Les greffes de visage font grimacer le comité d’éthique
4 mars 2004, Libération
Le CCNE a rendu un avis négatif sur de telles interventions.
«Il est rare que des situations chirurgicales présentent un point de non-retour aussi dramatique.» Le Comité consultatif national d’éthique n non tranché, avec une multitude d’arguments à l’appui. Hier, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu un avis particulièrement attendu sur les greffes de visage. Il avait été saisi le 19 février 2002 sur la question par Laurent Lantieri, chirurgien à l’hôpital Henri-Mondor (Libération d’hier). Celui-ci se dit techniquement prêt à greffer, sur des patients défigurés, des tissus prélevés sur des personnes en état de mort cérébrale. Pour aider des grands brûlés, victimes de cancer de la face ou touchés par balle, à retrouver un visage.
«Monsieur Lantieri a eu la remarquable initiative de solliciter le comité d’éthique avant de se lancer dans cette opération», a souligné Monique Canto-Sperber, responsable du groupe de travail. Avant de justifier un refus formel des greffes totales, et réservé sur «les greffes partielles de la face, comme la greffe de menton». Trop de risques, s’est justifié le CCNE.
D’abord, faute d’informations précises à fournir au patient, «aucun consentement ne peut être obtenu», note le comité. Ensuite, à cause des dangers liés aux traitements immunosuppresseurs : «Pour améliorer la qualité de vie du patient, on commencerait par la détériorer. Peut-on en connaissance de cause proposer au patient une perspective thérapeutique qui allège son handicap, mais le rende malade alors qu’il ne l’était pas ?» se demandent les sages. Puis, le risque d’échec, «considérable». En cas de rejet de la greffe, «il faudrait accepter un résultat final bien plus mauvais que l’état dans lequel était le patient avant. […] Il est rare que des situations chirurgicales présentent un point de non-retour aussi dramatique». Le CCNE craint également l’apparition de difficultés psychologiques importantes : la personne greffée «peut accepter ce visage. Mais elle peut aussi le refuser». Et «rien ne permet d’informer le patient sur ce que serait son visage après l’opération», relève Monique Canto-Sperber.
De plus, pas de greffe sans donneur. Or, «dans la mesure où il est déjà difficile d’obtenir un accord pour le prélèvement d’un organe intérieur, il y a tout lieu de penser qu’une telle demande concernant le visage rencontrera un refus quasi général». Enfin, le CCNE s’interroge sur les réelles motivations de cette intervention. «La demande des médecins pour la voir réalisée ou pour la réaliser eux-mêmes est certaine. Mais elle ne doit en aucun cas se substituer à la demande réelle des personnes défigurées.» En France, actuellement, un seul patient serait candidat.
Par Sandrine CABUT et Julie LASTERADE