L’avenir de la greffe d’organes
Par le Dr Evelyne Fischer, chercheur à l’Institut Pasteur
article reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur
Le rein est composé d’un million d’unités fonctionnelles, appelées néphrons. La réduction du nombre de néphrons fonctionnels conduit à l’insuffisance rénale, dont l’évolution clinique est typiquement progressive et aboutit à l’insuffisance rénale chronique terminale. Réparer un organe en lui apportant des cellules neuves capables de remplacer celles qui sont déficientes reste un rêve encore inaccessible. L’identification de cellules souches, et la connaissance des signaux à l’origine de leur transformation en cellules différenciées pourrait représenter une première étape dans cette nouvelle approche thérapeutique, même si de nombreuses questions quand à leur manipulation restent posées.
Chez les mammifères, le développement rénal se déroule selon trois étapes successives. Les deux premières étapes conduisent à la formation de structures transitoires, le pronephros et le mesonephros, et la dernière donne naissance au métanephros ou rein définitif. Le développement du métanephros débute par l’induction réciproque du bourgeon urétéral, une excroissance du canal de Wolff et du blastème métanephrique, une structure mésenchymateuse du mésoderme intermédiaire. Les facteurs secrétés par le mésenchyme métanephrique induisent la croissance et la division du bourgeon urétéral, pour former le système collecteur. En retour, le bourgeon urétéral induit autour de ses branches de division la transformation de cellules mésenchymateuses en structures épithéliales, qui vont former l’ensemble des composants épithéliaux du néphron à l’exception des canaux collecteurs. Ces événements successifs nécessitent une interaction précise dans le temps et dans l’espace de signaux provenant du bourgeon urétéral, des cellules stromales et des cellules du blastème métanephrique (1). Ces signaux confèrent aux cellules du blastème métanephrique, véritables cellules souches embryonnaires, la capacité de participer à la formation de l’ensemble des différents segments du néphron (à l’exception du système collecteur).
Qu’est-ce qu’une cellule souche ?
Les cellules souches possèdent deux propriétés fondamentales : une capacité d’auto renouvellement illimitée, et une capacité à donner naissance à des cellules hautement différenciées qui possèdent des caractéristiques propres aux tissus.
Chez les vertébrés, les cellules souches peuvent être classées en deux groupes distincts. Le premier groupe comprend les cellules souches embryonnaires (ES cells) ou cellules souches fœtales, qui sont au cœur des vifs débats bioéthiques actuels. Ces cellules totipotentes, qui sont dérivées des cellules de la masse interne du blastocyste sont capables de contribuer à tous les tissus de l’embryon et de l’adulte. Des lignées de cellules ES existent chez la souris depuis plus de 10 ans. Le génome de ces cellules non différenciées peut être modifié in vitro et la réintroduction de ces cellules manipulées in vitro chez l’embryon précoce permet la création d’une souris génétiquement modifiée.
Les cellules souches embryonnaires donnent également naissance au second groupe de cellules souches : les cellules souches multipotentes ou cellules souches adultes. Il a longtemps été admis que ces dernières étaient propres à un tissu ou à un organe, mais des expériences récentes remettent en cause, tout au moins partiellement, ce dogme de l’embryologie.
Au cours de ces dernières années, des cellules souches multipotentes ont été découvertes dans différents tissus comme le système nerveux central ou la moelle osseuse. Les cellules souches hématopoïétiques résident dans la moelle osseuse qu’elles quitteront pour exercer certaines de leurs fonctions ailleurs dans l’organisme. Ces cellules souches sont rares (0.01% des cellules de la moelle osseuse) mais sont à l’origine de l’ensemble du système sanguin et donnent naissance chaque jour à des millions de cellules filles. Certains considèrent même qu’elles pourraient représenter une alternative à la greffe de moelle.
En dehors de leur rôle fondamental dans la production des cellules sanguines, plusieurs publications ont décrit la moelle osseuse comme une source potentielle de cellules précurseurs d’autres organes. Récemment, des cellules de moelle osseuse enrichies en cellules souches prélevées chez une souris male ont été injectées dans la circulation sanguine d’une souris femelle irradiée. 48 heurs après cette injection, ces cellules souches ont à nouveau été prélevées puis injectées individuellement à un second groupe de souris femelle. L’utilisation du chromosome Y comme marqueur génétique a permis de montrer que la descendance engendrée par une seule cellule était non seulement composée de cellules sanguine et médullaire mais aussi de cellules épithéliales du poumon, de l’intestin, de la peau.
