Opinion – Donner un rein à un proche : égoïsme ou altruisme ?
Par Christian Baudelot
Quel sens ai-je donné à la transplantation de mon rein droit dans le corps d’Olga ?
Difficile de répondre à la question. S’y mêlent en effet plusieurs intentions, lesquelles ont varié avec le temps.
Une chose est sûre, je n’ai jamais eu le sentiment d’inscrire ma décision dans un processus de don d’organe ni de réaliser un acte altruiste. Au départ, il s’agissait pour moi d’un acte égoïste qui me permettait d’échapper au sort auquel avait été condamné mon beau-père par la dialyse de son épouse. Celui d’un aide-soignant malhabile, empêché de voyager et contraint de prendre en charge toutes les tâches ménagères. Je pensais d’abord à moi.
Mais on peut penser cet égoïsme autrement.
Echapper au destin de mon beau-père, c’était aussi pouvoir continuer à mener avec Olga la même vie qu’avant. Ici encore, c’est de l’égoïsme et pas de l’altruisme. Mais un égoïsme à deux. Face à l’adversité, on serre les coudes, on fait face ensemble.
Il y a un bien commun, un bien précieux que nous avions, elle et moi, à cœur de préserver, notre vie à deux et en bonne santé dans toutes ses dimensions : partage des tâches, liberté de déplacements, amour, échanges de toutes sortes et à tous niveaux.
Autre avantage, pour moi décisif. La transplantation me donne la possibilité d’échapper au statut de spectateur impuissant ou d’aide-soignant malhabile auquel avait été condamné mon beau-père. Elle me donne un rôle à jouer, une action à accomplir. J’entre dans la partie et peux contribuer à infléchir le cours du destin. Je passe de l’état de spectateur passif à celui d’acteur. Je peux faire en sorte qu’Olga, et moi par la même occasion, échappions à la malédiction qui frappait les femmes de sa famille et leurs proches depuis des générations. Peu de maladies offrent à un proche l’opportunité de jouer un rôle aussi actif et décisif dans la maladie de l’autre.
Combien de parents ou d’amis d’une personne atteinte d’un cancer souhaiteraient pouvoir bénéficier de cette chance !
« Je ne sais pas ce que je donnerais pour la soulager, la sauver… » disent souvent les proches d’un patient atteint d’un cancer ou du sida. J’avais la chance insigne de pouvoir accomplir ce geste en donnant… un bon coup de rein !
Je possédais une ressource dont elle manquait, je la versais au pot. On mutualisait.
C’est pourquoi la notion de don d’organe ne correspondait pas du tout à la façon dont nous vivions l’aventure. Le terme dont nous usions pour en parler entre nous ou avec d’autres l’indique bien. On a toujours dit « notre greffe », c’est-à-dire une opération commune à laquelle nous participions l’un et l’autre avec des rôles différents mais complémentaires. Au singulier, l’expression englobe nos deux personnes. Elle ne distingue pas la part du donneur de celui du receveur. Il s’agit d’une action commune. Pas d’un don mais d’une mutualisation.
Avec le temps et surtout depuis la mort d’Olga, mon point de vue a changé. J’adhère encore entièrement à cette idée de mutualisation, mais, avec le recul, je suis aussi, à la fois joyeux et fier d’avoir, par cet acte, permis à Olga d’éviter la dialyse et d’avoir pu mener une vie normale pendant seize ans. Certes j’en ai beaucoup profité moi-même aussi, mais j’en suis fier, ce qui n’était pas le cas lorsque nous vivions ensemble.
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