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L’avenir de la greffe d’organes

Par le Dr Bernard Vanhove, chercheur à l’Inserm, Nantes
reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur

État des lieux, espoirs à court et moyen termes

En 2002 en France, 2255 patients seulement ont reçu une transplantation rénale sur 5227 inscrits sur la liste d’attente. La xénotransplantation, c’est à dire l’utilisation d’organes et de cellules animales, pourrait constituer une source illimitée de greffons pour l’être humain.

Voilà près d’un siècle que Princeteau et Jaboulay ont tenté de remplacer des reins malades par des xénogreffes. Plusieurs autres s’y sont essayé par la suite, toujours sans succès.

Cette dernière décennie a pourtant marqué un tournant dans cette aventure : nous avons compris les mécanismes biologiques mis en jeu dans le rejet de ce type de greffe et disposons des outils biotechnologiques permettant d’adapter les xénogreffes à une acceptation par l’organisme humain. Sans traitement, les tissus animaux sont rapidement rejetés par l’organisme. Ce rejet est dû à la présence d’anticorps préformés dirigés contre des résidus glycosylés présents sur les organes animaux. Des modifications génétiques effectuées chez le porc ont permis récemment d’inactiver le gène responsable de la formation de ces résidus glycosylés et de protéger les cellules animales des lésions causées par les anticorps humains. Immunologiquement parlant donc, les organes de ces animaux ont été “humanisés”.

Par ailleurs, des recherches menées chez des rongeurs ont montré qu’une xénogreffe pouvait être acceptée si les anticorps préformés étaient absents. Dans ce cas, les cellules endothéliales adaptent naturellement leur métabolisme en synthétisant des quantités importantes de molécules qui protègent la xénogreffe. Des expériences initiées en 2003 vont déterminer si ce phénomène se produit également avec le cœur et les reins des porcs modifiés par génie génétique. Dans ce cas, l’obstacle immunologique majeur à l’utilisation de xénogreffes aura été franchi, et des essais chez l’homme seront sans doute proposés.

Mais la xénotransplantation pose d’autres problèmes. Suivant la complexité de l’organe greffé, il faut s’attendre à des incompatibilités moléculaires susceptibles de perturber la fonction normale, qu’il faudra alors compenser pharmacologiquement.

Le problème technique le plus grave, lié à la xénotransplantation, est pour l’heure le risque que des virus spécifiques du porc (rétrovirus endogènes ou PERV) se transmettent à l’être humain et puissent entraîner de nouvelles épidémies virulentes et agressives (zoonoses). Il est indubitable que, pour un patient donné atteint d’une affection grave, le bénéfice attendu d’une xénogreffe dont on aurait maîtrisé le rejet serait supérieur au risque infectieux encouru. En revanche, pour l’ensemble de la population il est impossible d’écarter totalement le risque d’une pandémie. Avant d’envisager la xénogreffes chez l’homme, il faudra donc que la recherche sur les effets des rétrovirus se poursuive.

Il faudra également mettre au point un cadre législatif et réglementaire strict et transparent, couvrant tous les aspects des essais cliniques. Enfin, il faudra aussi poursuivre les efforts pour développer les connaissances du public et encourager le débat sur la prise de risque que constitue la xénotransplantation.

Enjeux éthiques

Les obstacles immunologiques de la xénotransplantation seraient sensiblement réduits si l’on recourait à des organes provenant d’espèces voisines de la nôtre, tels le chimpanzé et le babouin. Mais il existe un consensus moral qui s’oppose à ce qu’on élève des singes anthropoïdes dans ce but, eu égard au danger d’extermination qui menace les chimpanzés, à leurs aptitudes, à leur niveau de conscience et d’intelligence.

En revanche, le porc est un animal d’élevage modifié par l’homme depuis des millénaires par la génétique, et depuis peu par la biologie moléculaire, dont les organes internes sont semblables à ceux de l’homme, ne serait-ce que par la taille. Son utilisation en médecine et la modification de son matériel génétique ne pose pas à priori de problème éthique. On doit cependant se demander dans quelle mesure la greffe d’un organe animal sur l’être humain est une atteinte à la dignité de celui-ci, car un organe greffé peut en un certain sens modifier l’être humain. Des cellules de la xénogreffe peuvent en effet se répartir dans l’ensemble de l’organisme, ce qui peut être ressenti comme destructeur de l’identité.

La greffe brise la frontière habituellement inviolée entre le soi et le non-soi. La xénogreffes viole en plus la frontière entre l’homme et l’animal avec toute la signification qui s’y attache. Là encore, on ressent un important besoin de recherches qui permettraient de mieux comprendre, informer et accompagner les futurs candidats à une xénotransplantation.

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L’Académie des sciences recommande de favoriser les travaux de recherches sur la xénotransplantation
24 janvier 2003, Académie des Sciences

Xénogreffe de porc : le récepteur du virus PERV est identifié
27 mai 2003, Le Quotidien du Médecin

la Corée du Sud espère produire en masse des organes de porc destinés à la transplantation humaine
2 juin 2004, AP

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