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Le médiocre bilan de la protection des immunodéprimés contre le Covid

En synthèse

✅ Les patients dialysés et greffés font partie des populations « ultra-vulnérables » vis-à-vis du Covid. Sévèrement immunodéprimés, souvent mal protégés par la vaccination, ils restent à très haut risque de forme grave et de décès.

La France a été pionnière au plan mondial pour élaborer de façon précoce des stratégies de protection pour ces patients, diffuser largement les recommandations correspondantes et mettre à disposition les produits.

Pourtant, à l’heure où les contraintes sanitaire s’allègent et où l’obligation de port du masque dans les lieux clos est levée, nous dénonçons la mise en œuvre très limitée de ces mesures, conduisant à ce que de trop nombreux patients restent sans protection, en danger, et condamnés à une vie d’isolement et d’angoisse.

  • Bien qu’ils soient « ultra-prioritaires » pour la vaccination, les patients dialysés et greffés sont bien moins nombreux (<68%) à avoir reçu leur premier rappel vaccinal que la population générale de plus 40 ans (>80%). Ce rappel est pourtant crucial pour protéger contre les formes graves de Covid.
  • Plus de 3 patients transplantés rénaux sur 4 mal protégés par la vaccination n’ont toujours pas reçu la prophylaxie par Evusheld, pourtant recommandée et disponible depuis mi-décembre 2021. De plus, le nombre de patients traités chaque semaine en France est désormais en forte diminution. 
  • L’accès aux traitements curatifs du covid (Xevudy, Paxlovid) pour l’ensemble des patients vulnérables contaminés reste extrêmement limité (respectivement 4.000 et 1.500 patients traités sur toute la France au 25 février 2022).
  • Que ce soit pour les rappels vaccinaux ou pour les traitements préventifs et curatifs, de très importantes disparités d’accès existent selon les régions et les établissements.

La mise en œuvre de ces stratégies de protection se heurte notamment au défaut d’engagement ou au refus de certains établissements et / ou des prescripteurs, ainsi qu’à la mauvaise information des patients.

Les conséquences de ces refus de soins sont lourdes pour le système de santé, participent à la surcharge Covid des hôpitaux, et surtout peuvent être dramatiques pour les patients qui en sont les victimes.

Entre le 1er décembre 2021 et le 18 janvier 2022, 34,5% des patients hospitalisés en réanimation pour Omicron sur l’ensemble de l’APHP étaient immunodéprimés. La mortalité observée avec Omicron y était analogue à celle de Delta.

Depuis août 2021, date de mise à disposition du premier traitement prophylactique (Ronapreve), 570 patients dialysés ou greffés en France sont décédés du Covid, dont plus de 300 depuis l’arrivée d’Evusheld mi-décembre 2021 (données provisoires, sans doute amenées à être revues à la hausse).

✅ Une partie de ces décès auraient sans doute pu être évitée si ces patients avaient été mieux vaccinés et si les traitements préventifs et curatifs avaient été d’avantage utilisés.

Pour les patients dialysés et greffés, comme pour l’ensemble des immunodéprimés sévères, la diminution de la gravité du variant Omicron est toute relative et la pandémie n’est pas terminée. Il est essentiel qu’ils puissent enfin accéder à la protection adaptée à leur situation, qui pour eux reste vitale.

✅ Les patients immunodéprimés sévères ont été éligibles à un premier rappel vaccinal dès septembre 2021 et à un deuxième rappel dès janvier 2022.

Ces rappels sont cruciaux pour assurer une protection contre les formes graves de Covid des patients ayant développé une réponse vaccinale, même faible, au schéma de primo-vaccination.

Alors que ces patients sont très favorables à la vaccination Covid, au 30 janvier 2022, selon les données de l’Assurance Maladie, seulement 68% des patients dialysés et 60% des patients transplantés éligibles avaient reçu un premier rappel.

✅ Ces patients qui sont parmi les plus à risque de Covid sont donc moins bien vaccinés que la population générale de plus de 40 ans, dont plus de 80% a reçu ce rappel.

