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Eclairage : quelques précisions sur le plaidoyer de Renaloo autour la répartition des greffons rénaux

Voici quelques jours, Renaloo a saisi le défenseur des droits et alerté le CCNE ainsi que la Ministre de la santé sur le manque d’équité de la répartition des greffons rénaux en France.  Il s’agit d’une préoccupation ancienne de notre association.

Depuis de nombreuses années, nous alertons institutions, professionnels de santé et patients sur le fait que le système d’allocation des greffons n’est, dans notre pays, qu’à moitié juste.

Il se caractérise en effet par un double système de répartition :

  • la moitié des reins prélevés est répartie entre l’ensemble des patients, sur la base raisonnablement juste et efficace d’un score national d’attribution
  • l’autre moitié est attribuée à l’équipe locale, ce qui est par essence injuste et inéquitable sur le plan territorial, car le nombre de greffons offerts diffère entre les équipes. Cette répartition locale est également inefficace, car les objectifs de meilleur appariement par la compatibilité et l’âge ne peuvent s’exercer sur une liste locale restreinte

Nous avons réitéré cette demande de renforcement de l’équité dans nos propositions récentes pour la révision de la loi de bioéthique.

Ce système génère des injustices

La première et la plus visible est la disparité des durées d’attente entre les équipes que nous avons dénoncée, à partir des données issues de l’Agence de la biomédecine.

Il a de plus des effets pervers comme de permettre à certaines équipes de réaliser des greffes préemptives (sans dialyse préalable) à partir de donneurs décédés, ce qui est en pratique impossible pour les grosses équipes.

Enfin, il contribue à “désinciter” les équipes ayant des durées d’attente faible à faire des greffes de donneur vivant préemptives, qui sont minoritaires en France, alors qu’au plan éthique, médical et humain leur développement devrait constituer une priorité.

Ce système de double répartition est complexe, illisible et impossible à expliquer aux patients et au grand public. 

Il est aussi opaque, car des dérogations sur l’attribution du rein local sont possibles, permettant sans contrôle aux équipes de l’attribuer à un patient choisi sur des critères personnels.

La répartition à l’équipe locale pour la moitié des reins prélevés existe en France depuis la création de la répartition par Jean Dausset et France Transplant, en 1969. Sa « sanctuarisation », depuis 2009, a renforcé l’injustice en permettant au rein local de déroger à toutes les priorités, y compris aux priorités nationales, privant ainsi certains patients très difficiles à greffer, hyperimmunisés notamment, de la moitié des offres des rares greffons compatibles.

Nous ne sommes ni les seuls ni les premiers à dénoncer ces manquements à l’éthique

Dès 2011, l’IGAS indiquait que “les règles de répartition sont inappropriées sur le plan sanitaire et éthique et la règle du rein local, supposée motiver les équipes de prélèvement et permettre de limiter la durée d’ischémie froide, conduit à ce que les priorités fixées par arrêté au profit de certains patients ne soient mises en œuvre que pour la moitié des reins prélevés.

En 2012, le Conseil d’Orientation de l’Agence de la biomédecine lui-même concluait : “le rein local contredit les principes d’égalité ou d’équité qui dictent les règles de répartition et d’attribution des greffons. La sanctuarisation d’un des deux reins favorise certains centres de transplantation (…). Il est incompréhensible, voire inacceptable pour des non médecins et même pour les associations de malades.

L’amélioration de l’équité des règles de répartition et la levée de la sanctuarisation du rein local ont fait partie des propositions des États Généraux du Rein (EGR), organisés par Renaloo en 2012 et 2013. Une autre réclamait que les patients et leurs associations soient enfin associés aux groupes de travail de l’Agence de la biomédecine, notamment à celui consacré aux évolutions des règles de répartition.

La mobilisation autour des EGR a notamment permis la sensibilisation des médias, avec en particulier la publication en septembre 2013 de l’article du Parisien « Greffes du rein : un scandale inexcusable », qui soulignait le rôle délétère du rein local.

Enfin, de nombreux professionnels se joignent à Renaloo pour dénoncer cette situation injuste qui perdure depuis bien trop longtemps.

Des évolutions positives, mais qui restent insuffisantes 

Suite à ces différentes initiatives, l’AbM a proposé une évolution de la répartition, homogénéisant les scores d’attribution régionaux, dont les critères variaient selon les régions, pour instituer un score national unique, avec les objectifs suivants :

  • Augmenter le taux d’accès à la greffe et optimiser l’appariement donneur-receveur en âge et en HLA pour les adultes jeunes (qui étaient jusque-là très défavorisés, avec des durées d’attente largement supérieures à celles de leurs ainés)
  • Donner aux patients plus âgés un accès aussi rapide que possible à des greffons prélevés dans la proximité, bien appariés en âge, mais avec une moindre considération pour l’appariement HLA

Ce score national unique, mis en œuvre en février 2015, a constitué un progrès substantiel, à mettre au crédit de l’AbM, malgré l’absence de toute évolution concernant le rein local. Cet immobilisme est probablement en grande partie lié à la difficulté de dialogue avec certaines équipes.

