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Greffe avec donneur vivant, pénurie d’organes, solidarité et démocratie

 

A armes égales

Mais la démocratie, direz-vous ? J’y viens.

Les questions de santé publique ne sauraient se réduire à un conflit de valeurs au sein du corps médical. Une chose est le conflit de valeurs interne à l’univers médical. Autre chose le conflit de valeurs entre l’univers médical et celui des insuffisants rénaux et de leurs proches. Le corps médical n’est pas le seul producteur de valeurs éthiques. Il y a évidemment d’autres partenaires en jeu qui peuvent aussi être producteurs de valeurs éthiques.

Les proches des insuffisants rénaux par exemple.

Et la démocratie, chère à Amartya Sen, consiste justement à reconnaître comme éthiques les valeurs produites et portées par les patients et leurs proches, à les écouter et à les respecter. A les considérer avec le même respect dont témoignent les patients et les donneurs pour l’éthique médicale, c’est-à-dire comme une donnée à part entière du débat éthique. A armes égales.

Il y a de leur part, à la fois une demande et une éthique, surtout de la part des donneurs vivants comme de celles et de ceux qui se portent volontaires pour que l’un de leurs organes en bonne santé passe dans le corps de leur femme, de leurs enfants, parents, frère, sœur, ami…

Aujourd’hui, l’éthique médicale est dominante et hégémonique. Elle est assez forte pour imprimer son empreinte au système législatif de même qu’aux libertés prises avec l’application des lois.

Lors de la dernière loi de bio-éthique, c’était un médecin qui était Président de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Et non des moindres, adversaire déclaré des greffes avec donneur vivant et pionnier et virtuose international de la transplantation.

C’est dire si son avis pèse lourd.

Aujourd’hui c’est encore un cardiologue qui est rapporteur de la mission d’information de l’Assemblée Nationale sur la révision des lois bioéthiques.

La liste des personnes auditionnées par la Commission parlementaire comportait beaucoup de membres du corps médical et très peu de représentants des patients, dont les six associations ont été expédiées dans une même séance en moins de deux heures. Autant dire que dans la loi, comme dans la pratique, les chances de s’exprimer et de s’imposer ne sont pas également réparties entre les valeurs éthiques des patients et celles les médecins.

Vaste problème qui est en train de changer, lentement mais sûrement, en particulier à la suite de la mobilisation des associations de patients atteints par le sida.

Les patients ont leur mot à dire, y compris dans les réunions scientifiques. La dépendance absolue par rapport au pouvoir médical est remise en cause. Il était temps car au début de la pandémie les morales traditionnelles relatives à la sexualité du corps médical ont constitué des obstacles à la prise en compte objective de cette maladie. Dans les maladies chroniques aussi, où se noue une relation au long cours entre soignants et patients, le corps devient l’objet de négociation incessantes entre les normes énoncées par le pouvoir médical et les demandes des patients.

Je me limiterai au cas du donneur vivant. Très peu d’occasions lui sont offertes pour exprimer les valeurs qui l’animent, les motivations profondes de son acte.

Les passages chez le/la psychologue, le psychiatre, et le comité d’experts ont surtout une fonction prophylactique ; ces consultations cherchent à s’assurer que le donneur n’est pas fou, irresponsable, manipulé, intéressé, bref animé de mauvais penchants. On lui attribue le satisfecit dès lors qu’il apporte la preuve qu’il est consentant, responsable de ses actes et conscient  des risques qu’il court.

Mais le contenu positif des valeurs qui l’animent ne servent aux sélectionneurs que d’indicateurs, de marqueurs du bon état de santé mental du donneur. Elles ne font jamais l’objet d’une exposition publique, d’une valorisation, d’une publicité aussi positive que les valeurs éthiques propres au corps médical.

Or, quelles sont-elles ? Elles sont très simples, instinctives même. Aux antipodes des caricatures bien-pensantes qui en célèbrent l’altruisme, l’esprit de sacrifice, la générosité dans un registre voisin de celui dont usent les hommes politiques pour exalter les vertus posthumes des « morts pour la France », en Afghanistan ou ailleurs.

Elles vont de soi.

Et toutes les enquêtes réalisées sur la psychologie des donneurs vivants, dans tous les pays où on pratique ce type de greffes, et même en France, relèvent les mêmes traits.

Straight forward decision, d’abord. La décision se prend d’un coup comme une évidence. Se présente la possibilité de porter assistance à un proche, de lui permettre en échappant à un traitement astreignant et dégradant à terme, de mener une vie normale et par là même de restaurer l’équilibre sanitaire du groupe familial. Une planche de salut passe à portée, on s’en saisit. Outre cet acte élémentaire de solidarité, il y a aussi le sentiment très particulier de pouvoir contribuer par son action à améliorer l’état de santé d’un proche. Peu de maladies offrent à un proche l’opportunité de jouer un rôle actif et décisif dans la maladie de l’autre.

Combien de fois entend-on les proches d’une personne atteinte d’une maladie mortelle s’exclamer avec désespoir «  Ah !  qu’est-ce que je ne donnerais pas pour que tu continues à vivre ».

Lequel d’entre nous n’a pas ressenti cet insupportable sentiment d’impuissance. Or, impossible en général, ce geste est parfaitement réalisable et salvateur dans le cas de l’insuffisance rénale. Les proches ont la possibilité de venir en aide avec efficacité et d’immenses chances de succès à ceux qu’ils aiment.

Altruisme ? Sans doute mais égoïsme aussi. Le donneur étant par la loi familialement lié au receveur, la restauration d’un bon état de santé de ce dernier contribue aussi à améliorer son propre bien-être et celui du groupe tout entier, qu’il soit parent (il a le sentiment de réparer une injustice dont il peut se sentir coupable par la transmission), époux, et même enfant. Le cas des frères et sœurs est plus complexe quand les relations s’effectuent sur fond de rivalité.

Dans tous les cas, l’acte suscite un vif sentiment de fierté chez le donneur et un accroissement notoire de l’estime de soi. « Si c’était à refaire, je le referai », disent l’immense majorité des donneurs vivants.

D’autant qu’ils peuvent chaque jour constater de visu que l’opération comporte pour eux des risques très faibles et d’immenses bénéfices pour la personne transplantée. En termes d’espérance de vie comme de qualité de vie. Toutes les statistiques nationales et internationales l’attestent avec clarté. Les greffes rénales à partir de donneurs vivants fonctionnent mieux et plus longtemps que celles à partir de donneurs décédés. Les demi-vies des greffons sont d’environ 20 ans dans le premier cas, contre 13 dans le second. Nous sommes clairement en présence du meilleur traitement, et de très loin, de l’insuffisance rénale terminale. L’espérance de vie d’un donneur est estimée supérieure, toutes choses égales d’ailleurs, à la moyenne de ses concitoyens ! Aucun accident ne s’est produit en France depuis plusieurs décennies (et a fortiori depuis a mise en place du registre de suivi des donneurs, initié par la loi de bioéthique de 2004) en ce qui concerne le rein.

A-t-on le droit de limiter son accès, tant aux receveurs qu’aux donneurs ?

 

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1 Commentaire

  • et la greffe en dons croisés la loi a été votée mais rien ne bouge pourquoi?

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