Dialyse, greffe : les patients de moins en moins bien informés pour participer au choix de leur traitement
Notre enquête nationale CHOISIR montre que l’information donnée par les équipes médicales pour permettre aux patients de participer au choix de leur traitement par dialyse ou greffe s’est détériorée depuis 2016.
La majorité des patients se disent mal informés sur la greffe préemptive (avant dialyse) ou le don de rein du vivant. Ils manquent aussi d’explications sur des modalités de dialyse plus efficaces ou plus respectueuses de l’autonomie, comme l’hémodialyse longue ou la dialyse à domicile, qui pourraient améliorer leur qualité de vie.
De nombreux témoignages soulignent un sentiment d’infantilisation, de manque d’écoute, et l’impact très lourd des traitements sur la vie quotidienne, sociale et professionnelle. Faute d’informations suffisantes, deux patients sur trois cherchent des réponses ailleurs, sur internet ou auprès d’associations.
Ces résultats rappellent l’urgence de mieux informer et associer les patients aux décisions médicales, pour leur permettre de choisir réellement le traitement le plus adapté à leur vie.
➡️ Télécharger le rapport de l’enquête CHOISIR
Introduction
Plus de 100.000 patients en France (CNAM) vivent grâce à un traitement de suppléance rénale par dialyse (56%) ou transplantation (44%).
Les données épidémiologiques du registre REIN montrent que les parcours de ces patients sont, depuis plus de deux décennies, caractérisés par un défaut et un retard d’orientation vers la greffe, qui devrait pourtant être la stratégie prioritaire (HAS), et un recours insuffisant aux modalités de dialyse les plus respectueuses de la qualité de vie des patients, en raison de l’autonomie et / ou de la qualité de traitement qu’elles permettent (autodialyse, dialyse à domicile, hémodialyse longue ou fréquente).
La place de l’information et de la participation des patients aux décisions de choix des traitements de suppléance apparaît donc comme un enjeu crucial.
L’enquête nationale CHOISIR explore, du point de vue des patients, leur perception de l’information reçue de leur équipe de soins, et de leur implication dans la décision thérapeutique. Renaloo a déjà réalisé en 2016 une enquête sur ces thématiques, qui permet l’observation des évolutions intervenues depuis lors.
Pourquoi la prise de décision partagée ?
La prise de décision partagée est particulièrement cruciale pour le choix d’un traitement de suppléance rénale par dialyse ou greffe, aux lourdes conséquences sur la vie des patients et sur la suite de leur parcours.
Elle repose sur une information mutuelle entre professionnels de santé et patient.
Elle vise à parvenir à un commun accord sur les décisions prises, prenant en compte à la fois l’expertise scientifique, mais aussi les savoirs et les préférences de la personne malade.
Le droit à la prise de décision partagée est inscrit dans la loi sur le droit des malades du 4 mars 2002, et traduit par l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique, qui établit que « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ».
Patients et méthode
- Étude transversale, descriptive et auto-administrée, menée en ligne entre octobre 2024 et janvier 2025. Le protocole et le questionnaire ont été co-construits par un groupe pluridisciplinaire[1] réunissant patients, médecins et chercheurs en sciences sociales. Le protocole a été enregistré auprès du Health Data Hub et autorisé par la CNIL.
Résultats
- 628 personnes au total, toutes dialysées ou greffées, ont participé. L’âge médian est de 54 ans. Trois des répondants ont 85 ans ou plus.
Le comité scientifique de l’étude a souhaité, en plus des questions fermées, inclure dans le questionnaire des questions ouvertes, afin de recueillir des verbatims. La possibilité de s’exprimer librement a été largement utilisée par les répondants, qui ont aussi saisi l’occasion de cette enquête pour exprimer leur détresse et rappeler à quel point les traitements sont lourds et difficiles. Certains de ces verbatims figurent ci-après.
Parole de participant : « Ce sont des décisions difficiles à prendre, choisir entre deux types de dialyse c’est comme choisir entre la peste ou le cholera »
2016 – 2025 : quelles évolutions pour l’information et la prise de décision partagée des malades du rein ?
