La position des politiques
Malgré l'apparent consensus en faveur d'un élargissement du cadre de ce type de transplantation, Jean-François Mattei, nouveau ministre de la santé, interrogé sur le sujet en juin 2002 par le Figaro (à l'occasion de la journée nationale pour le don d'organes), exprimait ses réticences et a souhaité que le développement des prélèvements sur donneurs décédés lui soit préféré.
Il a confirmé sa position lors de son discours lors du colloque franco-allemand sur le prélèvement et la greffe, le 23 juin 2002 à Strasbourg.
Extrait de l'article de Jean-Yves Nau, paru dans Le Monde du 25 juin 2002
Paris et Berlin mettent en garde contre la commercialisation des organes humains
Les délicates questions relatives à la transplantation – celles de la définition de la "mort cérébrale", du consentement des donneurs, de l'équité dans la répartition des greffons ou du prélèvement chez les donneurs vivants – étaient au centre du colloque franco-allemand "sur les prélèvements et les greffes" organisé par les deux pays, lundi 24 juin, à Strasbourg.
Si, depuis deux décennies, l'efficacité thérapeutique de la transplantation d'organes et de tissus humains n'est plus à démontrer, le développement de cette activité médico-chirurgicale se heurte toujours, de manière récurrente, à la pénurie des greffons disponibles.
Faut-il dès lors encourager la pratique des prélèvements d'organes sur des donneurs vivants – pratique qui connaît un fort développement aux Etats-Unis ?
Le professeur Jean-François Mattei, ministre français de la santé, de la famille et des personnes handicapés, tout comme Gudrun Schaich-Walch, secrétaire d'Etat fédéral allemand à la santé, ont rappelé à Strasbourg que cela expose à un risque majeur : celui de la commercialisation des organes humains.
"NE PAS CÉDER À LA FACILITÉ"
En France comme en Allemagne, les dispositions législatives en la matière sont très restrictives. Elles n'autorisent le prélèvement (d'un rein ou d'une fraction du foie) que chez les conjoints, les concubins ou les apparentés du premier degré des patients. Une extension de ce "cercle des donneurs" est prévue dans le protocole additionnel de la convention d'Oviedo du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la bioéthique. Cette extension a été discutée il y a quelques semaines en France lors de l'examen, en première lecture à l'Assemblée nationale, du projet de révision des lois de bioéthique de 1994. Rien, pour autant, n'est acquis.
"Nous ne devons pas, dans ce domaine comme dans d'autres relevant de la bioéthique, céder à la facilité, a souligné à Strasbourg M. Mattei. Il est certes plus facile d'obtenir un consentement assuré pour le don d'organe chez les vivants que perfectionner notre système de prélèvement chez les morts.
Mais nous ne pouvons pas envisager d'élargir le nombre des donneurs vivants avant d'avoir tout fait pour développer le prélèvement chez les personnes décédées.
Didier Houssin, directeur de l'EFG, indiquait peu après que ses contacts à ce sujet avec Monsieur Mattei lui laissaient à penser que la volonté du ministre n'était pas réellement de mettre un frein à ce type de greffes, mais d'assurer un contrôle optimal afin d'éviter tout débordement.
Note de la rédaction : Au niveau de la prise de risque par le donneur, la situation pour les différents organes qui peuvent être prélevés chez des vivants n'est malheureusement pas comparable. Par exemple, pour le foie, le risque de mortalité s'élève à 1% (contre 0.03% pour le rein)… Voir l'article des indications limitées pour les greffes hépathiques à partir de donneurs vivants.
On peut regretter qu'un amalgame soit fait malgré tout au niveau législatif et que cet argument soit régulièrement avancé comme un frein aux greffes à partir de donneur vivant. Il semblerait légitime que les pratiques soient différentiées en fonction de l'organe concerné.
En décembre 2002, Jean-François Mattéi dévoilait les positions du gouvernement sur le projet de loi relatif à la bioéthique lors d'une audition au sénat.
Évoquant la question du don d’organes et le grave problème posé par le déficit en greffons, M. Jean-François Mattei a estimé que le texte adopté en janvier dernier par l’Assemblée nationale choisissait de répondre par la facilité en élargissant sans précaution le champ des donneurs vivants aux personnes ayant « un lien étroit et stable » avec le receveur.
Il a jugé qu’eu égard aux risques inhérents à ces prélèvements, il convenait au contraire de rendre pleinement effectif le régime actuel de consentement présumé des personnes décédées, notamment par une politique d’information plus active.
Il a souhaité que la liste des donneurs vivants d’organes ne soit élargie qu’à des personnes limitativement énumérées, afin de prévenir toute dérive commerciale et toute forme de pression sur les donneurs potentiels.