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Les points importants abordés lors du congrès 2004 de la Société de Néphrologie à Marseille


EN FRANCE, COMME dans d’autres pays européens, l’insuffisance rénale chronique (IRC) est devenue un problème majeur de santé publique. C’est pour en alerter le grand public que ce sont tenues en France en 2001 et en 2003 les journées nationales de l’IRC.

Si la prévalence de l’insuffisance rénale chronique non terminale est encore mal précisée, celle de l’insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) (c’est-à-dire nécessitant un traitement de suppléance rénale) a été établie par l’enquête nationale SROS/IRCT effectuée par la Cnamts et la Dhos en juin 2003 : elle a permis de recenser un peu plus de 30 000 patients dialysés et un peu plus de 20 000 patients porteurs d’un greffon fonctionnel. Il est à noter que les néphropathies vasculaires et diabétiques représentent, selon les régions, de 40 à 50 % des causes d’Irct. Le coût global du traitement de l’Irct est estimé à 2 % de la totalité des dépenses de santé au bénéfice d’environ 0,75 [228] de la population française (1).
Or, nous disposons aujourd’hui de traitements néphroprotecteurs permettant de retarder significativement la progression de l’insuffisance rénale chronique et donc, dans certains cas, d’éviter le recours aux traitements de suppléance rénale. Ces traitements ont autant plus de chance d’être efficaces qu’ils sont instaurés précocement, d’où l’intérêt d’un diagnostic précoce et d’un suivi approprié.

En ce qui concerne la fonction rénale, elle est appréciée par l’évaluation du débit de filtration glomérulaire (DFG). Il est recommandé, en pratique clinique courante, d’utiliser la formule de Cockcroft et Gault pour estimer le DFG : c’est ce qui est appliqué aujourd’hui par les laboratoires d’analyses. Comme toutes les méthodes d’estimation, la formule de Cockcroft et Gault est imparfaite ; en particulier, elle a été peu évaluée chez les sujets âgés de plus de 75 ans. Peut-être sera-t-elle remplacée par un autre calcul qui a actuellement la faveur de nos collègues américains : la formule Mdrd. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, un DFG estimé par la formule de Cockcroft < à 60 ml/min. (de façon stable) témoigne d'une insuffisance rénale méritant une investigation complémentaire.

Quel bilan devant la découverte d’un DFG < à 60 ml/min. ? La recherche de la ou des causes de l'IRC repose sur un relevé détaillé des antécédents personnels et familiaux ;
un examen clinique soigneux, comportant la mesure de la pression artérielle et l’évaluation de l’état cardio-vasculaire et uro-génital et quelques examens peu coûteux :
– examen des urines à la bandelette (à la recherche d’une protéinurie, et d’une anomalie du sédiment, en particulier une hématurie et/ou une leucocyturie) ;
– échographie rénale (avec Doppler des artères rénales s’il y a un contexte d’athéromatose) (2).
Une fois ce bilan effectué, le recours au néphrologue en vue d’une prise en charge commune est recommandé. Il n’est probablement pas indispensable s’il s’agit d’un sujet de plus de 75 ans, avec un DFG entre 40 et 60 ml/min et un bilan entièrement normal : un suivi périodique par le médecin généraliste suffira.

Dans le cadre du dépistage, une estimation du DFG par la formule de Cockcroft et Gault est recommandée :
– chez les patients ayant une anomalie rénale (anomalie du sédiment, uropathie, néphropathie héréditaire…) ;
– chez des patients ayant un risque de maladie rénale : hypertension ; diabète de type 1 ou de type 2 avec, dans ce contexte, le dépistage de la microalbuminurie ; sujets recevant des médicaments néphrotoxiques (lithium, anti-inflammatoires non stéroïdiens, anticalcineurines….) et, enfin dans certaines circonstances, à savoir avant et pendant la prescription d’aminosides, avant et après une chimiothérapie néphrotoxique et avant l’injection d’un produit de contraste iodé.

Quel traitement ? Avec quels objectifs ?