Parole de participant : « J’ai eu le sentiment d’être totalement respectée dans mes choix et d’avoir eu les réponses aux questions que je me posais »
Parole de participant : « J’ai un excellent néphrologue qui respecte mes décisions et accepte mes refus de certains traitements ou autre sans problème. C’est une chance ! »
Les résultats semblent montrer une détérioration de l’information dans plusieurs domaines.
Alors que la greffe rénale est le meilleur traitement de la défaillance rénale[2], l’information à son sujet se détériore :
- 58% des répondants sont mal ou pas du tout informés sur la possibilité d’une greffe préemptive (sans passer par la dialyse, option de traitement prioritaire selon la HAS), contre 55% en 2016 (p=0,03)
- 31% sont mal ou pas du tout informés sur la greffe rénale à partir de donneur vivant, contre 28% en 2016 (p=0,03)
- 25% des répondants sont mal ou pas du tout informés sur la greffe rénale à partir de donneur décédé, contre 19% en 2016
Parole de participant : « J’ai subi la dialyse alors que j’avais un donneur vivant compatible un an avant. Le néphrologue a laissé traîner les choses. »
Parole de participant : « Beaucoup d’infos négatives sur la greffe, avec les risques etc. La dialyse est intéressante au point de vue financier dans le privé ! »
Parole de participant : « Proposition d’une seule option, la dialyse péritonéale. Proposition de greffe trop tardive. »
Le défaut d’information concerne aussi les modalités de dialyse autonomes ou permettant une meilleure qualité de traitement :
- 68% des répondants sont mal ou pas du tout informés sur l’intérêt de séances d’hémodialyse plus longues ou plus fréquentes, contre 60% en 2016
- 56% sont mal ou pas du tout informés sur l’hémodialyse à domicile, contre 49% en 2016
- 47% sont mal ou pas du tout informés sur la dialyse péritonéale, contre 41% en 2016
- 70% sont mal ou pas du tout informés sur l’hémodialyse longue nocturne, contre 60% en 2016
Parole de participant : « Sentiment d’être infantilisé par ma néphologue qui, après avoir validé mon projet de dialyse à domicile, semble maintenant tout faire pour me dissuader »
Parole de participant : « Toutes mes tentatives d’être acteur de ma maladie ont été repoussées avec mépris par mes néphrologues »
Parole de participant : « La dialyse à domicile je ne peux pas, je suis célibataire et je vis dans un studio. Moi je veux la greffe »
Malgré le manque d’informations important, 1 patient dialysé sur 5 se dit intéressé par l’hémodialyse à domicile et l’hémodialyse longue nocturne
Parmi les répondants dialysés, 20% souhaiteraient essayer l’hémodialyse à domicile (qui concerne seulement 1,5% des patients selon le registre REIN), 17% souhaiteraient essayer l’hémodialyse quotidienne, et 22% l’hémodialyse longue nocturne (moins de 200 patients en France, REIN 2022).
Parole de participant : « On ne prend pas assez en compte la vie professionnelle, sociale et familiale du patient. Ces 3 questions n’ont jamais été abordées »
Parole de participant : « Intéressée par la dialyse longue de nuit pour retrouver une totale liberté la journée et pouvoir évoluer professionnellement »
De façon notable, moins d’un tiers des répondants a participé à un programme d’éducation thérapeutique du patient.
Parole de participant : « Les ateliers d’éducation thérapeutique ont été une source d’information incroyable et m’ont beaucoup aidé aussi dans la démarche d’acceptation de la maladie »
Face à ces difficultés d’accès à l’information, 64% des patients en recherchent en dehors de leur équipe de soins, principalement sur internet (66%) et auprès d’associations de patients (53%).
Forces et faiblesse de l’étude
Les répondants à l’enquête sont globalement :
- plus jeunes que l’ensemble de la population des patients dialysés ou greffés (âge médian 55 ans contre 66 ans dans le registre REIN).
- plus souvent des femmes (52,5% des répondants, contre 47% dans REIN).
- plus souvent greffés (63% contre 44% dans REIN).
- Enfin, 64% des répondants ont un diplôme de l’enseignement supérieur, ce qui en fait une population d’un niveau social plus élevé que l’ensemble des patients en défaillance rénale.