D’autres travaux ont montré que les cellules souches de la moelle osseuse pouvaient également participer à la régénération hépatique. Des cellules hématopoïétiques ont été injectées dans la circulation sanguine de souris FAH-/-, souris génétiquement modifiées qui développent une tyrosinémie de type 1 (maladie secondaire à un déficit en fumaryl aceto acetate hydrolase). La descendance de ces cellules souches a donné naissance au système sanguin, mais aussi à des hépatocytes, ce qui a permis d’améliorer les paramètres biochimiques hépatiques des souris FAH-/-(3).
Une autre étude récente chez la souris a montré que l’injection de cellules souches hématopoïétiques en bordure d’un infarctus du myocarde (par ligature coronarienne) a permis une réparation du myocardique chez 40% des animaux. Les nouveaux myocytes occupaient 68% de la partie infarcie du ventricule. Il a également été observé des cellules endothéliales et des cellules musculaires lisses, organisés en vaisseaux coronariens. De plus, les myocytes en voie de différenciation présentaient une compétence fonctionnelle attestée par une amélioration des données hémodynamiques (4).
Ces différentes études démontrent bien l’étonnante plasticité des cellules souches hématopoïétiques. Ont-elles la capacité de coloniser le rein ?
La fibrose interstitielle est l’un des principaux acteurs du rejet chronique en transplantation rénale. L’accumulation de matrice extracellulaire est synthétisée par des fibroblastes dont l’origine reste mal connue : proviennent-ils de l’organe transplanté ou de précurseurs circulants ?
En réalisant des biopsies rénales chez des patients transplantés avec des reins de donneurs de sexe féminin, Grimm et collaborateurs ont montré que environ un tiers des cellules mésenchymateuses dans le compartiment vasculaire ou interstitiel du greffon dérivaient du donneur et non du receveur. Ceci suggère que des précurseurs circulants des cellules mésenchymateuses ont la capacité de migrer sur le lieu de l’inflammation (5).
Le rôle des cellules de la moelle osseuse dans le rein a également été montré dans un modèle de pathologie glomérulaire. Des souris porteuses d’une altération génétique particulière, les souris Rop/os, développent une sclérose glomérulaire. Des cellules souches hématopoïétiques prélevées chez ces souris Rop/os ont été injectées à des souris saines, qui développent alors une glomérulosclérose (6). Enfin des cellules de la moelle osseuse participent également à la régénération tubulaire, après nécrose tubulaire aigue comme cela a été montré dans un modèle rénal d’ischémie re perfusion transitoire (7).
Ces différentes études ont montré la capacité de cellules souches situées en dehors d’un organe lésé à migrer jusqu’au site atteint et y subir une différenciation favorisant la réparation structurelle et fonctionnelle de l’organe. S’ils sont extrêmement encourageants, ces résultas nécessitent néanmoins des travaux complémentaires. En quelle quantité ces cellules qui se trans-différencient contribuent-elles à repeupler un organe ? Existe-il en plus d’une conversion phénotypique une vrai contribution de ces cellules au fonctionnement de l’organe ? Les tissus adultes, et en particulier le rein, contiennent t-ils des cellules souches qu’il serait possible de mobiliser lors de situations pathologiques ?
L’étude des différentes étapes du développement rénal devrait permettre de progresser dans la compréhension de la cascade moléculaire à l’origine de la formation du rein. L’équipe de Reisner a récemment montré que des cellules provenant de blastème métanephrique humain ou porcin implantées chez la souris étaient capables de se différencier en tissu rénal (8). En identifiant les gènes exprimés par les cellules souches du blastème métanephrique précoce, nous pourrions progresser dans la découverte des cellules souches adultes rénales, et mieux comprendre la fonction et la réparation du rein, ce qui pourrait ouvrir la voie de nouvelles perspectives thérapeutiques.
Bibliographie
- Transcriptional Control of Epithelial Differentiation during Kidney Development (2003). David Ribes, Evelyne Fischer, Amélie Calmont, and Jerome Rossert .J Am Soc Nephrol 14: S9-S15
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Des cellules souches utilisées pour générer des reins de type humain fonctionnels chez la souris
24 décembre 2002, agence Reuters
Un pas vers le clonage thérapeutique appliqué à la transplantation
12 février 2004, Agence Reuters