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Psst ! Vous vendez votre rein ?

14 novembre 2002, New York Times

Traduction de l’article de NICHOLAS D. KRISTOF

Voilà un an et demi, la vie de Laura Johnson a basculé en un instant. Un médecin lui a annoncé que ses reins ne fonctionnaient plus.
Mme Johnson, une enseignante retraitée résidant en Californie, a donc rejoint 80000 autres américains en attente d’organes. Cela devrait prendre environ cinq années, durant lesquelles elle sera emprisonnée trois fois par semaine à une machine de dialyse.

La pénurie d’organes est telle que chaque jour, 17 personnes meurent en en attendant un. La voisine de dialyse de Mme Johnson est décédée de cette façon. Et les raisons de ces morts ne sont pas uniquement des reins ou des cœurs défectueux, mais plutôt des lois inadaptées. Plus précisément, l’une d’entre elle, votée par le congrès en 1984, interdit tout paiement pour les dons d’organes.
Les lois relatives aux dons d’organes peuvent sembler un sujet un peu dérisoire à l’heure où le pays s’apprête à entrer en guerre. Pourtant, elles coûtent la vie de 6000 américains chaque année, un chiffre bien plus important que celui des prévisions les plus pessimistes quant aux à venir sur le sol iraquien. Un débat violent à ce sujet a récemment divisé la communauté médicale. Même si une réforme de ces règles intervient rapidement, elles auront coûté la vie à d’avantage de citoyens américains que la guerre du Vietnam.

Le problème est que la seule motivation actuellement tolérée pour le don d’un organe est l’altruisme. Et l’altruisme ne fonctionne pas.
J’ai demandé à Mme Johnson si cela lui semblerait étrange de porter un elle un rein qui aurait été acheté.
“Non” a t-elle répondu sans hésitation. “Si je pouvais, j’en achèterais un, sans aucun remord.”.

Bien sur, cela peut sembler choquant de payer pour des morceaux de corps humains. David Kaserman, un économiste qui est lui même transplanté rénal, se souvient que lorsqu’il avait publié dans un journal médical en 1990 un article favorable au paiement des organes, un des membres du comité de rédaction avait déclaré : “Celui qui a écrit ce papier est en faillite morale.”
Mais, quelques dizaines de milliers de morts plus tard, la communauté médicale commence à revenir sur ses principes. Cette année, l’American Medical Association a entrepris une étude relative à la rétribution des organes. Le United Network for Organ Sharing, qui est chargé de coordonner la chaîne des transplantations, a fait des propositions similaires, tout comme l’American Society of Transplant Surgeons.
Le Professeur Kaserman vient de publier un ouvrage encourgeant l’établissement d’un marché des organes.
Transplant News a récemment édité un dossier ayant pour titre : “Bienvenue dans l’ère des organes payants”.

“Les avis dans la communauté médicale en générale et dans celle des greffes en particulier sont très partagés, surtout depuis les 18 derniers mois.” a déclaré Mark Fox, directeur du département d’éthique de la transplantation à l’Université de Rochester.
Il y a toujours des réticences, et le Dr Fox lui-même considère le paiement des organes comme difficilement justifiable d’un point de vue éthique. Il émet en outre des doutes quant à son efficacité à réduire les listes d’attente. L’American College of Surgeons et la National Kidney Foundation se sont opposées à cette idée.

Personne ne parle de payer les donneurs vivants, mais uniquement de dédommager les morts. Une des propositions serait d’offrir 2000$ afin de participer aux frais de funérailles de toute personne ayant fait don de ses organes.

“Notre but n’est pas de remettre en cause les principes d’altruisme” déclare Francis Delmonico, Professeur de chirurgie à l’Université d’Harvard. “Mais il est possible que certaines personnes soient plus réceptives à l’idée du don d’organes s’il existe une sorte de reconnaissance de la société, qui pourrait prendre la forme d’un dédommagement, par exemple le remboursement des frais d’obsèques… “.

Un des problèmes engendrés par la pénurie actuelle est que de nombreux donneurs vivants offrent un de leurs reins à leur proche qui en a besoin. Deux donneurs sont décédés durant les trois dernières années, et un troisième est “dans un état végétatif”.
De plus, le paiement des organes serait une solution économiquement viable, puisque la dialyse coûte bien plus cher que la greffe…

“Nous perdons 6000 vies par an, c’est deux fois plus de morts que durant l’attaque du 11 septembre 2001” note le Professeur Kaserman. “Et si nous payions les organes, les dépenses fédérales seraient diminuées. Nous dépensons actuellement de l’argent pour tuer des gens.”

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