Son évaluation montre qu’il a beaucoup amélioré au plan national l’accès à la greffe des adultes jeunes, mais l’AbM a également souligné que “l’attribution locale a peu de chance de pouvoir optimiser l’attribution sur de multiples critères, du fait du nombre limité de candidats en liste d’attente sur les listes locales quand un greffon est disponible”.

Par ailleurs, les demandes répétées de Renaloo de participer aux travaux relatifs aux évolutions des règles de répartition aux cotés des professionnels n’ont pas été retenues. En revanche, l’AbM a proposé le principe d’une information des associations de patients sur ces évolutions et sur leurs résultats, a posteriori des décisions. Nous avons exprimé notre désaccord avec cette modalité de “collaboration”, bien éloignée des principes de co-construction avec les usagers et de la démocratie sanitaire.

Nos réponses aux arguments avancés pour justifier le rein local

L’intérêt des médias pour ce dossier a permis à différentes équipes de greffe et à l’AbM de s’exprimer sur leurs positions dans plusieurs articles.

On note que l’AbM admet que le défaut d’équité est une réalité. Ainsi, dans Ouest France du 19 juin 2018, le professeur Olivier Bastien, directeur de prélèvement de l’AbM, a assuré que ce “sujet majeur” faisait bien partie des “préoccupations”. “Nous avons mis en place un système par score, calculé selon la compatibilité, les critères d’âge (…). Des progrès sont nécessaires. Nous continuons à tout faire pour l’améliorer.

En synthèse, 4 arguments principaux sont évoqués pour justifier le maintien du rein local :

1. Le fait que les iniquité ne sont pas liées uniquement à la répartition des greffons, mais aussi à l’hétérogénéité de l’accès à la liste d’attente

Les freins à l’inscription sur la liste d’attente de greffe sont malheureusement une réalité et une injustice très importante pour les patients, désormais bien documentée. Notre association a du reste d’ores et déjà mené de nombreuses actions pour les dénoncer et entend se positionner à nouveau sur ce sujet dans les prochains mois. Les enjeux éthiques de cette problématique sont considérables et mériteraient d’être envisagés dans le contexte de la révision de la loi de bioéthique.

Les retards d’inscription observés plus particulièrement dans certaines régions correspondent à de mauvaises pratiques médicales et vont directement à l’encontre des recommandations internationales et nationales.

La HAS préconise en effet que l’inscription sur la liste d’attente soit réalisée 12 à 18 mois avant le début prévisible de la dialyse.
Dans les faits :

  • seulement 5,3% (3274) des 61 234 patients ayant démarré la dialyse entre 2011 et 2016 étaient inscrits sur la liste nationale d’attente au démarrage de la dialyse (inscription préemptive).
  • la moitié des patients dialysés de moins de 60 ans (pour lesquels les contrindications à la greffe sont rares) ne sont toujours pas inscrits 17 mois après avoir démarré la dialyse.

Il existe donc un décalage de près de deux ans et demi entre les recommandations (-12 mois avant dialyse) et les pratiques (+17 mois après dialyse), pour les patients les plus jeunes. Au-delà de 60 ans, l’accès à la liste d’attente devient encore plus faible et complexe.

Ce temps perdu dans l’accès à la liste (et donc à la greffe) entraîne des pertes de chances considérables, au plan humain (qualité de vie, perte d’emploi, etc.), mais aussi médical. De fait, plus la période d’attente en dialyse s’allonge, moins grandes sont les chances de succès de la greffe à venir. Il représente aussi un surcoût considérable pour le système de santé.

Il nous semble singulier, au plan éthique comme à celui de la santé publique, que les règles de répartition des greffons puissent être utilisées pour “masquer” ou pour “compenser” les effets des retards d’inscription sur la liste d’attente, en utilisant comme variable d’ajustement les durées d’attente de greffe.

C’est d’autant plus surprenant que dans le même temps, une grande opacité est maintenue sur les données d’accès à la liste d’attente par structure de dialyse. Seules les données par régions sont accessibles, elles confirment la très grande diversité des pratiques : le pourcentage de patients de moins de 60 ans inscrits au bout de 5 ans de dialyse varie de moins de 55% dans le Nord Pas de Calais à plus de 80% en Ile-de-France…

2. Le soucis de réduire les temps de transport et donc d’ischémie des greffons

L’ischémie froide constitue un facteur important pour la longévité de la greffe. Sa réduction est donc un objectif primordial.

Le score comporte un critère de distance entre le lieu du prélèvement et de la greffe, qui vise à limiter les temps de transports.

