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Les mains propres ? Position de Renaloo sur la participation des soignants à l’aide médicale à mourir.

📍 Alors que France Assos Santé vient de remettre son rapport sur l’accompagnement des fins de vie, auquel Renaloo a participé, à la ministre Agnès Firmin Le Bodo, nous publions notre plaidoyer sur l’aide active à mourir.

Puisqu’il semble acquis qu’une loi sur l’aide active à mourir va voir le jour, Renaloo souhaite alerter sur les risques qu’il y aurait à ce que la participation des soignants en soit écartée.

Nous, patients atteints de maladies rénales chroniques, tenons à prendre part à ce débat dont nous sommes à ce jour exclus.

Nos espérances de vie sont profondément diminuées. Parce que nous connaissons par cœur le système de soin, sa grandeur et ses fragilités, c’est notre droit d’être inquiets de ce qui nous attend, et d’un abandon annoncé, dans l’hypothèse où nous souhaiterions être aidés à abréger, en toute conscience, une existence devenue trop douloureuse pour continuer à être vécue.

Dans le « Manifeste des treize », repris en « une » du Figaro, en février 2023, 13 organisations qui considèrent représenter 800 000 soignants[1] déclarent refuser toute participation à l’aide active à mourir en cas de légalisation.

Elles disent refuser une réponse simpliste à un problème complexe, où demandes de vie et de mort sont intimement mêlées*. Oui, ambivalence, fluctuation et incertitude sont bien présentes, et c’est l’honneur d’un soignant de sonder les volontés profondes. Hippocrate bafoué, elles craignent de transformer un métier dont l’intention première est le confort et l’apaisement, en volonté de tuer*. elles admettent qu’une personne veuille se suicider, mais ne voient pas au nom de quoi leurs adhérents devraient l’y aider. Un message insoutenable serait donné aux personnes âgées*, avec le poids du sentiment d’inutilité, de fardeau et de regard d’exclusion sociale. Elles redoutent de discriminer les patients, entre éligibles ou non*. Elles considèrent que le message de non-abandon des plus vulnérables* serait inversé.

On pourrait taxer ces organisations d’être drapées de paternalisme, objets d’influence religieuse, inquiètes d’un pouvoir perdu… Mais le problème est ailleurs : nous ne doutons pas que les praticiens des soins palliatifs soient humanistes et altruistes, nous savons qu’ils se dépensent sans compter, assument le défi de l’agonie, font les gardes et les nuits.

Nos demandes de patients, de citoyens, sont là, aussi.

Nous bénéficions du progrès fabuleux de la science. La plupart de celles et ceux qui tiennent cette plume lui doivent d’être encore en vie. Mais il peut aussi conduire à une médicalisation telle qu’il réduit le soin en technique, le malade en objet, le dépossède de ses valeurs. Au point parfois de le conduire à souhaiter abréger un parcours devenu insupportable, à force d’être interminablement maintenu en survie.

Car non, nous ne sommes pas qu’ambivalence, humeur changeante, indécision.

Delphine a mis fin à sa dialyse, et est allée au bout de son agonie. Les exemples dépassent de loin le champ des maladies rénales. Malgré tous les bons soins, Anne Bert aimait trop la vie pour se laisser mourir[2] . Nulle fluctuation, nulle incertitude. Paulette Guinchard n’a pas davantage hésité, ou si elle l’a fait, elle a enfin décidé et agi en conscience. Lysiane Palmieri, que ses métastases briseraient tôt ou tard, savait qu’elle ne finirait pas clouée au lit. Paralysés, Ramón Sampedro et Vincent Humbert sont morts dans l’illégalité ; Federico Carboni a dû activer une machine spécialement conçue et financée par des dons. Les proches de Terri Schiavo et Eluana Englaro ont bataillé pour faire entendre leurs voix. Alain Cocq n’a pas voulu prolonger 35 années de douleur.

Bien sûr, on peut ingurgiter médicaments et whisky, seul la nuit, se jeter par la fenêtre ou sous le métro. On peut aussi avaler toute sa boîte de morphine, de somnifère, d’antidépresseur.

Les 13 considèrent que prendre en compte ces demandes ne relève pas du soin. Autrement dit, au pays, s’il légifère : laissez le monde du soin à l’écart de toute implication dans une forme de mort administrée*.

Valium, métro, whisky, vide…

Comment réparer une telle déchirure ?

D’un côté une demande de patients : choisir sa mort, son heure.

De l’autre une vision médicale : cela ne passera pas par nous.

Changeant de point de vue, la même action passe de sollicitude à assassinat. Le second dit au premier qu’il ne l’accompagnera pas dans une aide à mourir, fût-elle légale.

Ce droit de retrait a une conséquence : excluant l’euthanasie, toujours médicale, ne resterait que le suicide assisté, selon le modèle suisse (organisé par des associations), ou de l’Oregon (prescription du produit, absorption souvent solitaire). Pourtant, le médecin aurait dans les deux cas à statuer sur la demande, puis à prescrire la molécule.

Pour le soignant, la violence diffère-t-elle fondamentalement entre prescrire la mort et la donner ? Les 13 rappellent que tout pays ayant légalisé une forme de mort administrée a inséré dans le processus la participation d’un soignant*; il est donc impensable que l’examen des demandes n’incombe pas, au moins en partie, au médecin. Sans doute une collégialité élargie, citoyenne, rendrait-elle alors au processus une dimension autant sociétale que médicale.

Reste l’accomplissement de l’acte. Une personne devant recevoir une aide active à mourir ne croiserait donc plus aucun soignant ? Quid alors du pharmacien qui délivre le produit, de l’infirmier qui pose la perfusion ? L’acte d’aider à mourir relèverait, lit-on, de la malfaisance[3]. Laisser se débrouiller le suicidant en le confiant aux seules mains de bénévoles ou de proches, lui tourner le dos, et avec lui au soutien inconditionnel dû à toute détresse, est-ce vraiment bienfaisant ? En Oregon, la personne met jusqu’à 24 heures pour mourir, seule une fois sur deux.
Est-ce de cette fraternité que nous voulons ?

Oui, la violence est extrême de vouloir mourir, comme d’y aider.

Oui, la vocation médicale est de soulager, accompagner, traiter, et à ce jour cela n’incluait pas d’abréger la vie. Jusqu’à ce que la médecine fasse de tels progrès qu’elle soit désormais en mesure de nous maintenir, parfois, en insupportable survie. Le rôle du médecin, au service de la société, change avec elle. Pas sa sollicitude.
Jusqu’en 1975, une femme pour avorter le faisait clandestinement, ou bien elle s’exilait. C’était il y a un demi-siècle.

[1] La représentativité de ces organisations est sans doute à relativiser, comme le montre la récente enquête de la FEHAP : 67 % des soignants interrogés y sont favorables à ce qu’une loi instaure une aide active à mourir, dont 57 % des soignants exerçant en soins palliatifs.

*Les phrases marquées d’un astérisque sont tirées du manifeste des 13.

[2] Anne Bert. Le tout dernier été. 2017.

[3] Cadre légal de la fin de vie et demande d’aide active à mourir. Comité éthique et cancer.

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