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La transplantation rénale en Algérie

par Ikram GHIOUA, l'Expression

Il est utile de rappeler que la première greffe rénale réalisée au niveau de cette clinique publique, a eu lieu en 2000. Elle avait eu un succès médical retentissant.

Promise à un bel avenir grâce aux prouesses déjà réalisées par une équipe médicale compétente, la greffe rénale se retrouve paradoxalement, quatre années après les premières opérations réussies, au creux de la vague. Postulant, à un moment donné, à la notoriété scientifique internationale, la clinique urologique de Daksi à Constantine est vite tombée dans l'anonymat, malgré son statut d'établissement hospitalier spécialisé.

Il est utile de rappeler que la première greffe rénale réalisée au niveau de cette clinique publique, a eu lieu en 2000. Elle avait eu un succès médical retentissant. En trois ans, c'est-à-dire jusqu'à 2003, 38 opérations ont été effectuées à partir de donneurs vivants et six prélèvements sur des cadavres. Or, depuis le mois de novembre 2003, toutes les opérations sont suspendues pour non-acquisition d'un équipement médical adéquat, c'est-à-dire performant et assurant un maximum de sécurité aux patients.

Contacté par L'Expression, le professeur Bendjaballah, considéré comme la cheville ouvrière de l'ensemble du processus, n'a pas hésité un seul instant à déballer tout ce qu'il avait sur le coeur. D'emblée, il a lâché : "On rencontre énormément de difficultés. On n'arrive toujours pas à déterminer l'origine du blocage et pourquoi le matériel que nous avons demandé ne nous a pas été livré."

Selon le directeur de la clinique qui va dans le même sens que le professeur Bendjaballah, "le matériel médical dont dispose cette structure a vraiment besoin d'être rénové, si on veut assurer un taux de réussite maximal à ce genre d'opérations. Hélas, ce matériel est très coûteux. Et le budget accordé par le ministère de la Santé est insuffisant, pour ne pas dire dérisoire". Selon toujours M.Tidjani, "la suspension de la greffe rénale a été décidée suite à une instruction ministérielle".

Travail de sape ?

Le financement de ce genre d'intervention chirurgicale était assuré par la Cnas. Cet organisme s'était engagé effectivement à financer 20 opérations. Or seulement, pas plus de six ont été réalisées. Cet état de fait a amené la Cnas à mettre fin à son apport financier, vu qu'une clause de la convention qui la liait à la clinique et qui stipulait la réalisation de 20 greffes n'a pas été respectée. "La Cnas est dans son droit de demander des comptes, révèle M. Tidjani, et d'exiger des résultats", ajoute-t-il, "mais des rivalités subjectives basées sur des intérêts sordides ont indéniablement conduit à cette situation de blocage", a-t-il laissé entendre. A propos de ce blocage, le professeur Bendjaballah n'hésite pas à parler de travail de sape. "Je me joins à l'avis de M.Aberkane et je dénonce, à mon tour, l'extrême lenteur des procédures d'acquisition d'un matériel neuf et performant. C'est un sabotage qui ne dit pas son nom", s'écrie-t-il. Et d'ajouter : "C'est le malade qui se trouve otage d'une telle situation", à la limite du surréalisme, dirions-nous.

Le professeur poursuit son réquisitoire en relevant qu'"il faut savoir qu'une opération de ce genre coûte environ un milliard de centimes à l'Algérie quand elle est réalisée à l'étranger. Elle est beaucoup moins chère quand elle est pratiquée chez nous".

Le professeur Bendjaballah nous a confié avec beaucoup de sous-entendus relatifs aux nouvelles moeurs médicales où le mercantilisme a pris le dessus sur l'éthique: "Ils ont fait venir un Libanais en Algérie pour effectuer ce genre d'opérations. Il est payé à 5000 dollars par mois. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, nous sommes capables de réaliser le même travail pour moins cher que ça!" Insistant avec force pour parler de sabotage, il a semblé profondément désemparé par le fait que certaines personnes du milieu médical seraient sérieusement impliquées dans cette situation, qui empêche une clinique publique spécialisée de prendre en charge des centaines d'insuffisants rénaux dans un domaine où elle est considérée comme un précurseur.

Il est vrai que cet état de fait ne laisse aucune chance aux malades démunis et qui ne peuvent pas se permettre le luxe de débourser des millions, même lorsqu'il s'agit d'une question de vie ou de mort.

