trois de pouvoir rentrer à la maison… chez nos enfants.
Le déménagement se fit rapidement. La sœur de Pierre arriva pour nous rendre visite et fut surprise de nous voir habillées toutes deux, prêtes à partir. Sa présence fut providentielle, nous avions beaucoup plus de bagages qu’à l’arrivée. Nous avions reçu plusieurs bouquets de fleurs, des livres, des revues. En une semaine, nous nous étions installées.
Ma belle-sœur aida donc au ” déménagement “. Yvanie semblait en meilleure forme que moi : j’observais les préparatifs, mais je restais assise dans le fauteuil… Enfin l’heure du départ arriva et nous sortîmes de la chambre tous les quatre. Après de brefs adieux au personnel du service, il nous fallait encore procéder aux formalités administratives de sortie dans le hall d’accueil. Un banc libre me fut d’un grand secours et Yvanie les assuma. Puis nous regagnâmes le parking souterrain et ce fut le départ.
J’étais à l’arrière de la voiture, Yvanie avait pris place à l’avant. A l’extérieur, sur la rue, pendant que la voiture roulait, j’essayais de repérer l’emplacement de la fenêtre de notre chambre. Mais tout cela m’étourdissait et bientôt, le mal des transports me prit. La voiture roulait à vive allure sur l’autoroute, mais je n’arrivais pas à suivre le trajet. Bientôt, me sentant si mal, je dus m’allonger. Nous arrivâmes chez nos enfants et je dus attendre l’aide de Pierre pour me redresser et sortir du véhicule, la côte sectionnée me faisait souffrir et empêchait tout effort. Je m’allongeais dans la chambre de dialyse et je me mis à penser que tout cela était fini, bien fini.
Yvanie, de son côté, était sortie de l’hôpital avec une ordonnance et elle dû aussitôt repartir à la pharmacie avec son papa pour récupérer les médicaments indispensables.
Le dimanche, ma Maman arriva avec mon oncle. Ils n’avaient pas eu le temps de nous rendre visite à l’hôpital, tant le séjour avait été court. Je les sentis bouleversés par tous ces évènements. C’était pour eux, plus âgés, beaucoup de tourments et une dure épreuve de la vie. Enfin nous étions tous réunis là, et c’était l’essentiel.
Le dimanche soir, Pierre reprit la route pour rentrer sur Alençon, accompagnés de ma mère et de mon oncle. Mais avant de partir, il avait pris soin de mettre à hauteur toutes les affaires dont j’avais besoin pour la toilette et autre, afin que je n’aie pas à me baisser car c’était terriblement douloureux et je n’y arrivais pas. De son côté, Yvanie était à peu près dans le même cas que moi.
Le lundi matin, nous nous retrouvâmes toutes deux au petit déjeuner et nous repartîmes vers l’hôpital pour une consutation. Au cours de cette seconde semaine après la greffe, nous fîmes trois voyages vers l’hôpital. Yvanie conduisait courageusement… Tout se passa bien et les semaines suivantes aussi, mais nous ne faisions plus que deux voyages par semaine.
Tous les contrôles sanguins d’Yvanie étaient satisfaisants. Le 14ème jour, une infirmière lui retira les agrafes, et les fils pour moi.
Nous faisions des progrès de jour en jour, et nous retrouvions toute notre autonomie.
La vie était ponctuée par les courses indispensables, les séances de cuisine… et quelques heures de repos.
Au bout de trois semaines, comme convenu, Pierre revint me chercher en voiture.
Mais ce week-end là, je trouvais Yvanie particulièrement fatiguée et abattue par des problèmes administratifs interminables et inextricables avec son entreprise. D’un commun accord avec Pierre, je décidais de rester quelques jours de plus. Je sentis que cela soulageait Yvanie et que ma présence encore prolongée lui faisait du bien.
Le jour de mon départ arriva, et je partis par le train. Yvanie m’accompagna en voiture jusqu’à la gare Montparnasse et ce fut, autant pour elle que pour moi, un moment très poignant.
Je retenais mes larmes tant que je pouvais. Après une grande étreinte, j’empruntais l’escalator en me retournant plusieurs fois. Je voyais ma fille tant aimée rester seule… Que pensait-elle ? Moi je pensais que je l’aimais tant… qu’une nouvelle vie commençait pour elle… une vie qui allait lui paraître incroyablement merveilleuse…
Ce que j’ai fait pour Yvanie est un geste naturel, dicté par l’amour d’une maman envers sa fille.
La maladie dont elle était atteinte me faisait souffrir moralement depuis de nombreuses années car j’en avais toujours mesuré les conséquences et son issue possible sinon probable.
Je n’en parlais pas ou peu car je me sentais incomprise, même au niveau de notre propre famille. Sans doute parce que cette dernière n’avait jamais cru à sa gravité.
Je me suis souvent demandé pourquoi certains êtres sont touchés parmi les autres, sans jamais trouver de réponse sinon “c’est la vie qui a voulu cela”.
Depuis le moment où nous avons eu connaissance de cette maladie, j’ai toujours pensé que je ferai tout pour aider notre fille à mieux vivre cette injustice…
Je savais que je pouvais proposer cette solution de don de rein. Quoi de plus naturel que de partager ma santé avec celle de notre fille qui n’avait pas eu ma chance ?
C’est ce merveilleux espoir qui nous a aidés à surmonter cette épreuve si douloureuse pour notre Yvanie et nous tous.
Il y a tout juste trois mois aujourd’hui qu’Yvanie est greffée et elle va très bien. Elle n’a plus d’hypertension et ne prend plus d’antihypertenseurs.
Ce que je demande à la vie, c’est que celle de notre fille soit préservée et que la Providence veille sur elle.
Ma très profonde reconnaissance s’adresse à tous les médecins qui nous ont prises en charge, depuis la dialyse pour Yvanie , puis pour la greffe, et à tout le personnel soignant. Je ne les oublierai jamais.
Je crois que c’est le plus bel hommage que je puisse leur offrir. Qu’ils continuent tous à exercer un métier aussi noble que celui de venir en aide et de soulager ceux qui souffrent, chacun à des niveaux différents mais complémentaires.
Outre cette Chaîne Humaine qui a réalisé ce miracle pour notre fille, je ne peux m’empêcher de penser combien nous avons la chance de vivre en France avec un régime de sécurité sociale unique au monde. Quelle aurait été l’issue de cette maladie dans un pays ne bénéficiant pas de ce système de protection sociale, ni de structure hospitalière, ni de surcroît, d’équipe médicale… J’en frémis.
Enfin, que tous ceux qui vivent dans l’attente d’une greffe gardent espoir… Les jours heureux et le bonheur reviendront, chacun de nous a son étoile… notre histoire est vraie, nous l’avons vécue… et aujourd’hui, enfin, nous retrouvons tous la joie de vivre. Courage !
1 Commentaire
Jocelyne
Votre histoire m’a beaucoup touché , je suis atteinte d’une polykystose hépato renale depuis ma naissance et j’ai 46 ans , je vais droit vers une greffe également et ça me fait un peu peur mais la fatigue est telle que finallement je l’attends avec impatience .
Merci pour votre témoignage qui me donne du courage
Bien à vous
Clarisse