De plus, il existe de très importantes disparités régionales. Par exemple, seulement 25% des patients dialysés ont reçu leur premier rappel dans les Alpes-de-Haute-Provence, contre 90% en Ile et Vilaine… 83% des greffés rénaux ont reçu leur premier rappel en Ile et Vilaine, mais seulement 31% dans l’Ariège.

Sur le terrain, les patients témoignent des nombreux freins rencontrés pour recevoir ce rappel : mauvaises informations, méconnaissance ou dénigrement des recommandations par certains soignants, discours rassuriste, refus de prescription des sérologies (pas de sérologie = pas de rappel…), refus de réaliser l’injection durant la dialyse, où ils se rendent pourtant trois fois par semaine, difficultés de prise en charge en centre de vaccination où les spécificités liées au schéma vaccinal des immunodéprimés restent souvent mal connues, etc.

Les données relatives au 2e rappel ne sont pour le moment pas disponibles, mais on peut craindre la situation ne soit pas brillante.

Pour les patients ayant une réponse insuffisante à la vaccination, le recours à un traitement préventif par Evusheld est recommandé et le médicament est disponible sur tout le territoire depuis mi décembre 2021.

Pourtant, l’accès à ce médicament reste extrêmement difficile.

  • A ce jour, 15.000 patients immunodéprimés seulement en France ont pu bénéficier d’Evusheld.
  • Environ 50% des doses administrées l’ont été à des greffés rénaux, qui sont parmi les plus à risque. Or, le nombre estimé de candidats dans cette population est d’au moins 30.000.
  • Près de trois mois après sa mise à disposition, les trois quarts des patients transplantés rénaux pour lesquels ce traitement est nécessaire n’en bénéficient toujours pas.

✅ Là aussi, il existe de considérables inégalités sur le territoire.

  • Très peu de doses d’Evusheld ont à ce jour été administrées dans certains CHU, notamment à l’Hôpital Saint-Louis à Paris (qui nous informe que le traitement des patients transplantés rénaux a débuté), au CHU de Rennes, au CHU de Caen, au CHU de Nice, etc, 
  • C’est également le cas plus largement dans certaines régions, comme les Haut-de-France, la Bretagne ou le centre-Val-de-Loire, sans parler de l’Outre-Mer.

Données ANSM

Qui plus est, après un pic au-delà de 2.500 doses par semaine mi-janvier, le rythme d’administration diminue fortement.

Seulement un millier de patients ont été traités en France entre le 14 et le 20 février et il est à craindre que cette dégradation de l’accès se poursuive.  

Données ANSM

✅ Au rythme actuel, et sans prendre en compte la nécessité de renouveler l’administration tous les 6 mois, il faudrait près d’un an pour traiter tous les greffés rénaux qui en ont besoin.

Le recours aux traitements curatifs, pour les patients contaminés, est également très insuffisant : alors qu’ils sont accessibles depuis début 2022, seulement 4.257 traitements par Xevudy et 1.500 par Paxlovid ont été administrés en France.

Rappelons que contrairement à Evusheld, ces traitements sont recommandés pour toutes les personnes vulnérables (âge, comorbidités…).

Là aussi les témoignages se succèdent de patients dialysés ou greffés contaminés qui ne se voient pas proposer, voire à qui on refuse la prescription de ces traitements.

La moindre gravité d’Omicron justifie-t-elle la moindre protection des patients immunodéprimés ?

Si elle est désormais bien démontrée dans la population générale, les choses sont moins claires pour les patients immunodéprimés, qui partaient de toute façon d’un niveau de risque très élevé.