Ne cachant nullement sa frustration, il nous a avoué que son équipe et lui-même ont été écartés et privés d'une participation aux rencontres scientifiques, célébrant le 30e anniversaire de la convention signée entre les universitaires de médecine de Constantine et de Strasbourg qui se sont déroulées le 19 mai dernier. "Notre représentant, le professeur Boudhane, a été empêché de lire sa communication. Nous avons été surpris que ce soit un autre médecin, qui n'a rien à voir avec nos activités, qui intervienne dans ce sens, en donnant un chiffre erroné quant au nombre des interventions réalisées, 87 au lieu de 44", a-t-il affirmé.

Très sollicité par de nombreux pays, il ne donne pourtant pas l'impression d'abandonner le combat, son combat comme il le dit : "Mon équipe et moi allons continuer jusqu'au bout. Nous le faisons pour nos malades, nous avons démontré que nous possédons la formation requise et l'expérience qu'il faut. Et qu'à ce stade, nous n'avons rien à envier aux autres pays, même les plus avancés".

L'équipe médicale en question est composée de dix médecins (anesthésistes, réanimateurs et généralistes) et de 13 techniciens qui assurent la transplantation rénale. Tout ce beau monde a déjà fait preuve d'une performance de haut niveau. Il y a lieu, par ailleurs, de souligner que la clinique rénale a formé deux autres chirurgiens à Strasbourg qui devaient assister le professeur Bendjaballah. Mais pour des raisons jusque-là ignorées, les deux chirurgiens que le professeur Bendjaballah réclame avec insistance, ont été affectés au CHU de Constantine.

Le professeur dont la "casquette" partisane – il est membre FLN de l'APW de Constantine – n'a pas dévié de sa vocation majeure, considère que son statut d'élu et sa profession de médecin ne sont pas incompatibles. "Ça n'a rien à voir, a-t-il dit, je sais faire la part des choses. Je ne travaille pour le compte de personne. Ma conscience professionnelle m'interdit de commercer avec la vie des malades. Si demain, a-t-il ajouté, l'équipement médical nécessaire est disponible, les opérations vont reprendre avec un rythme plus élevé et je promets de pouvoir réaliser deux interventions par jour", a-t-il déclaré sur un ton assuré.

Approchés par nos soins, les malades concernés abondent dans le même sens. Le président de l'association locale des insuffisants rénaux ne trouve pas les mots pour décrire le calvaire vécu par les malades depuis l'interruption de la greffe rénale. "Le blocage des opérations est voulu par de nombreuses personnes, cette situation les arrange au plus haut degré. C'est pour cela qu'ils persistent à empêcher l'évolution de cette activité, quitte à nous prendre en otage, en mettant notre vie en péril", a-t-il estimé.
Par le biais de l'association des insuffisants rénaux nous avons d'ailleurs appris qu'en 2003, 12 malades dialysés sont morts durant le mois d'août. Une semaine après, 14 autres malades ont connu le même sort. S'il y avait eu la greffe, ce drame aurait pu être évité.

Evoquant le professeur Bendjaballah, le président de l'association locale des insuffisants rénaux laisse échapper avec regret : "Toutes les opérations réalisées par le professeur Bendjaballah ont été un vrai succès, même si nous avons appris que deux patients sont morts, leur décès est dû à d'autres complications qui n'ont rien à voir avec les interventions. Un des patients avait en plus un problème cardiaque".

Les insuffisants rénaux continuent de mourir

Concluant ses déclarations avec un pathétique cri du coeur, le président de l'association appelle l'Etat à prendre ses responsabilités vis-à-vis des centaines de malades qui souffrent. Selon lui, la résiliation du contrat qui liait la Cnas à la clinique urologique de Daksi, répond beaucoup plus à des considérations qui ont relégué les malades au second plan.

C'est d'autant plus inexplicable, si l'on tient compte des dizaines de malades qui attendent qu'on les libère définitivement de la dépendance de la dialyse!

Selon le professeur Bendjaballah, la situation n'a rien d'énigmatique puisque ses tenants et aboutissants sont évidents. Une clinique n'arrive pas à remplacer son matériel défectueux, au moment où un département chargé de la réforme hospitalière a été créé.
Cela ne fait pas de doute, les forces de l'inertie et de l'immobilisme ont réussi à maintenir la chape de plomb sur un secteur sanitaire public, qui constitue un ultime secours pour des milliers de patients qui ne possèdent pas l'argument financier nécessaire à leur prise en charge dans une structure privée.

Ainsi donc, l'absence de conscience professionnelle, les intérêts abjects et les rivalités aberrantes ont été les principaux facteurs qui ont fait dresser un obstacle de poids, quant à l'évolution d'une si importante discipline en Algérie. Pourtant, son émergence aurait pu ouvrir la porte devant d'autres disciplines telles que la greffe du foie.

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