Ces biais sont importants, mais bien connus : ils s’expliquent en particulier par le mode de recueil sur internet. Mais ils vont dans le sens du renforcement des résultats de l’enquête : on sait que les patients qui n’ont pas participé (plus âgés, plus souvent dialysés, moins éduqués…) sont globalement plus défavorisés vis-à-vis de l’information, de la littératie en santé et de la participation à la décision médicale.
Discussion
Cette étude confirme une participation qui reste insuffisante des patients au choix de leur traitement et un déficit d’information qui semble s’accroître sur les options de traitement les plus efficientes, notamment l’accès précoce à la greffe.
Certains verbatims expriment de façon marquée ce recul, mais aussi la grande dureté de ces traitements et leur impact sur la vie ainsi qu’une relation parfois détériorée entre ces patients et leurs néphrologues.
Parole de participant : « Les néphrologues ne nous parlent pas, ils passent systématiquement par une infirmière pour nous communiquer les changements de traitement »
Parole de participant : « En cas de non-consentement, vous êtes qualifié d’opposant »
Parole de participant : « Un néphrologue qui passe, modifie le traitement sans rien dire à personne et surtout pas au patient. Je n’ai aucune confiance en mes néphrologues »
Parole de participant : « La fatigue, les douleurs liées au drainage en fin de dialyse, je ne dors plus avec mon conjoint car la machine de dialyse péritonéale fait du bruit »
Parole de participant : « Les douleurs neuropathiques, les régimes, je suis stérile, la dépression chronique, l’anxiété, les crampes, les nausées, la grosse fatigue, les vertiges, les chutes de tension, les pertes de connaissance. Je ne peux pas vivre normalement ni avoir un travail »
Parole de participant : « Quand je dors peu pendant mes 7h de dialyse la nuit, réveils à cause de crampes, la machine qui sonne (…) comme je travaille le lendemain c’est parfois compliqué »
Parole de participant : « Je ne supporte plus d’aller en centre. Me lever à 5h, attendre le taxi, subir la dialyse comme si j’étais un bout de pâte à modeler, être épuisé d’avance, ne plus pouvoir travailler, ne plus être autonome en rien »
Parole de participant : « Tout mon temps et mon énergie sont passés à mes soins. J’ai l’impression d’être dans un mouroir »
Conclusion
Ces données apportent un éclairage essentiel pour renforcer la place des choix et préférences des personnes malades du rein aux décisions concernant leurs thérapeutiques. Confirmant l’ensemble des autres données, qu’elles proviennent de l’Assurance Maladie ou des registres, elles montrent des insuffisances dans l’information et l’équité d’accès aux soins pour les patients en défaillance rénale. Le retard dans ces différents domaines, en France, tranche avec les termes des lois, les avancées globales de la démocratie en santé dans d’autres disciplines, et les chiffres observés dans des pays proches du nôtre. Les solutions existent, vertueuses à la fois en termes d’efficience médicale, de qualité des soins et de qualité de vie, d’organisation et d’économie de la santé. Une politique nationale volontariste permettrait de mettre en œuvre les moyens nécessaires.
[1] Christian Baudelot, sociologue, Renaloo ; Dr François Blot, réanimateur, expert en éthique médicale et prise de décision partagée ; Yvanie Caillé, patiente experte, membre du CCNE et de Renaloo ; Manuela Déjean, patiente experte, Renaloo ; Laurent Di Meglio, patient expert, Renaloo ; Magali Léo, responsable de MoiPatient ; Daniela Rojas Castro, spécialiste de la recherche communautaire, responsable scientifique de MoiPatient.
[2] La greffe améliore de façon très importante la qualité et l’espérance de vie par rapport à la dialyse, et elle est aussi beaucoup moins coûteuse. Sur cinq années, un patient dialysé coûte à l’Assurance Maladie 190.000€ de plus qu’un patient greffé du rein. Malgré ces constats, la place de la dialyse en France reste très supérieure à celle observée dans d’autres pays : moins de 45% des patients dont les reins ne fonctionnent plus sont greffés en France, contre environ 55% au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou en Espagne et jusqu’à 70% en Norvège.
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