En France, en 2016, la durée moyenne d’ischémie était de 16,6h, en diminution de près de 3h en 10 ans.

Pour les reins greffés localement, cette durée est passée de 17,8 à 14,4h sur la même période. Elle demeure très variable d’une équipe à une autre (11h à 18h). Si l’ischémie des reins locaux est inférieure à celle de ceux distribués au national, la différence reste néanmoins faible.

Enfin, la distance entre le prélèvement et la greffe n’est pas le principal facteur expliquant les durées d’ischémie, qui dépendent largement de l’organisation locale de la greffe, comme le montre leur variabilité en fonction des équipes : disponibilité des blocs et des personnels, possibilité ou non de réaliser les greffes la nuit, etc. De nombreuses équipes, comme cela se fait pour les autres organes greffés, pourraient raccourcir cette durée, en priorisant la greffe par rapport à d’autres activités chirurgicales.

3. La crainte d’une démotivation des équipes de prélèvement si le rein local était supprimé

Cet argument semble contestable. La dissociation entre activités de prélèvement et de greffe est un impératif posé par la loi de bioéthique de 1994. Une trop grande proximité entre équipes de réanimation (en charge des donneurs) et équipes de greffe peut en outre faire peser un risque de tensions, voire de conflit d’intérêts.

L’unique maillon commun de la chaîne du prélèvement à la greffe sont les équipes chirurgicales. Comment peut-on imaginer que ces hommes et ces femmes engagés au quotidien pour sauver des vies puissent être “démotivés” à l’idée que le rein qu’ils vont prélever puisse être destiné à un patient d’une autre région ?

4. Le fait que certaines zones géographiques ont de faibles activités de prélèvement

C’est par exemple le cas de l’Ile de France, où le profil de la population est différent : moins d’AVC, donc moins de situations de mort encéphalique, un taux de refus plus élevé, etc.

Il reste essentiel que des actions concrètes soient mises en oeuvre afin d’améliorer les taux de prélèvement chaque fois que c’est possible, par un meilleur recensement, la formation et la professionalisation des équipes de coordination, etc.

Mais ce n’est en aucun cas aux patients de payer le prix de particularités locales défavorables au don d’organes ou d’une mauvaise organisation du prélèvement.

Ce que nous demandons

Nous reconnaissons la complexité du problème, mais au bout du compte, le système français, fondé sur un double système de répartition, avec à la fois un score d’attribution au patient (juste) pour la moitié des reins, et une répartition à l’équipe locale (injuste) pour l’autre moitié, n’est pas éthique.

Il doit évoluer vers davantage d’équité et de transparence.

En tout état de cause, nous sommes pleinement conscients qu’une suppression brutale du rein local ferait courir le risque d’une diminution importante de l’activité de greffe de certaines équipes.

Pour cette raison, nous demandons que le principe de la sanctuarisation du rein local soit d’abord aboli, mesure très simple, et qu’un processus plus ambitieux et naturellement plus long soit enclenché pour aller vers une répartition nationale de la totalité des organes aux patients. Ce processus prendra le temps nécessaire, mais ne devra pas excéder deux années.

Ce système national de répartition au patient peut être équilibré pour préserver l’activité des équipes, en introduisant dans le score, ce qui est déjà le cas pour le rein “national”, des points de proximité, qui évitent la circulation excessive des organes.

Le système de points peut (et doit) être ajusté en permanence, comme c’est le cas dans la zone Eurotransplant, qui depuis plus de 20 ans répartit les organes de manière équitable dans 8 pays Européens ; Les preuves ont été apportées de sa grande efficacité, ce qui a permis d’éteindre toutes les polémiques le concernant.

Cette mise en œuvre progressive doit aussi conduire les équipes dont l’activité diminuerait à s’engager plus résolument vers une diversification des sources de greffons utilisées : à partir de donneurs vivants, prélevés sur des donneurs à cœur arrêté, à critères élargis, etc.

La réflexion doit également intégrer les autres motifs d’iniquité dans l’accès à la greffe : accès à la liste d’attente, recours au dispositif de contre-indications temporaires, conditions des inscriptions préemptives, hétérogénéité régionale des prélèvements, notamment.

Enfin, cette réforme doit permettre de formaliser le processus d’élaboration et de modification permanente des règles de répartition par l’AbM, actuellement opaque et informel. Elle doit bien entendu introduire l’obligation de participation effective des associations de patients à toutes les étapes de ce processus.

La suppression du rein local ne doit en aucun cas avoir pour conséquence une restriction de l’accès à la greffe rénale. Au contraire, il doit conduire à un accès à la greffe plus juste et plus transparent, mais aussi s’inscrire clairement dans une démarche structurée, efficace et solidaire de lutte contre la pénurie d’organes.

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