  • Depuis décembre, de nombreux services de réanimation donnent l’alerte dans les médias sur la proportion importante de patients immunodéprimés, notamment greffés, en soins critiques.
  • Une étude en preprint réalisée sur les 39 hôpitaux de l’APHP entre le 1er décembre 2021 et le 18 janvier 2022 montre que 34,5% des patients hospitalisés en réanimation pour Omicron étaient immunodéprimés, un taux très supérieur à celui observé pour ceux atteints du variant delta (14,8%). Les auteurs concluent sur l’absence de différence entre la mortalité liée à delta et celle liée à Omicron pour les patients en réanimation.
  • Selon les données de l’Agence de la biomédecine, depuis mi-décembre 2021 (date de mise à disposition d’Evusheld), 1602 patients transplantés et 3119 patients dialysés ont été contaminés. Respectivement 126 et 178 d’entre eux sont décédés.
  • depuis début aout 2021 (date de mise à disposition de Ronapreve), 2450 patients transplantés et 3974 patients dialysés ont été contaminés. Respectivement 222 et 346 d’entre eux sont décédés.

✅ 570 morts qui auraient pu (ou dû ?) être au moins en partie évitées, si les traitements préventifs et curatifs avaient été d’avantage utilisés.

Leur nombre est du reste probablement largement sous-estimé : L’AbM insiste sur les difficultés de recueil et sur les incertitudes sur leur exactitude, tandis que beaucoup d’équipes confirment l’impossibilité de réaliser un suivi exhaustif tant les contaminations liées à Omicron ont été nombreuses. De plus, les décès surviennent souvent plusieurs semaines après la contamination, le véritable bilan de cette 5e vague est encore incomplet.
Enfin, il ne prend en compte ni les séquelles, ni les Covid longs pour les patients qui survivent au virus.

Comment expliquer ces constats ?

Certaines équipes de dialyse et de greffe ont su se mobiliser fortement pour donner les meilleures chances à leurs patients, qu’elles en soient remerciées !

Mais cette situation n’est malheureusement pas généralisée. Comme cela avait déjà été observé pour Ronapreve à l’automne dernier, les freins restent nombreux : manque de moyens, de soutien institutionnel, de conviction, de motivation, plaintes autour de la complexité des process, doutes sur l’intérêt de cette protection… 

Après deux ans de crise sanitaire, beaucoup d’équipes de greffe considèrent toujours être dans l’incapacité de contacter leurs patients, faute de disposer de leurs coordonnées.

Pour les rappels, comme pour les traitements, les recommandations sont pourtant claires, étayées, ont été largement diffusées, les doses sont disponibles, la demande des malades est forte et leur détresse est immense.

De fait, ne pas prescrire ce traitement alors qu’il est recommandé n’a de conséquences que pour les patients qui ne le reçoivent pas, et sont laissés sans protection.

Comme souvent, ceux qui mettent le plus d’énergie à réclamer le traitement ont les meilleures chances de le recevoir. Les autres, moins informés, moins entourés, plus vulnérables, sont laissés au bord du chemin.

Et du côté des pouvoirs publics ?

Les agences comme l’ANSM et la HAS ont su se mobiliser pour accélérer les prises de décisions. L’ANSM, à la demande des associations, publie désormais chaque semaine les données d’administration sur les différents traitements. Le conseil d’orientation de la stratégie vaccinale et le conseil scientifique ont produit plusieurs avis, montrant leur engagement.

Cependant, tout n’a pas été tenté par l’Etat. Par exemple, l’option d’externaliser l’administration des anticorps monoclonaux dans des centres mutualisés, en dehors des services spécialisés, n’a pas été retenue. Ce modèle montre pourtant son efficacité dans d’autres pays, mais aussi en Alsace, où il a été mis en place à l’initiative des professionnels avec l’appui de l’ARS.

Les conseillers du Ministre de la Santé, avec lesquels nous sommes très régulièrement en contact, expriment clairement leur déception face aux mauvais résultats observés. Pour autant et à ce jour, aucune prise de parole forte du Ministre pour les déplorer et appeler à une plus grande mobilisation n’a eu lieu. 

✅ Comme depuis le début de la crise, Renaloo continue de se battre au quotidien pour l’intérêt des patients et en particulier pour qu’ils obtiennent tous la protection dont ils ont tant besoin. 

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