Le traitement de la cause de l’IRC (possible dans une minorité de cas) permet souvent de freiner la dégradation de la fonction rénale : par exemple, correction d’une uropathie obstructive, arrêt d’une intoxication médicamenteuse, traitement d’une maladie de système, éradication d’une maladie lithiasique…

Par ailleurs, la plupart des néphropathies chroniques favorisent l’apparition d’une hypertension artérielle, souvent bien avant l’apparition d’une insuffisance rénale et on sait que les lésions rénales s’aggravent à la faveur d’une hyperpression intraglomérulaire. On fera donc appel à des agents capables de réduire à la fois la pression artérielle systémique et la pression intraglomérulaire, c’est-à-dire les IEC et/ou les sartans.
Les objectifs de ce traitement dit « néphroprotecteur » ont été établis par de nombreuses études cliniques. Un contrôle optimal de la pression artérielle est la meilleure façon de prévenir les complications cardio-vasculaires qui dominent la morbidité de ces patients.
En matière de protéinurie, l’objectif est de la ramener et de la maintenir en dessous de 500 mg/24 h (ce qui n’est pas toujours facile, parfois impossible). Généraliste et néphrologue se concerteront pour définir dans chaque cas la stratégie thérapeutique ; l’escalade qui a actuellement la faveur de beaucoup de néphrologues est : IEC d’abord, ensuite ajout d’un sartan, puis ajout d’un diurétique.

Un suivi alterné généraliste-néphrologue est vivement souhaitable. Une attention particulière doit être portée à l’adaptation de la prescription médicamenteuse au degré d’insuffisance rénale. Parmi les médicaments à éviter, figure désormais en tête de liste la spironolactone : ce diurétique d’épargne potassique connaît une deuxième jeunesse à la suite des résultats de l’étude Rales, qui avait démontré que son administration augmentait la survie des insuffisants cardiaques sévères déjà traités par IEC. Comme le montre une étude récente menée à Toronto, ce regain d’intérêt se solde aujourd’hui par une augmentation de l’incidence de d’hyperkaliémie fatale, tout particulièrement chez les sujets âgés de plus de 65 ans (3). Si un insuffisant rénal chronique doit absolument recevoir de la spironolactone pour des raisons cardiologiques, la dose doit être adaptée (posologie maximale de 50 mg à atteindre en 2 paliers) et la kaliémie doit être étroitement surveillée.
En cas d’IRC, il faut aussi proscrire les biguanides (en raison du risque d’acidose lactique) et la nitrofurantoïne, inefficace et potentiellement toxique.
On veillera à réduire la dose d’entretien des médicaments éliminés par voie rénale. En cas de doute, on peut s’adresser à Icar (Information conseil adaptation rénale) : icar.nephro@psl.ap-hop-paris.fr, à la Pitié-Salpêtrière à Paris. N’oublions pas qu’à l’inverse, la dose des diurétiques de l’anse doit être augmentée en proportion de la réduction du DFG.
Sachons enfin ne pas céder à la panique devant une élévation discrète à modérée (< de 30 % d'élévation) du taux de créatinine sérique survenant peu après l'instauration d'un IEC chez un insuffisant rénal chronique : des données récentes suggèrent même que cette discrète augmentation (en relation avec la réduction de pression systémique et intrarénale) pourrait être le « prix à payer » pour obtenir par la suite une réduction de la vitesse de progression de la néphropathie. Il faudra néanmoins avoir pris la précaution, chez le sujet à risque, d'avoir exclu l'existence d'une sténose artérielle rénale bilatérale.

Préparation au traitement de suppléance rénale

Chez les patients ayant une progression inéluctable de l’IRC, la perspective du traitement de suppléance doit être évoquée bien à temps. Une information détaillée doit être fournie au patient et à son entourage sur les modalités dialytiques et les possibilités de greffe rénale.
Dans nos pays, un patient ne peut plus être récusé pour la dialyse sur la seule base de son âge légal. C’est l’espérance de vie et, plus précisément l’espérance d’une vie de qualité qui doit guider le choix que fera, avec ses médecins, un patient bien informé. L’expérience montre que la dialyse peut apporter, à des octogénaires, un « supplément de vie » de qualité (4). Là encore, une bonne coopération entre généraliste et néphrologue sera tout bénéfice pour les patients confrontés à ce choix et à ce changement de vie.

> Pr YVES PIRSON
PRESIDENT DE LA SOCIETE DE NEPHROLOGIE

Références
1. ANAES. « Diagnostic de l’insuffisance rénale chronique chez l’adulte ». Texte des recommandations. Sept. 2002.
2. Mignon F. « Le diagnostic précoce de l’insuffisance rénale chronique ». « Le Quotidien du Médecin » 2003 n° 7260 (FMC).
3. Juurlink D et coll. « Rats of hyperkalemia after publication of the randomized Aldactone evaluation study ». « New Engl J Med » 2004 ; 351 : 543-51.
4. Joly D. et coll. « Octogenarians reaching end-stage renal disease : cohort study and decision-making and clinical outcomes ». « J Am Soc Nephrol » 2003 ; 14 : 1012-1021.

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